Trois décennies après le début du génocide des Tutsi au Rwanda, la communauté rwandaise du Québec rend hommage aux centaines de milliers de victimes. Les blessures sont encore vives, mais l’espoir est toujours vivant.
Lorsque nous le joignons au téléphone dimanche matin, Jean-Bosco Kayonga, président de la communauté rwandaise du Québec, se prépare pour la cérémonie commémorative du trentième anniversaire du génocide qui a décimé près d’un million de personnes au Rwanda.
Nous avons échappé de peu [à la mort]nous étions avec les gens qui souffraient, qui étaient massacrés, parfois sous nos yeux, et nous nous en sortions par miracle
raconte celui qui, au moment du drame, était alors étudiant.
Une cérémonie rendant hommage aux victimes du génocide rwandais de 1994 a eu lieu à l’église Saint-Dominique.
Photo : Radio-Canada / Philippe L’Heureux
Jean-Bosco Kayonga doit se réunir, quelques heures plus tard, avec d’autres survivants du génocide. Juste pour vous donner un peu de force en ce jour très sombre de l’histoire de votre peuple.
Nous sommes toujours traumatisés, mais nous essayons de vivre avec. Être ensemble nous permet d’être très forts, de tenir debout, de tenir le coup et de regarder vers l’avant. Et parce qu’individuellement, vivre tout cela, même après 30 ans, n’est pas facile
confie l’homme.
Plus important encore, M. Kayonga le fait pour ceux qui ne sont plus, pour ceux qui ont été emportés par le drame.
Nous avons un devoir, nous portons ce devoir de mémoire. Nous n’avons pas le droit de les oublier
il a dit.
Un désastre international
Ce douloureux anniversaire est aussi l’occasion, estime Jean-Bosco Kayonga, de se souvenir des échecs commis par la communauté internationale au printemps 1994.
Les grandes puissances occidentales sont restées silencieuses, malgré de nombreux appels à l’aide, lancés à l’époque notamment par le général canadien Roméo Dallaire.
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Roméo Dallaire a été témoin du génocide commis en 1994 au Rwanda et appelle aujourd’hui la communauté internationale à agir. (Photo d’archives)
Photo : Peter Bregg
Celui qui a exposé au monde les atrocités commises par les Hutus lors d’une mission pour le compte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) évoque aujourd’hui un sentiment de déjà-vu au regard de l’actualité.
Même avec 25 ans de thérapie et toujours sous pilules, je peux vous dire qu’en voyant ce qui se passe en Ukraine, au Myanmar et à Gaza, le sentiment est encore beaucoup plus profond et viscéral.
» mentionne l’homme de 77 ans.
Si la communauté internationale n’intervenait pas au Rwanda, elle devrait s’impliquer dans les conflits actuels, croit fermement Roméo Dallaire.
Aujourd’hui, alors que l’on assiste à un scénario encore génocidaire, je le considère comme une perversion et une abdication de la classe politique internationale envers l’humanité.
Nous voyons l’Ukraine aujourd’hui, nous voyons Gaza aujourd’hui : où sont ces hommes courageux aujourd’hui ?
ajoute Jean-Bosco Kayonga.
Les jeunes et le courage
30 ans plus tard, le temps a passé, mais les risques restent grands. Beaucoup, beaucoup, beaucoup
du travail reste à faire, juge M. Kayonga.
La vie, pour qu’elle soit belle, a besoin d’hommes courageux
il philosophe.
Le président de la communauté rwandaise du Québec se tourne alors vers la jeunesse, clé d’un changement réel et définitif, selon lui.
Il faut donc leur apprendre à être ces hommes courageux de demain. […] Il est très important que les jeunes suivent la politique et comprennent que le monde de demain leur appartient.
pense le Rwandais.
Responsabilité des médias
Le fantôme de la Radio Télévision Libre des Mille Collines, ancien média considéré aujourd’hui comme l’un des principaux artisans du génocide, erre toujours.
Cette radio privée a semé la haine pendant près d’un an, entre 1993 et 1994, à coups de propagande. Le pouvoir des médias avait alors été détourné au profit de la mort, rappelle M. Kayonga.
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Le crash de l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana a été suivi d’un génocide de cent jours en 1994. (Photo d’archive)
Photo : Associated Press / Jean-Marc Bouju
En 2024, les médias du monde entier ont intérêt à tirer les leçons de la tragédie, estime le président de la communauté rwandaise.
Il faut chercher de chaque côté, ce qui est bien, ce qui est mal, mais quand on dit juste que les autres sont mauvais, que les autres sont bons, ça finit par éclater
il conseille.
Du courage d’action, mais aussi des nuances et des faits. Une solution pour contrecarrer la haine, résume Jean-Bosco Kayonga.
Avec la collaboration de Philippe LHeureux