Sans révolutionner la littérature, la photographe et co-écrivaine bourguignonne s’est rapidement fait un nom dans le secteur du livre et a fidélisé un nombre impressionnant de lecteurs.
Après un premier essai plein de promesses, elle signe Changer l’eau florale (Albin Michel, 2018), un roman, également primé à plusieurs reprises, qui a rapidement rencontré un véritable succès tant il touche à son humanité et qui sera prochainement adapté au cinéma par Jean-Pierre Jeunet, réalisateur de Fabulous destiny of Amélie Poulain. Trois ans plus tard, avec la régularité du métronome, l’auteur publie Troisqui célèbre l’amitié et l’adolescence, également traduit dans une soixantaine de pays. Aujourd’hui, ses livres sont lus dans le monde entier et vendus par millions – 3 millions 200 000 exemplaires au total pour les trois premiers titres. Le dernier en date, en tête des ventes dès sa sortie, s’apprête à connaître la même success story et a déjà détrôné le Jacaranda de Gaël Faye, présélectionné au Goncourt. Une belle revanche sur la vie pour une femme qui a connu un parcours scolaire chaotique.
Il est vrai que l’humanité règne à nouveau dans Tataune « brique », facile à lire, que l’on retrouve volontiers le soir avant de s’endormir et qui respire la bienveillance.
Inscrit dans la lignée de livres de bien-êtreValérie Perrin fait vivre avec talent des gens ordinaires, les rend familiers, touchants, et les révèle sous un autre jour au fil des chapitres, partant du principe qu’il n’existe pas d’homme sans histoire. Pas même, et finalement surtout pas, chère Colette, cordonnière et décidément mal équipée pour arpenter les chemins de la vie.
Scénariste avant de devenir romancière, Valérie Perrin, qui est aussi l’épouse de Claude Lelouch, sait construire un récit, passer d’une histoire à l’autre afin de toujours entretenir l’intérêt du lecteur. ou le lecteur et de rythmer ses chapitres à la manière de la série. D’où l’intérêt pour Tata – on ne s’habituera certainement jamais au titre même s’il est expliqué dans le roman – miser sur la longueur. Plus on avance, plus c’est long et plus on aime ça parce qu’on s’attache tellement aux personnages.
Nazisme, violences conjugales, secrets de famille, prisons domestiques, abus sexuels sont autant de thèmes abordés dans ce roman choral qui est ample et prend des allures de thriller, comme dans les opus précédents. Une option qui convient tourne-page sans aller jusqu’au véritable thriller. C’est juste une dose de suspense, des voiles à lever, des secrets gardés trop longtemps et même des usurpations d’identité…
Présent en Belgique pour assurer la promotion de TataValérie Perrin, avec un emploi du temps très serré, n’a pas pu être à l’heure au journal télévisé de 13 heures, son train ayant une heure et demie de retard. Il en faudra cependant plus pour lui faire perdre le sourire et surtout ses aficionados.
De tous vos romans, celui-ci est le plus autobiographique. Cela se passe à Gueugnon, ville forgeron de Bourgogne où vous avez grandi et où vous venez d’acheter une maison. On retrouve le monde du football que vous connaissez bien, votre père ayant été footballeur, et le narrateur devient romancier. Comme si l’on assistait à votre naissance en tant qu’écrivain… Quand et pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans l’écriture de fiction ?
C’est drôle, concernant l’écriture, je n’y avais pas pensé. J’avais déjà décrit mon expérience de photographe de plateau dans Ces amours. Puis, en 2013, j’ai eu l’opportunité de me consacrer uniquement à l’écriture Oublié dimanche que je portais en moi depuis longtemps. J’avais cette obsession de l’écrire. Une fois terminé, je l’ai envoyé à Albin Michel début décembre et, en janvier, j’ai signé mon contrat d’édition.
Vous attendiez-vous à un tel succès d’emblée ?
Non, on n’attend jamais rien du tout, même les éditeurs ne peuvent pas s’attendre à ça, imaginez que cette voix les emmènera dans 60 pays différents. La pièce adaptée de mon deuxième roman, Changer l’eau floralequi sera également adapté au cinéma, rencontre également un succès phénoménal.
Votre écriture est très cinématographique, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de votre expérience dans le secteur…
Mes romans sont en effet très cinématographiques, très visuels et très dialogués. J’écris des scènes, pas des chapitres. Mais, pour ce quatrième roman, c’est encore différent. De toute façon, on n’écrit pas un quatrième roman comme un premier. Avant, je travaillais tous les matins, sept jours sur sept, et je réécrivais le lendemain. Voilà, je réécrivais déjà le soir même. Je n’avais peur de rien, je pouvais bénéficier de mon expérience, prendre plus de risques. Je me sentais plus fort de mes succès et de l’amour de mes lecteurs. Je suis allé plus loin sur beaucoup de choses. On sent qu’il ne s’agit plus d’un premier roman. Pour moi, c’est le plus abouti mais on n’a qu’un mois de recul. Et parmi mes lecteurs, chacun a son préféré. Pour certains, ce sera Les dimanches oubliéspour les autres Changer l’eauetc.
Claude Lelouch, le véritable autodidacte de la vie
Quel est le secret de votre réussite ?
Je n’ai pas le secret mais je parle de personnages auxquels tout le monde peut s’identifier. Il y a aussi toujours une composante d’enquête qui transforme mes livres en tourne-pages, en secrets de famille qu’on a envie de découvrir, en réponses à des questions tant attendues. Je raconte l’histoire d’une vie en province, ce qui est rare, et de la dictature familiale, un sujet qui terrorise tout le monde. Et puis, il y a toujours beaucoup d’amour.
Comment éviter de tomber du côté des fleurs bleues ? Est-ce que vous ralentissez ?
Ne pas tomber dans le pathétique, dans la fleur bleue, c’est du travail. Quand j’écris, je fais beaucoup de recherches. Je rencontre des gens qui exercent le même métier que mes héros, je les remets en question. Dans Tatale cordonnier Mokhtar, par exemple, existe et travaille rue des Abesses. Pour Changer l’eau floraleJ’ai interrogé beaucoup de personnes qui travaillent avec des personnes âgées.
Vous ne choisissez pas de sujets légers : le deuil, le cimetière, les maisons de retraite, mais cela ne décourage pas les lecteurs…
Ce n’est pas drôle, c’est vrai, mais il y a toujours une lumière qui traverse le roman. Violette Toussaint, par exemple, dans Changer l’eau…, est un personnage tragique mais aussi espiègle. Nous sommes tous remplis de paradoxes et c’est ce qui est intéressant. Les journalistes et les libraires ont également joué un rôle fondamental.
D’où vient votre générosité envers vos personnages ?
Depuis que je suis petite, je suis curieuse. Claude m’appelle concierge. Je ressens beaucoup d’empathie pour les autres, c’est comme ça. Je suis très sensible à la cause des personnes âgées ou à la cause animale. J’adore quand les gens me racontent comment ils se sont rencontrés. Cela me fascine.
Comment écrivez-vous ? Savez-vous où vous allez lorsque vous démarrez une histoire, est-ce que vous collez des post-it partout ? Votre nouveau roman est vaste, comporte de nombreux personnages et multiplie les histoires…
Pas de post-it, non, pas de plan. J’ai tout écrit très clairement dans ma tête. Dès le départ, tout est là. Je progresse petit à petit. Je connais le roman par cœur.
Pourquoi avoir choisi « Tata » comme titre ? C’est un pari célèbre, n’est-ce pas ?
Oui, et mon éditeur voulait le changer. Il m’a demandé si c’était une blague, mais j’ai refusé, car j’aurais trahi mon roman qui est né de cette arrestation un jour d’un petit garçon qui appelait sa tante dans la rue en criant “tata”. C’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais écrire un livre qui raconterait l’histoire d’un garçon avec sa tante, puis ce petit garçon est devenu une fille, et même une femme : Colette. En italien, le livre s’appellera Tata aussi, mais il n’est pas exclu que dans d’autres traductions, elle s’appelle Colette Septembre.
⇒ Tata | Roman | Valérie Perrin Albin Michel, 640 pp, 24 €, numérique 16 €.
Extrait
“Nous avons suivi Madame de Sénéchal et Blaise, nous avons traversé deux bureaux pleins de lumière, des tableaux aux murs, et nous l’avons vu. Comme un roi, brillant au milieu d’une immense pièce. Un Steinway. Un chef-d’œuvre. Plus beau que tous les tableaux sur les murs, les tapis, les meubles. La marquise dit :
– Les Allemands réquisitionnent le château pendant la guerre. Le piano est arrivé par camion pour un officier supérieur. Quand la débâcle a éclaté, ils l’ont laissé là… Je ne sais pas d’où il vient… À qui il appartenait. “