Entre 2010 et 2015, l’émergence des smartphones et des réseaux sociaux a transformé la vie des adolescents, marquant ce Jonathan Haidt appelle dans son nouveau livre Génération Anxiété le « Grand Recalibrage ». Ce virage technologique, à l’origine de la première génération à avoir traversé la puberté les yeux rivés sur son écran, coïncide avec une montée en flèche des troubles mentaux : anxiété, dépression, automutilation et suicide. L’impact de ce phénomène dépasse les frontières et touche également tous les pays occidentaux.
Une génération en souffrance : les chiffres d’une crise silencieuse
Depuis le début des années 2010, les taux de dépression et d’anxiété ont explosé, notamment chez les filles. Les automutilations non mortelles chez les adolescents américains ont triplé entre 2010 et 2015. Les taux de suicide ont doublé. Ces tendances ne sont pas isolées : les mêmes signaux d’alarme apparaissent au Canada et en Europe.
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La datation n’est pas anecdotique, elle correspond à l’apparition de nouveaux réseaux sociaux, Instagram, TikTok, Whatsapp et l’inflexion des courbes de la santé mentale de nos enfants ne s’y trompe pas, elle est vertigineuse et pas dans le bon sens. 15 années durant lesquelles les entreprises technologiques se sont comportées comme l’industrie du tabac, et dont les produits créent une forte dépendance.
Les quatre dommages fondamentaux de l’enfance numérique
Jonathan Haidt identifie quatre mécanismes destructeurs qui expliquent pourquoi l’adoption massive des smartphones a eu un impact si dévastateur.
- Privation sociale : Entre 2012 et 2019, le temps passé par les adolescents avec leurs amis en face à face a diminué de 45 %. Les interactions numériques, souvent asynchrones et superficielles, ne remplacent pas les connexions réelles, nécessaires au développement des compétences sociales et émotionnelles.
- Manque de sommeil : L’omniprésence des écrans perturbe le rythme circadien des jeunes. Les notifications nocturnes et l’utilisation prolongée du smartphone entraînent une baisse de la qualité et de la quantité du sommeil, exacerbant les troubles de l’humeur et les difficultés cognitives associées.
- Fragmentation de l’attention : Les adolescents sont bombardés de centaines de notifications chaque jour, réduisant leur capacité à se concentrer sur une tâche pendant plus de quelques minutes à la fois. Cette dispersion cognitive ralentit le développement des fonctions exécutives, cruciales pour la prise de décision et la résolution de problèmes.
- Dépendance comportementale : Les médias sociaux exploitent des techniques stimulant la dopamine, similaires à celles utilisées dans les machines à sous, pour maximiser l’engagement. Ce conditionnement conduit à une dépendance, aggravant l’anxiété et l’irritabilité.
Les réseaux sociaux, conçus pour capter l’attention, affectent davantage les filles pour plusieurs raisons :
- Comparaison sociale accrue : Les adolescentes sont particulièrement sensibles aux normes imposées par les plateformes visuelles, alimentant un perfectionnisme toxique.
- Cyberagression : Contrairement aux garçons, qui expriment leur agressivité de manière physique, les filles utilisent souvent les réseaux sociaux pour des attaques ciblées ternissant leur réputation.
- Influence sociogénique : Les émotions négatives circulent plus rapidement chez les adolescentes hyperconnectées, amplifiant les troubles psychologiques.
- Exploitation et harcèlement : Les filles sont également plus exposées à des sollicitations inappropriées en ligne, accentuant leur sentiment de vulnérabilité.
Pour les garçons, l’impact se manifeste différemment. Les jeux vidéo et la pornographie en ligne offrent des débouchés qui limitent leur engagement dans le monde réel. Environ 7 % des garçons développent une dépendance problématique au jeu, ce qui détériore leur santé mentale et physique, leurs relations familiales et leur réussite scolaire. Le passage à l’âge adulte devient plus difficile, certains tombant dans une inactivité chronique, décrite comme un phénomène NEET (Pas en éducation, emploi ou formation).
Une responsabilité collective : parents, écoles, gouvernements, entreprises
Jonathan Haidt souligne les responsabilités partagées dans cette crise :
-- Les parentsinfluencés par un culte croissant de la sécurité depuis les années 1990, limitent l’autonomie des enfants, les privant d’opportunités essentielles pour apprendre à gérer les risques et à se développer.
- Écoles ont été incapables d’établir des règles efficaces pour réglementer l’utilisation des smartphones, leur permettant d’interférer avec l’apprentissage et les relations sociales.
- Gouvernements rester passifs en termes de régulation des plateformes numériques, permettant aux algorithmes de capter l’attention des jeunes sans garde-fous. Pourtant, des pays comme l’Australie, qui vient de voter une loi interdisant les réseaux sociaux aux moins de 16 ans, commencent à agir.
- Entreprises technologiques exploiter les vulnérabilités psychologiques des adolescents pour maximiser leur engagement, avec un réel manque de considération pour les conséquences à long terme.
L’urgence d’agir
Face à cette situation, Jonathan Haidt propose plusieurs solutions concrètes pour inverser cette tendance :
- Interdire les smartphones à l’école : Une politique stricte devrait exclure les smartphones des établissements scolaires, à l’exception de leur utilisation pédagogique sous surveillance.
- Promouvoir le jeu libre : Les enfants doivent trouver des espaces pour jouer sans encadrement excessif, développer leur autonomie et renforcer leur résilience.
- Réguler l’accès au numérique : retarder l’introduction des smartphones jusqu’au lycée et instaurer des périodes sans écran dans les foyers.
- Renforcer la réglementation : Inspiré par le Code des enfants En Grande-Bretagne, les gouvernements pourraient imposer des protections spécifiques aux mineurs en ligne et fixer l’âge de la majorité numérique à 16 ans.
En remettant en question les choix éducatifs, technologiques et culturels de la dernière décennie, Génération Anxiété dresse le portrait sans concession d’une génération en quête d’équilibre. Un livre très bien documenté, qui permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la situation, et suggère des actions à mener individuellement en espérant que le collectif gagne.
Génération Anxiété est le livre à lire de cette rentrée 2025, vous pouvez le trouver dans toutes les bonnes librairies. Bonne lecture !
Jonathan Haidt, né en 1963 à New York, est psychologue social et professeur d’éthique. Spécialiste des questions morales, il a enseigné à l’université de Virginie (1995-2011) avant de rejoindre la Stern School of Business de l’université de New York. Auteur de plusieurs ouvrages remarquables, dont L’hypothèse du bonheur (2006), L’esprit juste (2012) et Le dorlotage de l’esprit américain (2018), il fait partie des « grands penseurs mondiaux » selon Politique extérieure et les plus grands intellectuels du monde pour Perspective. Ses conférences TED ont des millions de vues.
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