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« Protégeons les droits des auteurs et des éditeurs en amont »

Comme prévu, les Polonais Sonia Draga est devenue début novembre la première femme présidente de l’influente Fédération des éditeurs européens (FEE), pour un mandat de deux ans. Dans une interview accordée à hebdomadaireselle évoque les enjeux actuels et à venir des mois à venir, avec l’intelligence artificielle (IA) en toile de fond et maintenant les discussions techniques autour des directives concernant directement les acteurs du livre à l’échelle européenne.

Livres hebdomadaires : Quelle est votre réaction à l’annonce de l’arrestation en Algérie de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal ?

Sonia Draga : La situation est très préoccupante. Boualem Sansal, que j’ai également publié en Pologne, est une figure essentielle de la littérature contemporaine, et les pressions auxquelles il fait face pour ses opinions et ses écrits sont alarmantes. Cela montre à quel point la liberté d’expression reste fragile, même en Europe. En tant qu’éditeurs, nous avons la responsabilité collective de protéger ces voix et de garantir qu’elles soient entendues, sans crainte de censure ou de représailles. La FEE suit ce dossier de près et réaffirme son soutien indéfectible à la liberté de publication. Nous sommes intervenus auprès de la Commission européenne et du Parlement européen, qui ont également débattu du sujet en plénière mercredi 27 novembre, et nous travaillerons sans relâche pour la liberté de Boualem Sansal.

Vous avez été élu président de la FEE le mois dernier. Quelles sont vos priorités ?

Ce fut une surprise lorsque j’ai réalisé que j’étais la première femme élue à ce poste. En fait, je serai également la deuxième personne originaire d’un pays d’Europe de l’Est, d’une région post-communiste, à occuper ce poste. Cela représente pour moi un grand défi : montrer d’abord qu’en tant que femmes nous pouvons parfaitement assumer ce type de responsabilités. Mon objectif est de représenter l’ensemble de l’industrie, tous les sexes et tous les droits. Ensuite, il s’agit aussi de montrer que les pays émergents, comme ceux d’Europe de l’Est ou les petits pays apparus sur la scène européenne il y a à peine 20 ans, peuvent être importants. Mes priorités sont multiples, mais elles convergent toutes vers un objectif principal : renforcer l’unité et la résilience du secteur du livre en Europe.

“Pas d’harmonisation par le bas”

Il s’agit notamment de défendre le droit d’auteur dans un contexte technologique en évolution rapide, de lutter pour une meilleure représentation des éditeurs indépendants et de promouvoir la diversité culturelle. Je souhaite également intensifier notre dialogue avec les institutions européennes afin qu’elles comprennent mieux les défis spécifiques auxquels nous sommes confrontés, notamment face aux plateformes numériques et à la concentration des marchés.

Les directives et règles européennes impacteront bientôt les professionnels du livre. Quel rôle la FEE doit-elle jouer sur ces sujets ?

Nous sommes à un moment charnière. Des initiatives comme la directive sur le droit d’auteur ou les discussions autour de l’IA génèrent de profonds changements. La directive sur le droit d’auteur, par exemple, vise à protéger les investissements des éditeurs et à garantir une rémunération équitable aux créateurs du monde numérique, mais sa mise en œuvre varie d’un pays à l’autre, ce qui crée des déséquilibres. Cela dit, une harmonisation par le bas (certaines législations nationales ne sont pas favorables à l’édition) ne devrait pas fragiliser davantage notre secteur. La FEE travaille activement pour garantir que ces lois protègent les intérêts des auteurs et des éditeurs. De même, avec l’arrivée de nouvelles règles sur la durabilité (le règlement sur la déforestation) et l’accessibilité du livre numérique, il faut s’assurer que ces mesures soient réalistes et ne pénalisent pas les éditeurs, notamment les petites structures.

Comment percevez-vous actuellement le marché du livre à l’échelle européenne ?

Le marché du livre en Europe est à la fois résilient et changeant. Nous constatons une forte demande pour des contenus diversifiés, mais également une pression croissante due à la concentration des canaux de distribution et à la domination des grandes plateformes. Les éditeurs doivent constamment s’adapter, qu’il s’agisse de répondre à l’essor des formats numériques ou de promouvoir les livres imprimés dans un environnement de plus en plus concurrentiel.

« Utilisation éthique et équitable de l’IA »

Il est crucial de soutenir l’ensemble de l’écosystème du livre, y compris les librairies indépendantes, qui jouent un rôle clé dans la diffusion des œuvres. En Europe, la richesse culturelle reste un atout, mais elle doit être défendue face à la standardisation.

Vous venez de Pologne. Comment jugez-vous l’évolution du marché du livre en Europe centrale et orientale ?

Le marché du livre en Europe centrale et orientale a réalisé des progrès impressionnants au cours des dernières décennies, mais il reste marqué par des défis spécifiques. Dans des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque, on assiste à la montée en puissance d’éditeurs locaux, mais ils sont souvent confrontés à des contraintes budgétaires et à un public limité. De plus, les politiques publiques de soutien au livre, comme les programmes de lecture ou les subventions aux librairies, sont souvent insuffisantes. Je reste néanmoins optimiste : les lecteurs de cette région manifestent un intérêt croissant pour les ouvrages internationaux et les éditeurs locaux sont de plus en plus audacieux dans leurs choix éditoriaux.

L’enjeu de l’IA pour l’industrie du livre à l’échelle européenne est important. Que dit la FEE à ce sujet ?

L’intelligence artificielle représente à la fois une opportunité et une menace pour le secteur du livre. Elle propose des outils innovants pour la production et la diffusion de contenus, mais elle soulève également des questions complexes en matière de droit d’auteur. Utiliser des œuvres existantes pour entraîner des modèles d’IA, par exemple, pose des questions de rémunération et de respect des droits des créateurs. La FEE continue de militer dans le cadre de la loi européenne pour des solutions garantissant une utilisation éthique et équitable de l’IA grâce à la transparence nécessaire. Nous encourageons également les éditeurs à explorer les avantages que cette technologie peut offrir, tout en restant vigilants quant à ses implications sur la diversité culturelle et l’intégrité du contenu.

Pensez-vous qu’il existe une « approche européenne » en la matière, différente de celle des autres régions du monde ?

Probablement, oui. D’autres continents laissent les outils d’IA se développer sans contrôle. Aux États-Unis par exemple, les grandes entreprises technologiques dominent ce secteur. En Europe, nous avons tendance à réglementer davantage et nous ressentons ces menaces. Si nous ne faisons rien, nous risquons de perdre notre identité. Nous assistons déjà à des procès liés à l’utilisation de voix ou d’images d’acteurs sans leur autorisation. Plutôt que de régler ces questions devant les tribunaux, ce qui coûte cher, il vaut mieux protéger nos droits en amont.

 
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