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« A la Foire de Brive, tous les livres sont présents »

La Croix : Jérôme Garcin, vous êtes le président du 42e Salon du livre de Brive-la-Gaillarde. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Jérôme Garcin: Cette proposition m’avait déjà été faite il y a quelques années, mais j’ai dû refuser, faute de temps. Ayant passé le relais de « Masque et la Plume » cette année, j’ai accepté cette fois-ci. Je garde de très bons souvenirs de la foire. J’étais venu enregistrer une émission sur « Masque » et aussi un numéro de l’émission télévisée « La Boîte à lettres », que j’animais il y a longtemps. J’aime cet événement à la fois très populaire et très culturel, c’est ce que j’ai essayé de faire à la radio. J’aime l’idée que tous les livres soient présents, littérature, actualité, poésie, bande dessinée…

Le salon s’est imposé comme un rendez-vous incontournable… Comment l’expliquer ?

JG : C’est un rituel : la foire rassemble ceux qui ont participé à la rentrée littéraire, les fait dialoguer entre eux et avec le public. C’est un moment incroyablement multiple et festif. En tant que président, j’ajoute une touche personnelle et quelques invités. Je ne peux pas tous les nommer, mais il y aura les photos d’Hanna Assouline, qui présentera dans différents lieux de la ville une cinquantaine de diptyques en noir et blanc des écrivains dont elle a photographié les visages et les mains, un travail commencé il y a trente ans. Je lui demanderai si elle ne peut pas ajouter un ou deux auteurs, Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 par exemple.

J’ai invité Olivia Gesbert, qui réalise À la NRF et a publié cet automne un numéro consacré à la résistance sous le titre « Alors c’est non ! ». Quatre-vingts ans après la libération de Brive, c’est un hommage à la résistance. Et puis je n’oublie pas ma passion pour le théâtre et le cinéma : il y aura un bel échange entre Marthe Keller et Rachida Brakni. Enfin, j’évoquerai les livres de mes collègues diffuseurs dont je n’ai pas pu parler lors de « The Mask » pour des raisons d’éthique : j’aurai avec moi Frédéric Beigbeder, Sophie Avon, Olivia de Lamberterie, Éric Neuhoff…

Vous parlez de « Masque et la plume », une émission dominicale que vous avez animée pendant trente-cinq ans, jusqu’en juin 2024. Cela vous manque ?

JG : Tout d’abord, je continue mon bloc-notes pour L’Obs : J’ai toujours aimé les livres, le cinéma, le théâtre, et je ne pourrais plus m’en passer. En revanche, je n’ai eu aucun problème à me passer de micro. Si je suis tout à fait honnête, ce qui me manque, c’est l’adrénaline des sessions d’enregistrement. C’est lors de ce moment collectif que s’est cristallisée la passion commune pour la culture, tous horizons et toutes générations confondues. C’était une lourde charge, 52 dimanches par an, tout faire seul… J’ai consacré ma vie à « Le Masque ». Il fallait que je lise tout, que je voie tout…

Pendant l’émission, je devais être fort, chaque semaine, quoi qu’il se passe ailleurs dans ma vie privée. Après la publication de Mon fragile (1), je sentais que je devais aussi penser à mes propres faiblesses. Je suis heureux d’avoir passé le flambeau à Rebecca Manzoni. Bien sûr, j’ai réalisé que c’était ma voix qu’écoutait toute une génération, mais cette émission n’est pas la mienne. Elle a été créée en 1956, il y a eu Michel Polac, François-Régis Bastide, Pierre Bouteiller avant moi.

Cet automne, vous publiez un ouvrage sur les écrivains et la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale (2). N’est-ce pas un sujet douloureux ?

JG : C’est le livre d’un lecteur plutôt que d’un historien. Depuis des années, j’ai une passion, quoique un peu trouble, pour tout ce qui s’écrit pendant les années noires, journaux intimes, correspondance, romans… C’est Régis Debray qui m’a proposé de publier quelque chose dans son recueil « La part des autres ». En accumulant mes notes de lecture, j’ai réalisé à quel point ça faisait mal, oui. Il y a des gens dans ce pays, dans ce milieu littéraire, qui se sont comportés de manière ignominieuse.

Il y a trente ans, j’écrivais mon premier livre Pour Jean Prévost (3), en hommage à cet écrivain résistant décédé dans le Vercors. Les pages d’héroïsme sont rares dans les lettres françaises de l’époque. Cela n’enlève rien au génie de Céline ni au talent littéraire des autres, mais je ne supporte pas qu’aujourd’hui nous puissions nous vanter de la pire littérature antisémite. Je sais que je vais à l’encontre d’une certaine idée fausse selon laquelle “Nous ne faisons pas de littérature avec de bons sentiments.” Pour ma part, je suis heureux d’avoir présenté Jacques Lusseyran, écrivain résistant, aveugle depuis l’enfance et auteur de Et la lumière était (4) et aussi Le monde commence aujourd’hui (5).

De La chute d’un cheval (6), qui évoque la mort de ton père, Mon fragile (1) qui raconte des deuils récents, votre famille est au cœur de votre œuvre littéraire. Comment le comprendre ?

JG : Écrire comporte une part d’impudeur, mais je crois que c’est ce que nous avons tous en commun : nous sommes ce que les événements ont fait de nous. C’est vrai, je suis marqué par le drame précoce. Le refus de l’oubli est le lien de tous ces livres, tirant de l’oubli mon père mort à 45 ans, mon jumeau enlevé à 6 ans sous mes yeux, ces jeunes morts comme mon beau-père Gérard Philipe (36 ans) , le résistant Jean Prévost (43 ans)…

“Les morts n’ont que les vivants comme ressources”, » disait Paul Valéry lors de son discours d’installation à l’Académie française (1927). Je ne crois pas au cliché de l’écriture comme thérapie, mais plus profondément, l’écriture permet de rassembler autour de soi ceux qu’on a aimés et de les faire revivre.

(1) Mon fragileGallimard, 112 p., 14 €.

(2) Des paroles et des actes. Belles lettres sous l’OccupationGallimard, 176 p., 18,50 €.

(3) Gallimard, Prix Médicis 1994, 208 p., €7.40.

(4) La Table ronde, 1953.

(5) La Table ronde, 1959.

 
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