Pour ses 30ème édition, le Festival International d’Orgue de Charente reste fidèle à sa mission : faire vivre le patrimoine du Département, principal support de la manifestation, à travers une programmation invitant à la découverte. Cette année de Confolens en Charente limousine à Cognac aux confins de la Saintonge, avec l’orgue de la cathédrale d’Angoulême comme épicentre naturel (1).
Restauré en 2012-2015 mais resté muet une partie de l’année dernière (renouvellement des peaux, consolidation de l’harmonie), ce dernier démontre désormais un équilibre nettement plus convaincant, ainsi que le concert d’ouverture du Festival a magnifiquement permis de le vérifier. Contrairement à l’œuvre créée en 2023 – poème symphonique Avec une aileforme transitionnelle audition partielle de l’opéra achevé mais pas encore créé de Frédéric Ledroit (photo de droite.) (2) –, l’ouvrage découvert le 6 avril s’inscrit dans la continuité de son cycle précédent, Cosmos op. 58 (3), inspirée par la rencontre du compositeur avec Hubert Reeves, décédé l’automne dernier.
L’orgue de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême © Mirou
Sous-titré « Huit poèmes métaphysiques pour orgue », Odyssée op. 62 a été présenté en ouverture du Festival sous la forme d’un spectacle complet avec danse, Christine et Isabelle Baye (Compagnie Contes et Chimères) improvisant en musique, projection de tableaux de Lionel Catanzano (Agde) et poésie. Le cycle, « sorte de voyage contemplatif de ce qui me dépasse » et dont le thème général est la création, s’ouvre sur Chaossombre mais avec un lyrisme porteur d’espoir, continue via la mythologie grecque : Gaïa, Ouranos Et Pangée (continent primordial) et théologie chrétienne : Logosde l’incarnation du Christ à Teilhard de Chardin (noosphère ou « sphère de la pensée humaine »). Ce qui suit Humainà la mémoire du pianiste argentin Alberto Neuman (1933-2021), musicien et pédagogue extraordinaire, et LUCAacronyme de Dernier ancêtre commun universel (dernier ancêtre commun universel) : organisme le plus récent dont sont issues toutes les espèces vivantes – et leur infinie diversité. Le cycle se termine par le « dépassement de notre humanité charnelle » : Transcendance.
Pour ces huit méditations ayant un format commun et une progression interne, Frédéric Ledroit met en œuvre une écriture complexe avec une concentration affirmée, la richesse de la matière et le renouvellement du traitement répondant à une vigoureuse concision, renforcée par une approche instrumentale centrée sur l’essentiel, sans dispersion ni effets de timbre. Dans ce contexte d’exposition complète, chaque pièce était précédée de textes du poète et philosophe Louis Pailloux (photo de gauche), écrits pour le cycle Odyssée, poèmes puissamment déclamés par l’auteur – théogonie d’un Hésiode pour notre temps convoquant tour à tour la mythologie antique et interrogeant avec aplomb Dieu et l’homme. Du rythme de l’alternance poésie et musique émerge tout un ensemble d’une cohérence saisissante, comme autant d’atouts d’une réflexion tour à tour impulsive et méditative.
Le Festival se poursuit jusqu’au 28 avril : après un programme de chœurs, voix soliste et orgue à Confolens, puis guitare : le compositeur de jazz Christian Escoudé, et orgue à Mansle, concert précédé d’une conférence de Florent Gaillard, chancelier de l’Académie Angoumois, le Festival vous permettra d’entendre, à Angoulême, la combinaison des cors de chasse et de l’orgue. Les concerts suivants mêleront à nouveau orgue, chœurs, voix solistes et/ou cuivres, ainsi qu’à Roumazières-Loubert, Montbron, Ruffec, Barbezieux, La Rochefoucauld – avec Pascal Clarhaut, trompette solo de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris. Ce grand parcours évocateur du patrimoine instrumental charentais se clôturera à Cognac par un récital de Roland Maria Stangier, depuis 2022 organiste en résidence à St. Lorenz à Nuremberg.
