“Le Bastion des Larmes”. Par Abdellah Taïa. Julliard. 213 pages. 21 €.
A Salé, sur la côte atlantique du Maroc, en 1260 un raid castillan aboutit au massacre d’une partie de la population et à la capture de 3 000 habitants envoyés en esclavage à Séville. Peu de temps après, un sultan ordonna la construction de fortifications pour protéger la ville des incursions chrétiennes. Sur la citadelle face à l’océan, les Slaouis en deuil guettent le retour improbable des déportés depuis un promontoire appelé le Bastion des Larmes.
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Dans ce même décor, les larmes de Youssef sont restées secrètes. De retour dans sa ville natale après la mort de sa mère, il est assailli par les souvenirs de son enfance tourmentée de « chocotte ». Sous la plume d’Abdellah Taïa, Salé devient le théâtre d’une souffrance dont l’écho rebondit sur les silences complices. Du passé viennent les humiliations, les viols, la détresse d’un enfant à qui personne ne venait en aide, pas même ses flamboyantes sœurs.
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C’est un drame ancien avec son refrain, ses interdits, son élément surnaturel où se fait entendre la voix des morts, qu’Abdellah Taïa ressuscite pour dénoncer dans un récit poignant l’hypocrisie d’une société qui persécute les homosexuels à moins de les laisser être puissants. Tantôt corrosive, tantôt lyrique, l’histoire éblouissante alterne cruauté et volupté de l’amour, larmes et désir de vengeance. D’une beauté douloureuse, ce roman élève un mausolée pour les inconsolables.