Et si les jeunes aimaient lire ? S’ils consacrent moins de temps à lire qu’avant, ils sont plus nombreux à le faire et à acheter davantage de livres, explique Romain Gaillard, responsable du Centre national de littérature jeunesse à la BNF.
Par Raphaële Botte
Publié le 30 novembre 2024 à 9h00
UNAlors que le Salon du livre et de la presse jeunesse bat son plein à Montreuil, Romain Gaillard, conservateur en chef des bibliothèques et responsable du Centre national des littératures jeunesse à la Bibliothèque nationale de France, dans une longue enquête approfondie publiée sur le site de l’AOC ( 1), dresse un constat pas si désespérant sur la place de la lecture chez les jeunes. Les jeunes lisent-ils encore un peu ?
Qu’est-ce qui a motivé votre enquête ?
Ce ne sont pas les chiffres de la dernière étude du Centre national du livre qui m’ont gêné, mais plutôt les interprétations catastrophiques tendant à condamner soit les jeunes, soit les parents, avec beaucoup de devoirs et d’obligations de lecture mis en avant dans la foulée… Attention, je Je ne conteste pas ces chiffres, ces études sont sérieuses et très utiles, mais leur interprétation doit être mesurée à l’aune d’enquêtes plus anciennes. Il faut non seulement lire les synthèses mais aussi voir comment elles sont réalisées, sur quels échantillons…
Si les jeunes n’étaient pas lecteurs, ils ne dépenseraient pas leur argent de poche pour acheter des livres ou se les faire offrir en cadeau.
Que permet cette perspective historique ?
Cela permet de relativiser ! Il est normal de s’inquiéter, car la lecture est une activité éminemment importante pour la construction de soi quand on est enfant et adolescent, elle développe les relations familiales et intergénérationnelles, elle est valorisée et enrichissante… Le fait qu’on passe sept fois plus de temps à regarder un écran que la lecture est bien sûr très préoccupante. Mais si l’on regarde la place de la lecture dans les générations précédentes, on se rend compte que nos enfants et adolescents d’aujourd’hui sont bien plus lecteurs qu’avant… Ils consacrent moins de temps par semaine à la lecture, mais ils lisent beaucoup plus numériquement qu’avant, et ils aiment cela de plus en plus. De plus, par rapport au volume d’écrans auxquels ils ont accès aujourd’hui, le temps passé dessus pourrait être bien plus important ! Pour la génération des collégiens, on constate même une réduction de 15 % de leur temps d’écran par rapport à il y a dix ans.
Votre enquête met également en avant le fait que les jeunes achètent plus de livres que par le passé…
C’est un marqueur fort de leur amour et de leur intérêt pour la lecture. S’ils n’étaient pas lecteurs, ils ne dépenseraient pas leur argent de poche pour acheter des livres ou se les faire offrir en cadeau. Ce constat est renforcé par le pass Culture, et ils ne l’utilisent pas seulement pour acheter des mangas ! Dans les années 1950 et 1960, les dépenses en livres étaient bien moindres. Bien entendu, cela nécessiterait des investigations plus approfondies, notamment en rapportant ces données au pouvoir d’achat des ménages.
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Comment entretenir la place du livre ?
Je pense, empiriquement, que cette place est liée à deux choses : des dépenses publiques élevées pour développer la pratique de la lecture, et le bond en avant de la production éditoriale qualitative. La construction de bibliothèques, la multiplication des manifestations culturelles autour du livre, les nombreux bénévoles d’associations comme Lire et faire lire, et bien d’autres, contribuent à l’intérêt pour la lecture. Par ailleurs, l’angoisse du besoin de faire lire aux jeunes a pour effet positif de les pousser à y consacrer de l’argent. Cette enquête nous montre que nous avons réussi en une cinquantaine d’années à avoir un pays de jeunes lecteurs qui l’aiment. Comparez-vous simplement au Royaume-Uni : une étude très récente montre qu’en dix ans de fermeture de centaines de bibliothèques et de licenciements de fonctionnaires, nous nous retrouvons dans un pays où les enfants ne lisent presque plus et aiment moins lire en moins. C’est donc un équilibre extrêmement fragile…
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