“La seule fois où je me souviens que je suis homosexuel, c’est lorsqu’un homophobe me fait un commentaire”, regrette Baptiste Beaulieu.

“La seule fois où je me souviens que je suis homosexuel, c’est lorsqu’un homophobe me fait un commentaire”, regrette Baptiste Beaulieu.
“La seule fois où je me souviens que je suis homosexuel, c’est lorsqu’un homophobe me fait un commentaire”, regrette Baptiste Beaulieu.

l’essentiel
« Tous les silences ne font pas le même bruit », tel est le titre du dernier livre du toulousain Baptiste Beaulieu. Dans cet ouvrage, le médecin, écrivain, mari et père de famille met ses tripes sur la table pour évoquer son long parcours douloureux, lourd et épuisant d’homosexuel. Entretien.

A 9 ans, on cesse d’être un enfant car aucun adulte n’a pu confirmer qu’il pouvait être normal d’être homosexuel. Selon vous, on n’écoute pas assez les enfants qui ressentent en eux cette orientation. Que devons-nous leur dire ?
Banaliser. Dites-leur que vous voudriez peut-être envoyer un petit mot à votre camarade de classe ou à votre voisin. C’est encore un problème d’adulte qui fout la tête des enfants. Autrement dit, l’enfant peut poser la question d’un point de vue romantique à cet âge et être confronté à une vision très péjorative de la chose du monde adulte à travers des propos, des films, des réflexions, etc. et donc souffrir.

Plus tard, à 13 ans, on te traite de pédé en cours de dessin et tu mets ton crayon dans la main de celui qui t’a insulté. Pourquoi une réaction aussi violente ?
Je me suis posé cette question depuis longtemps. S’il avait utilisé une autre insulte, j’aurais été aussi agressif et réactif, je ne suis pas sûr. À ce moment-là, il y a une partie de moi qui refuse l’idée que quiconque découvre ce que je suis.

La tapette reste l’insulte la plus proférée dans les écoles en . Un collégien l’entend 15 fois par jour…
C’est une étude qui le révèle, elle est extrêmement violente. La société française compte 13 millions de mineurs, dont 4 à 7 % se posent des questions sur leur orientation amoureuse puis sexuelle. Et contrairement à ce que pensent les homophobes, on se pose très tôt des questions. Cela signifie que 4 à 7% de ces mineurs entendent 15 fois par jour que ce qu’ils sont est la pire des insultes. Cela concerne au moins 500 000 mineurs. Comment créer une identité bienveillante envers soi-même, développer une forme d’estime de soi, quand on entend cette insulte 15 fois par jour au cours de son évolution.

Être gay, dites-vous, c’est grandir sans modèles. Mais savoir que Jules Verne, Flaubert, Andersen, Colette, Tracy Chapman, Richard Cœur de Lion, Edouard II, Schubert, Chopin, Brahms, Lully… étaient homosexuels permettrait à de nombreux enfants de ne pas se sentir isolés…
C’est avant tout une question de représentation. Si nous n’existons à travers aucune histoire, aucune belle version de personnages célèbres, nous nous disons alors que nous sommes seuls au monde, que des gens comme nous n’ont pu accéder à rien d’autre qu’à une vie douloureuse ou triste, en aucun cas. cas sans génie. Alors non ! C’est le fruit d’un long travail de propagande, de dénigrement et de volonté de rendre nos vies invisibles. En tant qu’enfant et grand lecteur, j’aurais pu exprimer qui je suis plus tôt si j’avais su que mes auteurs préférés étaient comme moi. On n’en a pas parlé sous prétexte que c’était une question d’intimité, alors qu’on n’a pas hésité à évoquer les amours de Victor Hugo avec Juliette de Machin, etc. Quand ces histoires d’amour concernent des hétérosexuels, on aime raconter eux.

Être gay nécessite d’être constamment à l’affût…
Oui, il faut constamment se rappeler à qui on a parlé, à qui on n’a pas parlé, qui a fait des commentaires bienveillants ou méprisants car cela peut avoir des répercussions professionnelles. En tant que jeune interne, quand j’entends un de mes responsables cliniques tenir des propos ignobles sur le sujet, c’est toujours lui qui me note à la fin de mon stage. Il faut donc se souvenir.

Aujourd’hui, en revanche, vous pouvez proclamer votre homosexualité sans vous soucier des conséquences. Vous êtes conscient de ce privilège…
Bien sûr. J’ai acquis ce privilège en devenant écrivain. J’ai la chance de vendre des livres et donc de ne pas me soucier des conséquences de mon homosexualité. Mais si je me mets à la place d’un artisan meunier venu du fond de la Picardie, il n’a pas forcément la même chance. Aussi, les gens comme moi qui sont en position de pouvoir médiatique doivent dire qui ils sont d’un point de vue politique. Les gens ne se soucient pas de savoir avec qui je couche, mais beaucoup de gens, en particulier les jeunes, ont besoin de modèles forts et puissants qui disent : n’ayez pas peur, n’ayez pas honte d’être homosexuel, vous n’êtes pas seul.

Est-ce qu’être queer est ce qui constitue votre identité aujourd’hui ?
Simple pédé, j’étais dans la rue, me voilà connecté à tous les « moi » du passé qui ont dû subir cette même insulte. Sur le plan politique, la société me rappelle constamment que c’est ce que je suis. La seule fois où je me souviens que je suis gay, c’est lorsqu’un homophobe me fait des commentaires. Le reste du temps, je suis un être humain qui vit ma vie.

Est-ce que cela vous aurait même rendu meilleur ?
Oui, parce que cela m’a obligé à me décentrer et à comprendre que la violence que je vivais, d’autres personnes pouvaient la subir. Cela a été un exercice continu d’empathie. Être homosexuel, c’est faire l’expérience d’être une minorité.

Pourquoi utiliser le « Vous » dans le livre ?
Forcer le lecteur à mettre les pieds dans les chaussures. Vous pouvez remplacer le mot « homosexuel » par n’importe quel autre type de minorité (gros, noir, handicapé, etc.), et le travail tient. C’est un livre sur la différence.

Chez les hétéros, vous dites que certains différencient le bon gay du mauvais gay associé au pédé, au fou, au pédé, au tarlouze…
Le bon gay de la société hétéro normative est celui dont on ne sait pas qu’il est gay, celui dont la tête ne dépasse pas.

Vous dédiez ce livre à Florent B, un gamin qui, comme vous, a été agressé et violé par un professeur de sport. Un moment particulièrement touchant du livre. Lui, comme vous, a longtemps cru que c’était parce que vous vous sentiez différent que cette attaque avait eu lieu…
Être LGBT est un tel sentiment de solitude quand on est adolescent que cela en fait une bénédiction pour les prédateurs qui profitent de la fragilité pour isoler davantage leurs proies. Dans la société hétéronormative, il existe cette vision selon laquelle les sexualités minoritaires sont là à cause d’un accident. Autrement dit, un tel est gay parce qu’il a été agressé par un homme lorsqu’il était enfant… c’est révoltant de jeter une sorte de malédiction sur notre vie privée. La sexualité est aussi un lieu de grande joie dans la vie.

Avec ce livre, vous avez mis vos tripes sur la table. Comme à chaque fois, non ?
Oui, mais c’est la première fois que je m’essaye au récit, à l’autofiction. Le but est d’obliger le lecteur à se poser des questions à la fin. Est-ce normal, eh bien, d’avoir vécu cela ? Si la réponse est non, alors je suis content car cela signifie qu’une partie du regard des lecteurs évolue vers l’homosexualité.

Vivez-vous dans une colère perpétuelle ?
Tant qu’il y aura 4 à 7 fois plus de suicides chez les personnes LGBT à l’adolescence, oui, je serai en colère. Ces jeunes n’étaient pas destinés à mourir. Leurs vies ont été écourtées par le système. Qui rendra justice à ces existences ?

« Tous les silences ne font pas le même bruit », par Baptiste Beaulieu, éd.l’Iconoclaste, 376 pages, 20,90 €
 
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