En Haute-Vienne, les moines, le maire et les villageois

En Haute-Vienne, les moines, le maire et les villageois
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“Un mauvais remake de Don Camillo.” En Haute-Vienne, le village de Solignac est divisé depuis l’arrivée dans son abbaye, fin 2021, d’une dizaine de moines catholiques traditionalistes dont l’attitude hérisse les habitants et épuise le maire.

Qu’il s’agisse d’une déclaration préalable à l’abattage d’arbres fruitiers ou du paiement d’une expertise sur une grange qui menace de s’effondrer sur la voie publique, difficile de ne pas penser aux disputes qui opposent, dans les films, le curé incarné par Fernandel à Peppone, conseiller communiste d’une ville italienne.

Le maire de Solignac, Alexandre Portheault (D), discute avec le Père Benoît Joseph (C) et le Père André à la porte de l’abbaye de Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

« C’était moins compliqué au Moyen Âge », s’amuse le père Benoît Joseph, prieur de la communauté. « Une autre époque », rétorque Alexandre Portheault, maire sans étiquette de cette commune de 1 500 âmes, à 10 km de Limoges. “Nous ne pouvons pas faire tout ce que nous voulons.”

Fondée au VIIème siècle par Saint Eloi, trésorier de Dagobert, l’abbaye de Solignac abrita des moines jusqu’à la Révolution. Puis les 10 000 mètres carrés de cet édifice aux 250 fenêtres abritèrent une prison, une institution pour jeunes filles et une fabrique de porcelaine, avant d’autres établissements religieux.

La mairie envisageait d’installer une maison de retraite et un centre de formation dans les bâtiments, inoccupés depuis 17 ans, mais le diocèse de Limoges, propriétaire, a souhaité « sauver ce site spirituel et patrimonial ».

Le père Benoît Joseph montre l’abbaye Saint-Pierre-Saint-Paul à Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

Après plusieurs manifestations d’intérêt, il autorise la fondation d’un prieuré, dépendant de l’abbaye bénédictine de Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d’Or), communauté « régulièrement reconnue par l’Église catholique et l’État français ».

« Chiens en faïence »

Tags, reproductions du tableau de Courbet « L’Origine du monde » glissés dans les livrets liturgiques, une crotte retrouvée dans l’église abbatiale… les signes de contestation ne se sont pas arrêtés depuis la messe d’installation des moines, accueillie par un concert de pan.

Et le fait que les cloches aient sonné au milieu de la cérémonie du 8 mai 1945 n’a pas arrangé les choses.

Office religieux des moines bénédictins à l’église abbatiale de Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

« Les habitants se regardent comme des chiens de faïence. Vous avez les pro-moines, les anti-moines et au milieu, la mairie», soupire Alexandre Portheault.

Certains dénoncent « l’annexion » de l’abbaye, l’église communale, par les Bénédictins lors de leurs sept offices quotidiens, dont la messe conventuelle célébrée en latin, avec des chants grégoriens.

Les concerts aux chandelles, notamment à Noël, ont disparu face à de nouvelles conditions « trop restrictives », déplore l’association qui les organise depuis plus de 40 ans. Et le mobilier liturgique contemporain, dont l’autel, financé en partie par une souscription, a été transféré dans une autre église du département.

« Je n’y mets plus les pieds, ça me rend malade », déplore un habitant qui décorait régulièrement les lieux de fleurs. « Les fidèles ont été chassés de chez eux, nous avons affaire à des moines conquérants », grogne cet octogénaire qui regrette l’ancien curé du village.

L’église abbatiale de Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

“L’église est ouverte à tous depuis l’office des matines à 5h25 jusqu’à l’office des complies à 20h30”, a précisé l’évêché face aux critiques à l’arrivée des moines.

“Espace vital”

Autre pomme de discorde, la restitution à ces derniers des terrains prêtés à la mairie, qui y organisait des vide-greniers, des marchés de producteurs ou encore les activités du centre de loisirs.

“Une vraie perte pour la population”, estime Colette Roubet, membre du collectif “Soli Niaque” qui a écrit à Gérald Darmanin, ministre des Cultes, et contacté la préfecture.

« C’est comme si on avait acheté une maison à un vieux monsieur qui avait prêté le jardin aux enfants du voisin. Vous êtes libre de dire : +la terre m’appartient+», répond le père Benoît Joseph.

Moines dans les jardins de l’abbaye de Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

“Les moines ont besoin d’un peu d’espace de vie pour marcher, méditer, trouver le silence, mais aussi jardiner”, a expliqué l’évêque de Limoges, Mgr Pierre-Antoine Bozo, sur la chaîne KTO.

Pour assurer leur subsistance, les moines envisagent de vendre des bières par correspondance et dans un magasin vide du village. Ils prévoient également d’organiser des retraites spirituelles, réservées aux hommes.

« Le village se meurt un peu et notre présence est capable de le ranimer », affirme le prieur pour qui la communauté « se sent de mieux en mieux » malgré les « incitations à la haine ».

Certains habitants ne voient rien de mal à ces « savants » qui fréquentent les commerces, voire le camion-pizza. En Limousin, terre de saints déchristianisée, « c’est une tradition monastique qui reprend. Le temps est en notre faveur», ajoute le père Benoît.

“Effet de halo”

“Ce qui nous inquiète, c’est la nature de cette communauté, qui implique l’arrivée de tout un écosystème lié au traditionalisme catholique, à l’identité”, explique Jacques Merzeau, membre du collectif d’habitants classé à gauche.

Le Père Benoît Joseph devant l’entrée de l’abbaye Saint-Pierre-Saint-Paul de Solignac, en Haute-Vienne, le 21 mars 2024 / PASCAL LACHENAUD / AFP

Ils craignent que le village ne devienne un « fief intégriste » à l’instar de Fontgombault (Indre) où, selon eux, les moines bénédictins de la congrégation de Solesmes ont « pris le contrôle » de la ville.

Depuis deux ans, des familles nombreuses se sont installées à Solignac et aux alentours, et d’autres sont à la recherche d’un logement, selon les élus locaux.

«Là où il y a des communautés monastiques, il y a un effet de halo avec le regroupement de familles en quête d’une offrande religieuse de plus en plus rare et d’un environnement de socialisation catholique», corrobore Yann Raison du Cleuziou, chercheur spécialiste du catholicisme.

Il y a deux ans, un promoteur immobilier ciblant les lieux spirituels chrétiens, Monasphère, envisageait de s’implanter à Solignac, un projet jugé « intéressant » à l’époque par Mgr Bozo. Mais cette entreprise « n’est plus en activité depuis 2022 », précise aujourd’hui le diocèse. Un programme similaire en Indre-et-Loire a échoué face à la résistance des habitants.

Le Cours Saint-Martial, école catholique sans contrat adossée au strict Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, va en revanche déménager de Limoges à Vigen, commune voisine de Solignac, pour s’installer dans un ancien restaurant. Qui était aussi une discothèque, La Gargouille… et est presque devenue un club échangiste.

 
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