Déterminée à reprendre le pouvoir sur son destin, la jeune fille s’échappe d’un fort. On sait peu de choses sur elle, sauf qu’elle “ne savait pas lire mais était très pieuse, c’était une fille bonne et pieuse”qui servait une famille. La voilà désormais seule face au froid, au brouillard, à la faim, dans une forêt des plus hostiles, un territoire rude et secret peuplé de bêtes sauvages qui se déplacent sans encombre.
Marie de France, un destin légendaire
Tourments de l’âme
« La faim a aiguisé ses visions »et rien ne semble pouvoir calmer ses terreurs si ce n’est la certitude d’être libre et la détermination qui en découle. Car aux dangers physiques auxquels il doit faire face, s’ajoutent la solitude, les tourments de son âme, de nombreux cauchemars et autres terreurs nocturnes. Comme souvent en littérature, la forêt apparaît ici comme un double de son paysage mental. Ainsi, rêver à son avenir aide quelque peu celle qui a été élevée dans l’attente d’un sauveur, cet homme qui viendrait forcément la délivrer.
“Les Furies” : La mécanique diabolique de Lauren Groff
Si, pour cette jeune femme, l’urgence est de survivre en terres hostiles, elle s’autorise parfois à goûter aux joies de sa condition libre et à quelques instants de pure contemplation dans une nature aussi majestueuse. “Le bonheur de son corps et sa solitude l’envahissaient, et elle se sentait heureuse d’être là dans cette belle nuit de transparence cristalline.” De plus, Lauren Groff ajoute : “C’est une faute morale de rater la beauté du monde.”
Au fil des pages, on découvre un être opportuniste et intelligent, qui pensait aussi à mémoriser la carte du gouverneur avant de partir. Mais son parcours se dévoile aussi dans sa globalité, l’auteur du magistral Les Furies (2017) entrecoupant le récit de son évasion d’épisodes retraçant les moments forts de sa vie depuis sa naissance. Nous réserverons la découverte de celles-ci au lecteur, le sort de ce que nous appelions des Lamentations ne manquant ni de romantisme ni de piquant.
-Nommez bien
Cette nouvelle vie, semée d’embûches, est néanmoins portée par le bon optimisme de celle devenue héroïne. « Elle se donnerait un nouveau nom né de sa lutte pour survivre dans ces nouvelles terres. Il y avait quelque chose de mal à voyager sans nom à travers ce pays sauvage ; elle avait l’impression de traverser le monde sans peau. Nommer correctement les êtres et, au-delà, les choses importe d’autant plus dans le contexte de la colonisation alors à l’œuvre.
Il y a du rythme, du souffle, de l’habileté dans ce roman-conte d’émancipation qui nous emmène dans des pays “sauvage”. Aux côtés de ce rebelle, une femme “Si insignifiant, une poussière aux yeux de Dieu”nous aurons vécu une aventure humaine insolite. Et résolument féministe.
⇒ Les terres sauvages | Roman | Lauren Groff, traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau | L’Olivier, 271 pp., 23,50 €, numérique 17 €
EXTRAIT
“[…] elle a couru le risque d’avoir la gorge tranchée et s’est glissée à travers la fissure de la clôture pour s’enfoncer dans la forêt […]»
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