Un fauteuil pour l’orchestre – Le site des critiques de théâtre parisien » Les crabes, de Roland Dubillard, mise en scène Franck Hoffmann, à la Scala

16 avril 2024 |
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fff article de Denis Sanglard

Panier de crabes. Un jeune couple en difficulté financière, aux trousses des huissiers, décide de louer leur villa « le Crabe ». La baignoire fuit, le plombier attend, les locataires débarquent. Un vieux couple et leur chien, qui se sont enfuis. Tant mieux, notre jeune couple devant occuper le créneau. Un drôle de vieux en fait. Lubrique, méchant. Et envahissant. Tout cela se terminera par un jeu de mise à mort. Et la baignoire fuit toujours. Qu’il fait bon de réentendre Roland Dubillard, trop souvent réduit à Dialogues. Son univers surréaliste, son verbe poétique, coq-à-l’âne et coquecigrue, son humour ravageur, ici sombre. Une maîtrise des dialogues les plus absurdes, un esprit d’escalier sauvage qui ne cesse de se perdre entre les sous-sols et les hauteurs vertigineuses de notre cerveau. Où la folie de notre humanité l’emporte sur la normalité exprimée par un langage qui part en tangente. La folie règne en maître, rien que de bien normal pour Roland Dubillard, notre monde est fait ainsi et ne peut pas mentir. Crabes en est la preuve où au jeu du pince-mi et du pince-moi tout le monde tombe à l’eau. Nous voici parmi les crabes et ce n’est pas aux vieux crabes qu’on apprend à faire des grimaces. Nous pouvons, jeunes oiseaux, claquer des griffes, résister tant bien que mal à cette invasion, le combat est inégal, tout est cuit d’avance. L’eau monte, la baignoire flotte, les crabes se dévorent. Ionesco avait ses rhinocéros, Dubillard modestement ses crabes. Mais le résultat est le même et pas un seul plombier à l’horizon pour colmater les fuites, de toute façon il est toujours trop tard, l’homme est un crabe pour l’homme.

Frank Hoffmann résume cela avec gaieté et vivacité. Rien n’ajoute ni n’enlève rien à cette sombre farce, pas de gags intempestifs, la situation rien que la situation, qui se suffit à elle-même, suffisamment ébranlée, tordue. Et quelle situation ! Dirige des comédiens qui se donnent à fond, jouant avec le plus grand sérieux et un incroyable talent un texte qui les entraîne dans ce « cauchemar comique » aux confins de l’absurde. C’est totalement exaltant, fou et hilarant. Maria Machado et Denis Lavant forment ici un couple brillamment monstrueux, seuls, imprévisibles et inquiétants, égalés jusque dans leur discorde épique, méchants et libidineux jusqu’au grotesque, vomissant leur haine existentielle jusqu’à ce que tout explose. Avec ces deux-là, la langue de Roland Dubillard est à la fête, c’est peu dire qu’il la maîtrise, ils l’incarnent dans son ensemble avec un sens de la nuance mêlé d’une folie sérieuse. Et face à ces deux-là, nullement impressionnés, ne se laissant pas dévorer vif par leurs aînés, maniant ce verbe avec tout autant de dextérité, Nèle Lavant et Samuel Mercer sont deux jeunes leaders empreints d’une douce folie, toujours prêts à faire des dérapages. . nous le sentons. Ils forment un quatuor complètement soudé et on se dit que oui, à les entendre ainsi, Roland Dubillard avait du génie mais surtout que les absurdités dont il était l’artisan n’étaient que la vision lucide d’un monde à la réalité omniprésente et au tragique. cruauté. La seule différence est que, dans ce croisement d’apparences, il a inclus un humour et une poésie dévastateurs, aussi sombres soient-ils.