Dans une société marquée par les inégalités sociales, le livre‘s’impose comme un puissant outil de transformation. Mais peut-il vraiment conduire à l’émancipation ? La Criée – Théâtre national de Marseille a organisé le 1est Décembre 2024 un échange mené par Marcelle avec Alice Zeniter qui signe avec Edène une adaptation adaptée du roman Martin Éden par Jack Londres. Les intervenants ont débattu des limites et des promesses de l’émancipation par la culture et‘art.
Pour Valérie Dufayet, professeur de philosophie, l’émancipation est une notion complexe. Le fondateur du‘association Phil‘Osons souligne que même si cela constitue un premier pas crucial, il ne garantit pas une libération totale. Elle cite le‘exemple de l’émancipation des esclaves aux États-Unis. Adoptée par Lincoln en 1863, mais remise en question par Martin Luther King un siècle plus tard. ” Cela montre clairement que cette émancipation a été inscrite dans la Constitution, mais que les États-Unis en sont encore presque au même point. « . Elle conclut que « l’émancipation est un acte fondateur, mais le chemin vers la liberté est bien plus long « . Car, selon elle, on ne brise jamais toutes nos chaînes.
Danser avec ses chaînes
La question des chaînes, qui‘qu’elles soient sociales, psychologiques ou symboliques, est au centre du débat. Valérie Dufayet, citant Nietzsche, déclare : « Être libre, c’est‘c’est apprendre à danser avec tes chaînes « . Pour Alice Zeniter, les chaînes ne sont pas le problème. La question est de savoir comment conserver notre loyauté à partir du moment où nous évoluons socialement, lorsque nous devenons des transfuges de classe ? Comment rassurer les personnes que l’on aime et qui ont le sentiment de nous perdre ? Une situation très difficile pour l’écrivain. ” Parce que, dès qu’on fait quelque chose qui va au-delà des pratiques habituelles, les gens se disent, mais pour qui se prend-elle ? » L’auteur deEden (bonus) décrit à travers son personnage une tension constante entre « chercher à appartenir à un environnement qui ne veut pas de nous et rester fidèle à un environnement qui croit que nous le trahissons lorsque nous faisons un pas de côté ».
Une adaptation éprouvante
Alice Zeniter souligne que cette tension, surnommée « le cheval à bascule » en sociologie, renvoie à la pratique du code-switching, où‘l’individu passe d’un environnement à un autre. ” Être caméléon serait une autre façon de le dire. « . Selon elle, nous avons la capacité de reproduire les codes du nouvel environnement pour être accepté. Et ceux de l’environnement d’origine semblent toujours y appartenir. Mais cela nécessite des compétences exceptionnelles, qui peuvent s’avérer éreintantes. ” Un effort coûteux dont nous commençons tout juste à parler ».
Un geste amoureux à l’origine de cette transclasse
L’auteur et réalisateur rejette cependant‘idée queEden ou une histoire d’émancipation. ” Les histoires d’ascension sont des histoires toujours motivées par un désir de reconnaissance, de gloire, de « je veux mettre Paris à mes pieds ». Nous les avons à Maupassant, chez Balzac, où l’on veut rompre avec une condition de servitude initialement douloureuse. Mais ce n’est pas ça « . L’auteur explique : « Comme le dit Edène, nous considérons que la rencontre avec la beauté et la pratique de la création artistique ne font pas partie des stocks disponibles pour une certaine classe sociale. « . Le fait d’intervenir dans un combat de rue fait que, tout d’un coup, il y a une déviation et une amorce de mouvement. ” Nous sommes capables de reconnaître cette beauté, de nous en brûler. C’est un geste d’amour. C’est la même tension qui pousse Edène vers l’écriture et vers Rose. C’est une question de désir, d’admiration. Et de se dire « je veux tout ce qu’il y a de grand et tout ce qu’il y a de beau à l’intérieur » ».
Soyez fier de vos origines
Une intervention dans la salle met en lumière‘l’importance de ne pas percevoir l’émancipation comme un renoncement à soi-même. ” Comme quelque chose de laid et de problématique en nous qu’il faut abandonner pour aller vers ce que la société nous propose. Nous ne pouvons pas nous émanciper de ce‘nous sommes. Nous‘enrichi de quoi‘nous sommes et nous‘apporte à la société », explique cette femme, qui souligne la chance d’avoir eu un mère qui lui disait toujours qu’elle était extraordinaire et qu’elle devait construire une vie choisie. Une richesse qu’elle offre aujourd’hui, entre autres, à l’école de cinéma Horaires d’audience. « Nous avons des étudiants extraordinaires, que je soutiens en tant que mentor. Mais il y a une courbe dangereuse lorsqu’ils grimpent vers leur rêve. À un moment donné, certains tombent. Parce qu’ils ne sont pas fiers de leurs origines, ils veulent ressembler à des jeunes issus d’un milieu qui n’est pas le leur. ».
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Au final, une possible illusion
Cette anecdote rejoint aussi, pour Alice Zeniter, l’idée du nouveau paradis que l’on atteindrait. ” On se heurte en effet aux obstacles du classicisme, des préjugés, du rejet. Une partie de la tragédie de‘Edène c’est se rendre compte que le paradis que‘elle a imaginé que c’était une illusion « . Le problème, poursuit-elle, c’est qu’il est difficile de revenir à la vie d’avant. Parce qu’il y a un sentiment de changement qui vient de soi mais aussi des autres, du fait de leur changement de regard. Un spectateur présent dans la salle demande à l’auteur si, lorsqu’elle est devenue célèbre, elle a perdu l’amour de certaines personnes de son entourage. L’auteur répond par la négative, mais évoque un travail émotionnel intense pour préserver ses relations depuis la parution et le succès de son livre « The Art of Losing ».
Légitimité dans le processus d’écriture
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Une lutte contre les stéréotypes
Le débat a également mis en lumière le poids des préjugés sociaux et raciaux. Une question posée par un spectateur remettait en question le choix de‘une actrice noire pour jouer Eden. Ce choix, répond Zeniter, reflète la stigmatisation que peut porter le corps dans une société marquée par la discrimination. ” Aujourd’hui‘aujourd’hui, étant une personne racialisée, il‘c’est faire face à des projections qui restreignent les possibilités. Tout comme Martin Eden était jugé sur son apparence et son origine sociale « . Elle a partagé une anecdote personnelle, liée à son père, lorsqu’elle était jeune étudiante. Une ascendance illustrant comment les apparences influencent les jugements : « Voir un Arabe signifiait, pour certains, voir un balayeur, jamais un lecteur ou un créateur ».
La bibliothèque de rue : un pont vers le possible
Dans les quartiers populaires de Marseille, les bibliothèques de rue gérées par ATD Quart Monde offrent un accès précieux à la culture. Grégoire Kantoucar, Catherine Bouliot et Agnèle Flochel, animateurs de la Rue d Bibliothèque‘ATD Quart Monde, dites : « Avec les livres, les enfants voyagent. Ils découvrent des mondes auxquels ils‘autrement je n’aurais jamais accès « . Ces espaces à ciel ouvert ne se limitent pas à la lecture. Ils deviennent des lieux de partage et‘interaction où parents et enfants se retrouvent autour du livre. Ils‘inclure également dans une approche globale : « Nous ne nous contentons pas de lire. Nous créons du lien avec les familles et ouvrons des perspectives « . Les animateurs soulignent‘l’importance d’offrir des livres de qualité, rejoignant ainsi le‘idée de‘Alice Zeniter selon laquelle la beauté est une porte vers l’éveil.
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Une anecdote rapportée met en lumière la dynamique de l’émancipation : un enfant, d’abord réticent,‘se rapproche progressivement des activités de la bibliothèque de rue, jusqu’à en devenir un participant assidu. Ce type de transformation illustre la capacité des initiatives culturelles à faire tomber les barrières et à promouvoir le développement. Grégoire Kantoucar, un animateur, a également évoqué un moment marquant : « Quand‘un enfant m‘un dit ”Avec vos livres, je voyage plus loin que je ne pourrais marcher’‘j‘compris que la lecture offrait des ailes à ceux qui‘je n’en avais pas ».♦
Prime
#Edèneune jeune femme issue d’un milieu populaire, tombe amoureuse de Rose, née dans une famille bourgeoise culturelle. Dans cette satire sociale du monde littéraire, se rencontrent violence de classe et amour, « héritières » et ouvrières de la blanchisserie d’un abattoir, où Édène travaille pour gagner sa vie. La nuit, elle écrit, convaincue que telle est sa vocation – malgré la fatigue et le mépris. Quelle légitimité la littérature pourrait-elle alors offrir ? D’où vient cette conviction qu’on peut devenir écrivain alors même que son environnement social d’origine semble l’interdire ?
#Les prochaines dates de représentation :
January 15 to 26, 2025 at TPM, Théâtre Public de Montreuil, CDN
6 février 2025 à L’Archipel, Fouesnant
3 avril 2025 à l’Athéna, Auray
April 23 and 24, 2024 at La Maison du Théâtre with Le Quartz, Scène nationale de Brest
April 27, 2025 at La Halle Ô Grains, Bayeux
Le 29 avril 2025 au Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré
May 19 and 20, 2024 at the Scène nationale 61 Le Forum, Flers
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