Il y a des travailleurs sociaux qui, face à l’inacceptable, préfèrent garder le silence de peur d’être mal vus ou de ne pas être suivis par leurs collègues. Difficile de classer Laurent Guenebaut dans cette catégorie.
Nous sommes en 1999. À peine un an après avoir été recruté dans un centre éducatif et professionnel en tant que moniteur fraîchement diplômé, il n’hésite pas à dénoncer son directeur. Lors d’une soirée festive et alcoolisée, elle a eu des relations sexuelles avec un mineur placé dans son établissement ! N’écoutant pas les hésitations des autres professionnels, il a adressé un rapport au procureur. Le trouve-t-il passif ? Il en fait un autre à 119 !
Le directeur démissionne et est remplacé par le chef de service qui avait choisi de ne rien faire, comme ces trois singes de la « (fausse) sagesse » qui ne voient, n’entendent et ne disent rien ! Sans doute pour le neutraliser, l’association patronale a alors proposé à Laurent Guénebaut de prendre le poste de chef de service devenu vacant. C’était ne pas bien le connaître. Cette promotion ne l’empêchera en aucun cas de dénoncer par la suite d’autres dysfonctionnements.
Ainsi commence la longue carrière d’un « insolent, productif », passionné par son travail, mais refusant tout compromis, même ceux lui permettant de miroiter quelques faveurs.. Son engagement et son authenticité transparaîtront dans ses postes successifs qui alterneront entre chef de service et éducateur local. Et ce n’est pas sa position de chef d’un service à domicile, quelques années plus tard, qui le fera hésiter à s’opposer à une décision de réduction des effectifs, imposée par l’ASE.
Laurent Guenebaut a d’abord construit son identité professionnelle sur le terrain, notamment en valorisant le rôle des parents. Mais aussi en croisant des auteurs comme Carl Rogers dont les concepts d’écoute active, de congruence et de reformulation structureront son action. Sa participation aux ateliers d’analyse des pratiques professionnelles animés par l’excellent Guy Hardy aura tout autant d’impact sur lui. Sans oublier les apports de la formation suivie pour obtenir votre CAFERUIS ou thérapeute centré sur la personne.
C’était un de ses réalisateurs qui avait presque sa peau. Il souffre de son harcèlement moral et de ses mauvais traitements. Le combat a été rude pour démontrer au conseil d’administration que ses conflits avec sa hiérarchie ne remettaient pas en cause sa loyauté à son égard. Cela lui a quand même provoqué un burn-out dont il ne sortira qu’au bout de 18 mois. L’occasion d’écrire un premier livre détaillant les phases par lesquelles il est lui-même passé : le déni, la culpabilité et l’acceptation.
« Dis-moi comment tu vois le monde, je te dirai comment ton existence a construit ton appareil pour voir le monde » dit Boris Cyrulnik (cité par l’auteur). Laurent Guénébaut retrace un parcours personnel confronté à de multiples défis. Recueilli par ses grands-parents qui ont élevé, après l’abandon parental, une figure paternelle marquée par la délinquance et la violence, une mère trop vulnérable pour le garder auprès d’elle, un épisode d’alcoolisme dont seule sa femme parviendra à se sortir. Il est des malheurs qui plongent l’existence dans les abîmes, tandis que d’autres semblent la stimuler…
Aujourd’hui formateur indépendant, il travaille régulièrement avec des équipes en quête de cette saveur, de ce sens et de ces valeurs du travail social qui s’effritent.. Aux cadres intermédiaires avec qui il s’adresse souvent, il dresse le portrait du chef de service qui privilégie la sécurisation du travail des professionnels, la construction d’un référentiel commun et la proximité avec le quotidien.
L’auteur montre tout ce que sa longue expérience lui a appris. Maniant tour à tour l’image du chef attendant que sa recette soit améliorée par les ingrédients apportés par les membres de l’équipe, les cinq principes toltèques applicables en management ou encore les facteurs garantissant le bien-être au travail, il parle d’engagement, de distance. et posture professionnelle, avec le langage de celui qui les vit depuis longtemps.
Mais il se garde bien d’apparaître comme un donneur de leçons : « prodiguer conseiller et donner une direction avec la certitude qu’elle est unique et qu’elle doit absolument être prise serait une hérésie de ma part et contraire à mes arguments précédents » dit-il page 149. Remettre en question la cohérence, faire des choix réfléchis, chasser la routine et privilégier la créativité, aussi iconoclaste soit-elle… le rebelle d’il y a 25 ans ne s’est pas effacé. L’éthique qu’il transmet entend faire vivre les valeurs du travail social.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
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