LIVRE. Vivre dans l’arsenic, récit poétique pour décrire la pollution de la mine de Salsigne

LIVRE. Vivre dans l’arsenic, récit poétique pour décrire la pollution de la mine de Salsigne
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Salsigne et les six autres concessions minières ouvertes successivement à partir de 1877 ont fait vivre des centaines de familles, plusieurs générations et une vallée entière. Cependant, les mines ont laissé en héritage des millions de tonnes de déchets toxiques et une situation environnementale et écologique plus qu’inquiétante.

Le livre « Habiter l’arsenic : écopoétique d’une vallée empoisonnée » de Claire Dutrait, paru chez Actes sud en avril 2024, nous emmène sur des terres polluées. Et nous aide à imaginer ce que signifie vivre au milieu d’une catastrophe environnementale et sanitaire.

Pollution à l’arsenic dans la zone minière de Salsigne

La mine d’or a fermé définitivement ses portes en juillet 2004. Anciennement la plus grande mine d’or d’Europe, elle était opérationnelle dès la fin du 19e siècle jusqu’aux toutes premières années du 21e siècle. 120 tonnes d’or y ont été extraites mais aussi plusieurs autres métaux et métalloïdes : argent, cuivre, bismuth, galène, mispickel, pyrite et chalcopyrite.

Le site minier était également connu dans l’Antiquité pour son fer et son plomb. Salsigne et les six autres concessions minières appartenaient à un district minier composé de 100 km de galeries souterraines, d’une mine à ciel ouvert et de 1,2 million de tonnes de produits hautement toxiques mélangés à un total de 14 millions de tonnes de déchets entassés dans des collines artificielles et à ciel ouvert. dépôts d’air.

Un an après les inondations d’octobre 2018, le terrain de football contaminé à l’arsenic est resté à l’abandon à Villalier, en aval de l’Orbiel, dans l’ancien canton minier de Salsigne. © Lilian Cazabet / Hans Lucas / AFP

Ces déchets « d’arsenic » ont modifié à jamais la topologie locale et laissé des traces jusque dans le corps des mineurs et des habitants. L’ancien district minier connaît régulièrement des pluies torrentielles et désormais des inondations fréquentes qui donnent lieu à des ruissellements toxiques.

Faible pollution sonore, l’arsenic qui envahit les sols et les eaux de la vallée de l’Orbiel a été rappelé aux habitants de la vallée de l’Orbiel en octobre 2018 lors d’une nouvelle crue dite centenaire.

L’épisode a déstabilisé les amas de déchets, fragilisé les géomembranes qui les stockaient et aggravé la pollution. Lorsque les bénévoles venus participer aux opérations de nettoyage des écoles embourbées de Conques-sur-Orbiel ont signalé leurs irritations cutanées, «les services de l’Etat leur ont dit : ne vous inquiétez pas », rappelle Claire Dutrait. Des niveaux effrayants d’arsenic chez les très jeunes enfants ont ensuite été constatés et la consommation de fruits et légumes locaux a été interdite.

Un récit littéraire pour raconter la catastrophe

« Vivre dans l’arsenic : écopoétique d’une vallée empoisonnée » n’est ni une enquête journalistique, ni un roman documentaire et encore moins un pamphlet militant. Claire Dutrait aborde cette catastrophe environnementale avec un texte littéraire qui visite la poésie puis se métamorphose en un recueil de données historiques, de détails techniques relatifs aux procédés industriels de transformation des matières extraites ou encore en un recueil de témoignages.

La vallée évoquée dans le titre est la vallée de l’Orbiel, affluent de l’Aude au nord de Carcassonne, que Claire Dutrait fréquente depuis son enfance. Difficile de “faire ressentir aux gens ce que fait la pollution», d’autant que rien dans ce cadre idyllique n’indique aux touristes de passage le danger d’une plage ou d’une colline où ont été stockées des tonnes de déchets d’arsenic. Le patrimoine historique cathare a droit à plus de publicité, note l’auteur.

Pour rendre compte du danger qui gronde dans ce paysage de carte postale, Claire Dutrait utilise des artifices littéraires qui déconcertent mais frappent justement notre imaginaire et notre sensibilité : images, allégories et métaphores sont construites pour décrire par touches. “Les catastrophes sont difficiles à imaginer, et il va falloir s’accrocher à des fragments de phrases, des restes, des images, des représentations.« .

Pour que l’on comprenne la catastrophe, l’auteur fait l’étonnant parallèle entre la vallée de l’Orbiel et la romantique Emma Bovary, le personnage en quête de l’idéal de Gustave Flaubert. La première, nature maltraitée et la seconde, à la fois épouse mal-aimée et mère insensible sont vouées à la tragédie où «l’arsenic joue le rôle de révélateur de toxicité » [Emma Bovary se suicide en ingurgitant de l’arsenic, NDLR].

Ressentez l’indicible, sentez la pollution

Une fraction des déchets miniers – appelés « tas » – était réexploitée à chaque fois que de nouvelles techniques ou de nouveaux besoins apparaissaient : ce fut le cas des scories laissées par les Gallo-Romains réutilisées à la Belle Époque, le vitriol fabriqué à partir de dioxyde de soufre toxique. fumées, bismuth récupéré comme coproduit.

Jusqu’à ce que l’exploitation des rejets de flottation contenant des résidus d’or oubliés par cyanuration se termine en fiasco lorsque les prix de l’or s’effondrent avec la chute de l’Union Soviétique.

Mais malgré ces logiques d’exploitation maximale, cela ne suffira jamais à éliminer les 14 millions de tonnes de déchets entassés. L’histoire de Dutrait tourne autour de cette notion de « vestige ». “L’extractivisme, c’est comme poser une division (…). Un partage a été opéré entre les matériaux de la vallée – et la vallée de l’Orbiel, (…) c’est un de ces restes, c’est le reste du reste du reste, c’est le monde qui reste au fond de l’opération de division..

Vivre dans l’arsenic : écopoétique d’une vallée empoisonnée. Par Claire Dutrait, Actes sud, 2024, 22 €

Le caractère de l’agent polluant est éphémère, souligne Dutrait. L’arsenic, exploité dans la région, a «une mystérieuse capacité à changer de couleur, de comportement, de réactivité et de toxicité »au point qu’historiquement on pensait avoir affaire à plusieurs produits.

L’innommable de la catastrophe vient de son caractère invisible dans le paysage, les collines que l’on croyait naturelles ont été surélevées par les dépôts successifs de déchets, les failles géologiques comblées et les plages fluviales redessinées. “Aucun signe n’indique qu’il est dangereux de nager, de marcher sur telle colline de déchets cyanisés, de respirer l’air dans un vent autan. Claire Dutrait est surprise.

Les pollutions du corps sont tout aussi innommables. La fermeture du district minier en 2004 s’est produite dans un contexte de crise économique, de prise en compte des risques environnementaux et de surmortalité par cancers du poumon et du pharynx. “Les habitants de la vallée de l’Orbiel ont pris depuis longtemps l’habitude de ne pas accorder de crédit aux organismes experts du territoire puisqu’ils ne publiaient pas leur rapport documentant le nombre de cancers dans la vallée. se souvient l’auteur.

Cependant, nombreux sont ceux qui décident de vivre avec la pollution et les risques sanitaires : « On vit bien ici », confie un habitant. L’ancien mineur qui s’engage avec elle exprime également son attachement et son respect pour «la mémoire de la mine » qui a nourri des générations d’immigrés venus d’Europe et du Maghreb. Après l’étonnement, la peur et l’inquiétude, le récit de Claire Dutrait dessine «la possibilité de vivre avec les vestiges des vestiges de la vallée”.

 
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