à La Réunion, les centrales électriques passent des énergies fossiles aux matières végétales

Le défi de la transition énergétique se pose dans les îles et territoires d’outre-mer. En effet, comment produire de l’électricité sans énergies fossiles quand on n’a ni centrale nucléaire ni pays voisins à importer si nécessaire ? La Réunion est le laboratoire de cette transition initiée par la France avec la reconversion des trois principales centrales thermiques. Ils produisent désormais de l’électricité avec de la biomasse, c’est-à-dire de la matière végétale.

Grâce à ces travaux menés entre l’année dernière et cet été, La Réunion passe d’une électricité issue à 70% d’énergies fossiles à une production presque entièrement renouvelable et beaucoup moins polluante. Cette conversion se voit et se ressent sur le Grand Port, près de Saint-Denis-de-La Réunion. Face à l’océan Indien, une centrale EDF produit 40 % de l’électricité de l’île. Elle brûlait du fioul lourd jusqu’à l’automne dernier, mais désormais une légère odeur d’huile de colza flotte à la base des moteurs. « Comparé au fioul lourd, il sent vraiment beaucoup moins. Certains avaient peur que ça sente un peu la friture mais en réalité c’est inodore », commente Alexandre Sengelin, le directeur de cette usine.

« Aujourd’hui, nous disposons de fumées totalement transparentes, totalement exemptes de poussière et de carbone. Selon la réglementation européenne, cela signifie que la plante, au cours de sa croissance, a absorbé au moins autant de dioxyde de carbone que ce que nous émettrons au moment de la combustion. Localement nous émettons encore du dioxyde de carbone, à l’échelle planétaire nous économisons 500 000 tonnes chaque année », se félicite Alexandre Sengelin.

La centrale EDF divise ainsi par trois ses émissions de CO2. Parallèlement, les deux autres centrales thermiques de La Réunion sont également en cours de conversion du charbon vers un matériau solide, à base de bois. Ces deux sites sont exploités par la société Albioma. Le premier, celui de Bois-Rouge, au nord-est de la Réunion, a terminé ses travaux d’aménagement en 2023. Ceux du second, à Gol au sud-ouest de l’île, sont en cours et doivent s’achever cet été.

Fini les tas de charbon à l’entrée de ces deux centrales. Les granulés de bois sont d’abord stockés au port, dans de grandes coupoles construites à côté de la centrale EDF. Ils sont ensuite transportés par une série de camions, de nuit, vers les sites de production. Albioma assure qu’avec cette conversion, les émissions de CO2 de ces deux centrales réunionnaises diminueront de 80 à 85 %, à l’échelle mondiale – y compris la transformation du bois et le transport.

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Les dômes de stockage de granules de bois construits sur le site de Bois-Rouge. (LAURIANE DELANOE / RADIOFRANCE)

C’est ainsi que l’électricité produite à La Réunion devient quasiment 100% renouvelable. Mais experts et ONG critiquent une reconversion moins verte et difficile à pérenniser. D’abord parce que cette biomasse – matière végétale – coûte bien plus cher que les autres sources d’énergie et parce qu’elle vient de loin. L’huile de colza arrive de France métropolitaine alors qu’Albioma importe des granulés de bois principalement des pays du bassin Indo-Pacifique, mais également du Canada. C’est ce que dénoncent des ONG comme Reclaim Finance, Attac, Extinction Rebellion et Greenpeace.

Christophe Barbarini, militant de Greenpeace à La Réunion : « L’énergie que nous allons brûler localement, nous allons la brûler en produisant moins de dioxyde de carbone et en produisant également moins de soufre. Nous ne pouvons donc que nous en réjouir. Mais passer des centrales électriques qui brûlent du fioul aux centrales électriques qui utilisent des pellets et du colza mais qui ont besoin de fioul pour effectuer tout le trajet, cela représente des dizaines de milliers de kilomètres de transport. Il y a une forme d’hypocrisie.

EDF explique que le transport maritime de sa biomasse liquide est moins émetteur que celui du fioul lourd utilisé : d’abord parce que le fioul provenait de la mer du Nord, selon Alexandre Sengelin, avec une escale en Arabie Saoudite, soit “une distance plus grande que celle parcourue par l’huile de colza, qui arrive d’une usine de Sète”. Le directeur de la Centrale électrique de Port-Est précise également que les navires consomment moins car la biomasse est moins dense que le fioul. La réponse du président d’Albioma est concise : « Il vaut mieux importer de la biomasse que du charbon, ce n’est pas parfait mais c’est mieux ». Frédéric Moyne met également en avant l’utilisation de plantes locales.

La moitié de l’année, ces deux centrales réunionnaises brûlent de la bagasse – résidus de canne à sucre – et l’entreprise développe la valorisation du bois directement sur l’île. « Par exemple, les résidus de palettes, les déchets verts, les troncs d’arbres tombés après un cyclone, la biomasse agricole, etc. énumère Frédéric Moyne. Aujourd’hui nous travaillons sur la paille de canne qui reste dans les champs. Pouvons-nous récupérer un morceau de cette paille pour alimenter nos chaudières, cela signifiera moins de biomasse importée. Albioma va également bientôt brûler les déchets ménagers. A terme, ce nouveau matériau local doit représenter 10 % de la production de ses centrales électriques. De son côté, EDF souhaite récupérer l’huile de friture des restaurants réunionnais mais cela sera marginal.

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La centrale Albioma de Bois-Rouge est adossée à une sucrerie, visible en arrière-plan. On récupère ainsi la bagasse. (LAURIANE DELANOE / RADIOFRANCE)

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La centrale Albioma de Bois-Rouge est adossée à une sucrerie, visible en arrière-plan. On récupère ainsi la bagasse. (LAURIANE DELANOE / RADIOFRANCE)

La centrale Albioma de Bois-Rouge est adossée à une sucrerie, visible en arrière-plan. On récupère ainsi la bagasse. (LAURIANE DELANOE / RADIOFRANCE)

Pour limiter l’impact de la conversion, il serait impossible de trouver sur l’île tous les matériaux nécessaires à la production d’électricité. EDF indique avoir besoin d’environ 200 000 tonnes de biomasse à base de colza par an. Albioma, qui importait chaque année 600 à 700 000 tonnes de charbon à La Réunion, estime ses importations à 800 000 tonnes de granulés de bois chaque année, pour ses deux sites thermiques.

Près d’un million de tonnes de biomasse seraient nécessaires sur l’île, selon les calculs de Stéphane His. Plus largement, ce consultant indépendant basé à La Réunion alerte sur l’occupation des sols à l’échelle mondiale. « Au total, il faudrait chaque année une superficie équivalente à celle de La Réunion pour produire cette biomasse. Donc, à mon avis, ce n’est pas durable, d’autant plus qu’il existe un marché mondial pour l’huile végétale. quoi qu’il arrive, il faut aussi de l’huile végétale pour faire des frites ou manger de la salade, il assure. Derrière, la conséquence est que vous augmentez la pression globale, ce qui signifie que vous allez chercher des terres supplémentaires pour produire un surplus d’huile végétale. C’est la même chose pour la forêt ! Le bénéfice carbone est donc annulé. Plus généralement, c’est évidemment une impasse.»

Alors comment décarboner complètement la production électrique à La Réunion ? Stéphane His travaille pour un projet d’éolien offshore porté par les sociétés Akuo et BlueFloat. Albioma commence à explorer les possibilités de la géothermie pour capter la chaleur de ces terres volcaniques, mais ces projets doivent encore être réalisables. Jusque-là, pour son électricité, l’île s’appuie donc sur la biomasse, sur ses panneaux solaires de plus en plus nombreux, ses barrages EDF et quelques éoliennes terrestres. D’ici 2028, EDF prévoit de convertir en électricité les centrales thermiques d’autres territoires isolés : Corse, Guadeloupe, Martinique et Guyane. En incluant la reconversion de Port-Est à la Réunion, cela représenterait une réduction des émissions de dioxyde de carbone de 2,5 millions de tonnes par an, selon EDF.

 
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