Exploiter ou protéger la rivière Kipawa ?

Le projet s’appelle Onimiki – ou tonnerre, en langue anishinaabe. Il est développé par deux Premières Nations anishinaabeg, Wolf Lake et Kebaowek, par la MRC du Témiscamingue et par la Première Nation Piekuagamiilnuat.

Cette dernière est une communauté innue de Mashteuiatsh qui compte déjà plusieurs constructions de minicentrales à son actif, dont celle de Val-Jalbert au Lac-Saint-Jean. Les quatre partenaires se sont regroupés sous la société Onimiki Énergie Renouvelable.

Vue aérienne du parc national d’Opémican.

Photo: Radio-Canada

Estimé à 475 millions de dollars, Onimiki produirait à terme 70 mégawatts d’hydroélectricité, soit la consommation d’environ 20 000 foyers, grâce à deux minicentrales. La première, Onimiki Sud (10 mégawatts), turbinerait l’eau d’un des deux exutoires actuels du lac Kipawa, Gordon Creek. Cette phase a peu d’opposants.

C’est la centrale d’Onimiki Nord (60 mégawatts) qui fait beaucoup de bruit dans la communauté témiscamienne et suscite de nombreuses inquiétudes. Le projet des promoteurs est de détourner une partie de l’eau qui s’écoule normalement dans la rivière Kipawa vers un nouvel exutoire créé de toutes pièces.

Ce canal serait formé d’une série de lacs qu’il faudrait excaver, puis finalement d’un tunnel qui serait creusé sous le parc national d’Opémican.

Le journaliste Maxime Corneau résume les grandes lignes du projet Onimiki.

Photo: Radio-Canada

Selon les données rendues publiques par Onimiki Renewable Energy, la rivière Kipawa perd jusqu’à 70 % de son débit à certaines périodes de l’année.

Une rivière convoitée

Avec une chute de près de 30 mètres, la Grande Chute La rivière Kipawa est la plus haute chute de la région. Hydro-Québec avait les yeux rivés sur le débit de la rivière Kipawa depuis les années 1990.

L’entreprise publique avait proposé de construire un complexe hydroélectrique, baptisé Tabaret, qui aurait détourné l’eau de la Source du fleuve, le réservoir de Kipawa, vers un nouvel exutoire creusé pour les besoins du projet. Le scénario de l’époque présentait plusieurs similitudes avec le projet actuel d’Onimiki.

C’est à cette époque qu’un groupe de canoéistes et de kayakistes fonde l’organisme Les amis de la rivière Kipawa pour lutter contre Hydro-Québec. La société civile et les Premières Nations Anishinaabe se sont aussi mobilisées. Le projet Tabaret est mort dans l’oeuf après une dizaine d’années dans les tuyaux.

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Un groupe de passionnés de rafting lors de la descente de la rivière Kipawa.

Photo: Radio-Canada

De cette lutte est née l’idée d’un parc national au Témiscamingue. Des centaines de mémoires sont venus défendre l’idée de préserver ce territoire lors d’une consultation régionale. En 2019, le parc national d’Opémican est devenu officiellement le 23e parc du réseau de la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq).

L’un des administrateurs de l’organisme Les amis de la rivière Kipawa, Christian Bélisle, est fier d’avoir pris part à la lutte pour protéger cette rivière, mais il s’inquiète de ce nouveau projet hydroélectrique. C’est une icône, c’est notre patrimoine collectif. […] C’est le seul fleuve qui figure sur un billet de banqueil se souvient.

La Monnaie royale canadienne a en fait utilisé l’image de la rivière et de sa célèbre chute d’eau pour symboliser le Bouclier canadien sur le billet de 10 $ commémorant le 150e anniversaire de la Confédération.

Christian Bélisle croyait que la création du parc national mettrait fin aux projets hydroélectriques sur le fleuve. On ne peut pas protéger et exploiter le même territoire. Mais les promoteurs sont toujours là. Ils ont toujours eu un œil sur le débit de la rivière Kipawa.il se lamente.

>>Vue aérienne de quelques radeaux sur une rivière tranquille.>>

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La rivière Kipawa traverse le parc national d’Opémican au Témiscamingue.

Photo: Radio-Canada

“Inacceptable”

Le projet Onimiki en inquiète plus d’un. Peut-on réellement réduire le débit d’une rivière qui traverse un parc national au nom de la transition énergétique et du besoin criant d’électricité pour décarboner le Québec ?

Contactée à ce sujet, la direction du parc national d’Opémican précise qu’il est de la responsabilité du gouvernement du Québec d’autoriser le projet et non de la Sépaq.

La société d’État ne souhaite pas s’impliquer dans le débat public entourant cette question, mais elle pourrait participer aux consultations gouvernementales, comme les audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

>Bannière de la Semaine verte.>

Mais pour Bianca Bédard, directrice générale du Conseil régional de l’environnement d’Abitibi-Témiscamingue (CRÉAT), le projet est une absurdité.

Au moins six mois par année, nous serions sous le seuil le plus bas rencontré dans la rivière Kipawa en saison estivale. […]. Donc là, on touche à la faune, que ce soit les invertébrés, que ce soit l’herpétofaune, que ce soit les poissons.explains Bianca Bédard.

Elle souligne également que la réduction du débit pourrait réchauffer la rivière et affecter la qualité de l’eau. une cascade de conséquences […] pour finalement créer très peu d’emploiselle résume.

Onimiki aurait besoin de beaucoup de travailleurs pendant sa construction, mais à terme, environ cinq emplois permanents seront officiellement créés, selon les promoteurs.

>>Vue aérienne de kayaks descendant une rivière calme.>>

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Selon les promoteurs, la rivière Kipawa perdrait une grande partie de son débit, qui serait détourné à l’extérieur du parc national d’Opémican.

Photo: Radio-Canada

Conséquences pour le parc

Les promoteurs réalisent actuellement l’étude d’impact environnemental nécessaire à la tenue d’une audience sur BAPE.

La question du parc national d’Opémican risque d’être au cœur des audiences. Selon la Loi sur les parcs nationaux, il est interdit dans un parc d’exploiter des ressources à des fins forestières, minières ou de production d’énergie.

L’eau de la rivière Kipawa est protégée lorsqu’elle se trouve dans le parc, mais des questions subsistent dans ce cas-ci, puisque le promoteur entend détourner l’eau avant qu’elle n’entre dans la zone protégée.

Pour Bianca Bédard, si Onimiki va de l’avant dans les conditions actuelles, c’est l’essence même de la loi qui sera ébranlée.

Cela pourrait peut-être permettre à d’autres promoteurs qui ont des projets dans les zones périphériques des parcs nationaux de se dire : « Enfin, c’est possible de faire ces projets. Allons-y ! Allons-y. »elle se lamente.

>>Un kayakiste dans un tourbillon.>>

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La rivière Kipawa attire les amateurs de kayak qui aiment ses eaux vives, comme André Bélanger, directeur général de la Fondation de la rivière.

Photo: Radio-Canada

Cette inquiétude est également partagée par la Fondation Rivière. Son directeur général, André Bélanger, parle d’un précédent dangereux.

Je demanderais aux gens du Québec. Accepteraient-ils de voir le débit de la rivière Jacques-Cartier diminuer en été et en hiver? Personne n’accepterait cela au Québec, dans un parc national.

Une citation de André Bélanger, directeur général de la Fondation du Fleuve

Nous décidons que l’eau de la rivière ou le débit d’une rivière dans un parc national avec une chute exceptionnelle n’est pas si important, en fin de compte, ce seront les impératifs économiques [qui primeront]Nous ouvrons un précédent, c’est clair.il se plaint.

L’énergie par et pour les communautés

Le président d’Onimiki Énergie Renouvelable, David McLaren, admet que les nations partenaires Anishinaabeg s’étaient mobilisées contre Hydro-Québec et son projet Tabaret.

M. McLaren, qui représente également la Première Nation Kebaowek au sein de l’entreprise, estime que la grande différence aujourd’hui réside dans la propriété. Les Premières Nations seront majoritaires lorsque viendra le temps d’administrer les barrages et seront mieux en mesure de minimiser l’impact sur le territoire.

Le mot clé est territoire. C’est notre territoire, celui des Algonquins. [Anishinaabeg].

Une citation de David McLaren, président d’Onimiki Renewable Energy

La direction de l’entreprise affirme qu’elle réalise une étude d’impact qui permettra d’identifier et de limiter les conséquences sur la zone protégée et, promet-elle, de trouver des compromis pour atteindre une bonne acceptabilité sociale.

>>Vue aérienne de maisons bordant un lac.>>

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Le village de Kipawa et la communauté de Kebaowek bordent le lac Kipawa, Source de la rivière Kipawa.

Photo: Radio-Canada

Le débit de la chute constitue une préoccupation majeure, selon David McLaren. Il y aura une réduction probable, c’est sûr. Mais à quel niveau cela affectera-t-il l’apparence ? À quelle période de l’année ? Il y a des éléments [avec lesquels on peut travailler]il admet.

Pour les promoteurs, Onimiki pourrait générer des revenus dans une région où les mauvaises nouvelles économiques s’accumulent. Rien que cet été, plusieurs sociétés forestières ont annoncé leur fermeture.

Les Premières Nations, nous avons le droit d’avoir un projet. Nous avons le droit d’avoir un certain levier économique pour rêver de prospérité, […] Le développement économique de nos territoires a toujours été oublié…conclut-il.

>>Une cascade blanche entourée de sapins.>>

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L’avenir de la Grande Chute sur la rivière Kipawa dans le parc national d’Opémican suscite la controverse au sein de la population locale.

Photo: Radio-Canada

Dans ce cas-ci, le rôle d’Hydro-Québec serait d’acheter l’énergie produite par le complexe Onimiki dans le cadre d’une entente privée. Interrogée à ce sujet, Hydro-Québec a indiqué qu’elle n’avait pas encore signé de contrat avec Énergie renouvelable Onimiki.

Hydro-Québec offre son soutien sous forme de service-conseil, lorsque cela est utile, sur des questions techniques par exempleprécise par écrit Lyne Saint-Laurent, porte-parole de la société d’État.

Selon les documents présentés lors des briefings, les audiences de la BAPE sont attendus en 2026 par les promoteurs.

Le reportage du journaliste Maxime Corneau et du réalisateur Étienne Marcoux est présenté à l’émission Semaine verte Samedi à 17h (HAE) et dimanche à 12h30 sur ICI TÉLÉ. Sur ICI RDI, ce sera dimanche à 21h30

 
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