« Le patron de Neuhauser-InVivo en Moselle veut briser la forte dynamique militante d’une section syndicale jeune et féminisée »

« Le patron de Neuhauser-InVivo en Moselle veut briser la forte dynamique militante d’une section syndicale jeune et féminisée »
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Entretien. Christian Porta est le jeune (32 ans) délégué CGT de la boulangerie industrielle de Folschviller (270 salariés). Il est également secrétaire du syndicat local de Saint-Avold. Sous le motif improbable de « harcèlement de la part de la direction », il a été licencié le 7 février. La direction est déterminée à obtenir son licenciement mais un mouvement de solidarité très fort s’est déclenché. Chrétien, on le voit aussi à toutes les manifestations de Gaza à Metz, manifestations dont il est l’un des dirigeants.

Pouvez-vous nous parler de votre activité ? Cela n’a pas toujours été cette PME, et en fait Neuhauser n’est plus du tout Neuhauser, une petite entreprise de l’Est de la Moselle, proche de l’Allemagne. Qui est InVivo ?

En 1906, Neuhauser crée sa boulangerie. Son activité se développe mais c’est dans les années 1970 et 1980 que l’entreprise familiale se lie à Lidl. Elle prend une dimension nationale et sera intégrée au groupe Soufflet en 2014. Le syndicalisme n’est pas très fort et les salaires sont très bas. Douze sites de production approvisionnent alors de vastes surfaces en pain et viennoiseries. En 2021, Soufflet est racheté par InVivo, géant de l’agroalimentaire, l’un des plus grands acteurs du productivisme agricole et alimentaire. C’est une multinationale dont le chiffre d’affaires dépasse les 12 milliards d’euros, qui emploie directement près de 15 000 personnes, qui stocke des céréales. Ses commerçants spéculent sur les prix des céréales. InVivo participe directement à la financiarisation de l’ensemble du secteur.

C’est dans ce cadre économique que vous et vos camarades développez votre action. On parle très régulièrement des « Neuhauser », vous avez votre réputation de combativité. On se doute qu’il ne s’agit pas d’une génération spontanée… Et pour vous, comment s’est passée votre entrée dans le militantisme ?

Je suis boulanger de formation. Ayant grandi dans un quartier populaire, un peu punk, je n’étais pas du tout militant lorsque j’ai commencé à travailler chez Neuhauser en 2014 comme intérimaire. Après plusieurs missions j’ai signé un CDI et rapidement j’ai été délégué syndical. La section syndicale se renforce, rajeunit, se féminise au fil de nombreux combats. Des bagarres sur les salaires d’abord, très bas (environ 1 300 euros) et sur les conditions de travail avec des horaires impossibles. Depuis l’intégration à InVivo, il y a eu des mouvements très forts avec des débrayages et des grèves sur la durée du travail, contre un projet de suppression de 180 postes au niveau national. Nous avons fait de réels progrès : nous sommes à 32 heures payées 35 heures ; nos salaires s’élèvent à environ 2 000 euros net. Notre section CGT compte 70 adhérents, principalement des femmes et des jeunes. Un groupe combatif. Le patron de Neuhauser-InVivo en Moselle veut briser la forte dynamique militante d’une section syndicale jeune et féminisée.

Vos actions ne se limitent pas au corps, vous êtes connu pour pratiquer un syndicalisme à grande échelle…

Oui, évidemment, nous inscrivons notre action dans le cadre général, un cadre large. En 2018-2019, « les Neuhauser » étaient très présents dans le mouvement des Gilets jaunes particulièrement fort à Saint-Avold. Pendant le confinement, nous avons imposé que les surplus soient distribués et non détruits… Le 8 mars, grève féministe, nous en avons fait notre affaire. L’interpro, pareil : nous avons participé à dix jours de grève et nous sommes battus pour une stratégie gagnante, pas ces journées saute-mouton.

Votre rôle moteur est connu de tous, évidemment de la direction de Neuhauser et même du groupe InVivo. C’est pour cela que la répression à votre encontre est si forte.

C’est évidemment ça. C’est ce syndicalisme combatif qui est leur cible mais les patrons ne peuvent pas le dire, alors ils inventent le prétexte fou de “harcèlement de cadres supérieurs”. Ce qu’ils aiment, c’est le syndicat des « partenaires sociaux ». Exemple très précis : lors du premier PSE (plan de sauvegarde de l’emploi avec 180 emplois à la clé), ils ont réussi à me donner l’information « en avance » en me disant : “mais discrétion…”. je leur ai répondu “Ça ne va pas être possible, parce que maintenant, je vais partager la nouvelle rapidement”. Ils connaissent également le rôle encourageant que nous jouons auprès de nos collègues des 11 autres sites. Oui, nous sommes têtus, bagarreurs, fermes ! Et ils ne peuvent pas le supporter. C’est le seul motif de la procédure de licenciement. Si quelqu’un est victime de harcèlement, c’est bien moi puisque je suis assigné en permanence à un huissier qui note chacun de mes gestes, mes moindres mouvements… Et ça coûte cher ! Une estimation sérieuse donne l’équivalent d’un 13ème mois pour chacun à Neuhauser-Folschviller. Et puis, et ce n’est pas un détail, je suis sans salaire…

Cependant, la direction ne semble plus s’adresser uniquement à vous. D’autres pourraient à leur tour devenir la cible de la répression…

Il semble en effet que trois autres camarades soient explicitement cités dans les témoignages de la présente enquête. C’est toute une équipe qui est visée, une dynamique collective de revendications que la direction veut briser. Et c’est pourquoi la solidarité doit être large et elle l’est !

Un comité de soutien a été créé. Il prend des initiatives. Quel est son rôle ?

Il y a un mois, devant le siège national d’InVivo à Paris, devant les grands silos du port de Metz, lors de deux rassemblements à Metz et Saint-Avold, la solidarité s’est exprimée et organisée. Le jeudi 25 avril sera une expression forte à Folschviller : toute la filière Agroalimentaire l’appelle et au niveau local, à l’extérieur de l’entreprise, il y aura un écho ! Cette initiative sera très importante, elle se situe juste après l’avis que l’inspection du travail rendra le 22 avril.

« Fin du monde, fin de mois, même combat », dites-vous souvent. Pourriez-vous nous en dire plus sur les convergences très prometteuses qui ont émergé au cours de la dernière période ?

Oui, la convergence est explicite, presque évidente : elle est effectivement très encourageante ! Car InVivo, malgré tout son greenwashing, est l’ennemi de la nature, de l’écologie ! InVivo est au cœur du capitalisme agroalimentaire. Et de l’autre, les écologistes cohérents sont attaqués, réprimés dans les combats pour l’eau, contre les constructions en béton, comme les syndicalistes, comme les Gilets jaunes. A tel point que parmi les soutiens exprimés et véritablement actifs, il y a Extinction Rebellion, Greenpeace, la Confédération Paysanne, Attac.

Propos recueillis par Fernand Beckrich

 
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