Il y a 100 ans, Irma LeVasseur, la première femme médecin francophone au Québec, fondait le premier hôpital pédiatrique au Québec. Cette précurseur de la médecine pédiatrique a consacré sa vie à soulager les enfants pauvres et à lutter contre la mortalité infantile. Tu la connais?
Irma LeVasseur est née en 1877, à Québec, dans une famille plutôt artiste. On peut dire que l’influence familiale ne la destinait pas à une si belle carrière scientifique. Son père, Louis-Nazaire LeVasseur, est journaliste, écrivain et musicien, et sa mère, Fédora Venner, est chanteuse. La jeune Irma a fait son cours classique au Collège Jésus-Marie de Sillery, puis elle a étudié à l’École Normale Laval. Ses études l’ont amenée à une carrière d’enseignante, mais au fil du temps, elle s’est davantage intéressée aux sciences et plus particulièrement à la médecine.
Malheureusement, pour des femmes brillantes comme elle, les portes des universités sont difficiles à ouvrir. A la fin du 19èmee siècle, aucune université francophone du pays n’accepte les femmes en médecine. Certes, Bishop’s University (langue anglaise) les accueille, mais la formation n’est que théorique, elle n’offre pas la possibilité de stages pratiques. Pour réaliser son rêve et devenir un véritable docteur en médecine, Irma devra donc déménager aux États-Unis, ce qui demandait de l’audace et de la persévérance pour une jeune femme de l’époque.
DOCTEUR LEVASSEUR
Photo gracieuseté de Bibliothèque et Archives nationales du Québec P655,S2,SS6,D8/Domaine public
Irma LeVasseur a introduit de nouvelles pratiques pédiatriques au Québec et a été une pionnière des soins pédiatriques dans la province.
Irma, à peine âgée de 17 ans, sera reçue à l’Université Saint-Paul du Minnesota. Elle a la chance de loger chez un ami de la famille, le docteur Canac-Marquis.
L’université américaine lui permet d’apprendre la théorie, mais aussi de faire de vrais stages en milieu hospitalier. C’est dans cette pratique de terrain qu’elle a croisé la route d’une femme exceptionnelle, le Dr Mary Putnam Jacobi. En plus d’être une militante engagée pour le droit de vote des femmes aux États-Unis, Mary Putnam Jacobi a été la première femme américaine à être admise à l’École de médecine de Paris. Elle est également à l’origine de la fondation de la première clinique pour enfants de New York. Un médecin très inspirant, un battant qui guidera Irma LeVasseur toute sa vie.
Photo gracieuseté de American Women: Fifteen Hundred Biographies with Over 1,400 Portraits, 1897, Wilhelm, New York/Public Domain
L’Américaine Mary Putnam Jacobi était une médecin et une enseignante reconnue. Scientifique respecté et engagé.
Six ans plus tard, en 1900, Irma LeVasseur revient au Québec avec un doctorat en médecine, mais elle doit attendre. Comme le Québec n’était pas encore prêt à ouvrir ses portes aux femmes de la profession, elle a attendu trois longues années avant d’obtenir le droit d’exercer la médecine à domicile. Pendant ce temps, elle exercera chez nos voisins du sud, jusqu’à ce qu’un projet de loi privé, adopté en avril 1903, lui permette enfin d’intégrer le très hermétique Collège des médecins et chirurgiens de la province. du Québec. Ainsi, à 25 ans, Irma LeVasseur devient la première Québécoise francophone à obtenir ce privilège.
Ce qu’elle découvre dans les hôpitaux québécois l’attriste. Les soins hospitaliers, notamment ceux dispensés aux enfants, sont dangereusement insuffisants. Il faut dire qu’à l’époque la mortalité infantile était effroyable. Un enfant sur quatre meurt avant sa première année de vie. En effet, au début des années 1900, aucun hôpital pédiatrique n’offrait de services aux francophones du Québec.
Photo fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Justine Lacoste-Beaubien
Les soins pédiatriques au début du XXe siècle.
Pour avoir un impact sur cette situation dramatique, Irma LeVasseur doit parfaire sa formation universitaire. Elle a donc décidé de se retrousser les manches et de traverser l’Atlantique pour approfondir ses connaissances sur les maladies infantiles en Europe.
Irma LeVasseur revient au Québec en 1906 et s’installe à Montréal, une nouvelle spécialité en chirurgie et pédiatrie en poche. Du jamais vu en province ! Elle dispose désormais de bien d’autres outils pour lutter efficacement contre cette épouvantable mortalité infantile.
JUSTINE ET IRMA
Photo gracieuseté de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds de la famille Landry, P155,S1,SS2,D38,P2/Domaine public
Cofondatrice de l’Hôpital Sainte-Justine, Justine Lacoste-Beaubien consacre près de 60 ans à la cause des enfants malades.
Son grand rêve prend forme plus tard lorsqu’elle réussit à tisser des liens avec de riches femmes bourgeoises de Montréal, dont une en particulier, Justine Lacoste-Beaubien. Cette dernière s’impliquera activement avec Irma dans la recherche de financement pour créer le premier hôpital pédiatrique canadien-français au Québec. Oui, vous l’avez sans doute deviné, ce sont les principaux fondateurs de l’Hôpital Sainte-Justine. Ce petit hôpital pédiatrique installé, à ses débuts, dans une maison ouvrière, rue Saint-Denis, ouvre ses portes le 26 novembre 1907.
AU SERVICE DE L’OUTRE-MER
Photo Domaine public
Au début du 20e siècle, Montréal est dévastée par la mortalité infantile. Son taux est le plus élevé d’Occident et le deuxième du monde, derrière la ville de Calcutta, en Inde.
Bien qu’administratrice et l’une des fondatrices de l’hôpital pour enfants, Irma quitte l’établissement en 1908. Elle s’occupe d’abord des enfants à la crèche Misericordia, puis dans plusieurs autres pays. Après un séjour à New York, on la retrouve par exemple en Serbie, où elle soigne des victimes du typhus (une épidémie qui fera 800 000 morts en moins de deux ans).
Courageuse, elle prend de nombreux risques pour sauver des vies. En 1918, elle s’est portée volontaire comme médecin militaire en France, avant de retourner aux États-Unis pour travailler pour la Croix-Rouge.
100 ANS CE PRINTEMPS
Photo fournie par Archives de Québec, Fonds Thaddée Lebel
En janvier 1922, la pédiatre Irma LeVasseur acquiert la propriété située au 55, Grande Allée, à Québec. Elle veut y installer un dispensaire pour soigner les enfants malades de la capitale. Moins d’un an après l’achat, l’hôpital pédiatrique ouvre ses portes.
Elle revient finalement au pays en 1922, mais cette fois, elle s’installe dans sa ville natale, Québec, toujours habitée par une passion et une détermination à s’occuper des enfants. Elle achète alors, avec ses quelques économies en poche, une maison pour abriter l’hôpital de ses enfants qu’elle vient de créer avec les docteurs Édouard Samson et René Fortier. Ainsi, le 29 avril 1923 – il y a 100 ans ce printemps – notre infatigable Irma LeVasseur devenait l’instigatrice d’un deuxième grand hôpital pédiatrique de la province. Quatre ans plus tard, cependant, elle quitte l’établissement pour fonder une clinique pour enfants handicapés dans le quartier Saint-Jean-Baptiste.
Par la suite, elle tentera, sans succès, de créer une autre clinique pédiatrique au Québec. Elle monte une crèche, qui fermera ses portes. Elle contribue également à la création d’une école pour enfants handicapés. Finalement, épuisée par ses projets et ses soucis financiers, elle s’enrôle dans l’armée canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce travail dans l’armée sera probablement son dernier poste en médecine. Elle a définitivement cessé de pratiquer la médecine et de s’occuper de nos petits à l’âge de 66 ans.
DE GRANDES RÉALISATIONS DANS L’OMBRE
Photo fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds du ministère de la Culture et des Communications (03Q,E6,S7,SS1,P78600), Paul Carpentier
La première institution pédiatrique au Québec a été ouverte en 1923.
Il faut savoir que les nombreuses réalisations extraordinaires du premier médecin québécois francophone se sont faites plutôt dans l’humilité et la discrétion. Ce n’est qu’en 1950 que ses réalisations, sa persévérance et surtout son extraordinaire courage sont honorés de façon très modeste.
Le docteur LeVasseur décède en janvier 1964, seul et sans un sou, dans la plus grande indifférence. Pas de funérailles nationales et très peu de couverture médiatique pour informer la population québécoise ou même honorer sa mémoire.
Heureusement, nous nous sommes bien remis depuis, entre autres grâce à une plaque commémorative installée à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus ainsi que le prix Irma-LeVasseur, décerné à une femme médecin ayant plus de 10 ans de pratique. Aujourd’hui, nous honorons la mémoire de cette pionnière rebelle et persévérante, qui a consacré l’essentiel de sa vie à prendre soin des autres. Elle a largement contribué à l’accès des femmes à l’enseignement supérieur et a donné naissance à des établissements de soins pédiatriques de renommée internationale.