Si l’actualité donne souvent envie de s’évader, l’explorateur et journaliste de terrain Jean-Christian Kipp – également vice-président de la Société française des explorateurs – rend cela possible, sans sortir de son salon, en ayant rassemblé une vingtaine de récits d’aventures dans un livre captivant (1).
Du Cap Horn au Sahara en passant par l’Himalaya, au bout de ces défis et de ces rêves surtout, domine le besoin d’une ouverture vers l’inconnu. Pas toujours “utile”, Cependant, ces expéditions prouvent qu’il ne faut pas baisser les bras, surtout dans les pires moments.
Que signifie être « aventureux » aujourd’hui ?
Tout dépend de la définition de l’aventure. Pour cet ouvrage, nous avons décidé de proposer une approche assez large, c’est-à-dire qui englobe autre chose que la simple exploration. Aujourd’hui, en attendant le voyage dans le cosmos, l’exploration de la Terre est bien avancée. Il y a encore des choses à faire, notamment explorer les fonds marins ou les grottes. En fait, ce que nous considérons comme une aventure, c’est tout ce qui se passe à partir du moment où nous acceptons de nous mettre en danger et sommes prêts à affronter l’inconnu.
L’aventure ne passe donc pas forcément par aller à l’autre bout de la Terre ?
Ce n’est pas forcément de l’autre côté de la Terre et ce n’est pas forcément « grand ». La contrainte de la grande aventure, c’est qu’elle n’a d’intérêt que si elle est communiquée. C’est-à-dire seulement si l’on entreprend réellement une expédition, si l’on invente quelque chose. Il s’agit alors de communiquer. Cependant, au début, il s’agit souvent d’un processus assez solitaire. Si elle n’est pas révélée et promue, la grande aventure ne sert à rien. Il faut que ce soit spectaculaire, au sens noble du terme. Il faut bien sûr que cela soit intéressant mais cela doit aussi donner envie.
Ne serait-ce pas aussi fuir les réalités du monde contemporain ?
Bien sûr. En fait, partir à l’aventure s’apparente un peu à un réflexe de survie. Le monde contemporain est en quête de sécurité et le principe de précaution s’est imposé comme une valeur cardinale. Cela conduit en quelque sorte à accepter sa vie telle qu’elle est. Au contraire, l’aventure consiste à aller au-delà de ce que l’on est. Plus on avance vers une société sécurisée, plus une partie de la population ne la trouvera pas et exprimera ce refus en partant à la recherche de l’aventure. Cela peut être une micro-aventure si nécessaire, comme une retraite spirituelle ou vouloir vivre dans une cabane. Quelqu’un qui joue un peu de la guitare et se dit « je vais faire un concert », cela constitue pour lui une aventure incroyable ! Ses tripes seront nouées, il sera nerveux, il aura peur de ce qui va arriver. Mais il va surmonter cela et se lancer dans quelque chose qu’il ne connaît pas, dont il ne connaît pas l’issue. Une phrase de Blaise Cendrars résume bien l’état d’esprit de l’aventurier : « Alors que j’étais enfermé, j’ai sauté par la fenêtre. »
Alors, la peur fait-elle partie du processus ?
Je pense que chacun a une approche personnelle de la peur. Et je trouve que l’action annihile un peu la peur. Lorsque vous êtes dans l’action, vous parvenez à vous sublimer pour faire ce qu’il faut faire, voire survivre. Si nous ne suffisons pas, nous mourons ou nous avons un vrai problème. On finit toujours par ressentir de la peur à un moment ou à un autre. On dit souvent que le timide a peur d’abord et que l’aventurier a peur ensuite. Ce qui est sûr c’est que si on a peur pendant, c’est foutu ! Toutes ces actions, toutes ces aventures, sont avant tout des combats avec soi-même. Cela demande de la volonté, une énorme force mentale, au-delà de la passion. Il faut tenir le coup quoi qu’il arrive. Jean-Louis Étienne – premier homme à atteindre seul le pôle Nord en 1986 – décrit bien cette évidence qu’il ne faut pas lâcher, même dans les pires moments. S’il n’avait pas ressenti cet instinct de survie, il serait mort. Il le raconte très bien.
L’inutilité peut-elle aussi être la base de l’aventure ?
L’aventure n’est pas forcément utile. Mais cette utilité se retrouve dans le beau geste, le panache, et enfin dans l’utilité intellectuelle ou psychologique car elle aussi peut influencer les autres et ainsi devenir utile. L’expédition Nagalaka, à laquelle j’ai participé par exemple, n’a absolument servi à rien. Mais cela a ouvert des perspectives. Son objectif était d’ouvrir une nouvelle route vers le nord reliant, par une ligne droite, l’est de l’Alaska à la pointe nord du Groenland. Cette ouverture a été rendue possible grâce au génie de Sébastien Roubinet, qui a inventé l’outil pour réussir cette expédition, un catamaran léger monté sur deux tubes composites armés à leur fond d’une lame en Téflon assurant la glisse. Certains itinéraires ne peuvent être tracés par l’homme que grâce à la maîtrise d’un nouvel outil. Dans la même veine, j’ai également traversé l’Amérique du Sud en ULM, sur les traces de l’Aéropostale.
Du Cap Horn à l’Himalaya en passant par les pôles ou le désert, qu’est-ce qui guide l’Homme, la quête de l’absolu ?
C’est la quête de l’inconnu. Il y a un philosophe qui disait : « L’homme est le seul animal qui invente des problèmes qui n’existent pas, et c’est ce qui le fait avancer ». L’aventure, c’est un peu ça.
Le travail de reportage que vous connaissez bien, dans des pays en guerre, est-il aussi une aventure ?
Oui, parce que vous êtes face à l’inconnu. Les guerres deviennent de plus en plus difficiles à couvrir car vous risquez désormais d’être identifié par téléphone et êtes vulnérable aux drones. Quand nous sommes au front, accompagnant des soldats, nous sommes encore confrontés au danger, à une forme d’aventure. Vous avez l’impression de vivre intensément car vous savez que votre vie est précaire, qu’un problème peut arriver à tout moment. Ce sont des moments extrêmement puissants car vous avez à la fois le meilleur et le pire de l’homme. Il y a une sorte de sublimation positive et négative extrêmement prenante.
Vous financez désormais des expéditions. Pour quoi?
J’ai vendu mes entreprises en 2022 puis créé la fondation Odysseus, pour la défense des libertés. Nous délivrons ainsi des bourses d’aventure. Mon principe est que si je vous finance, je vous soutiens. Je suis donc obligé de faire appel à des personnes que je connais, car je leur fais confiance, pour rendre crédible et possible le projet soutenu.
Considérez-vous les marins du Vendée Globe comme des aventuriers ?
C’est un grand débat entre nous… Au-delà du sport, il y a la peur, il y a la solitude, mais ce sont quand même des professionnels qui se sont beaucoup entraînés pour ça. Sortent-ils de leur zone de confort ? Je dirais que cela dépend des courses mais il est clair que dans le Vendée Globe, compte tenu du parcours qu’on emprunte, il y a toujours une part d’inconnu qui est importante. Alors je réponds oui. En fait, j’aurais rêvé de faire le Vendée Globe.
Récits d’aventuriers / Voyages, explorations et aventures.
By Jean-Christian Kipp and Olivier Weber (Editions de l’Aube). 278 pages, 24 euros.