Le monde parallèle des livres

Mon optimisme indéniable envers l’avenir du Québec vient de ma longue exposition à sa littérature, j’en suis sûr. Dans le sens où je vis un peu dans un monde parallèle et bien plus complexe que les gros titres anxiogènes que je ne comprends pas toujours quand je mets le nez hors d’un bon livre québécois – essai, roman, poésie, peu importe.


Publié à 1h23

Mis à jour à 9h15

De retour de deux semaines en France où le Québec a brillé au Festival du livre de Paris comme invité d’honneur, je rattrape mon retard sur l’actualité en revenant sur ces mêmes débats qui existaient depuis bien avant ma naissance. La survie du français, l’impact de l’immigration sur notre destin, et comme d’habitude, on se chamaille sur les statistiques.

Cette semaine dans l’émission Tout un matinles chroniqueurs Dimitri Soudas et Émilie Nicolas ont commenté la récente étude de l’Office québécois de la langue française sur la langue en entreprise – cet irritant salut –, mais aussi le prochain plan d’action sur le français du ministre Jean-François Roberge.

Émilie Nicolas a critiqué les indicateurs utilisés pour prouver le déclin du français, soit la langue maternelle, la langue parlée à la maison et la première langue officielle parlée. «Quand on mesure la force ou la faiblesse du français avec l’indicateur de la langue maternelle, ce qu’on dit, c’est que si on n’est pas né francophone, on ne sera jamais assez francophone», a-t-elle dit, soulignant que son collègue Dimitri Soudas, qui parle pourtant très bien français à la radio d’État, contribuerait selon ces indicateurs à ce déclin.

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    PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

    Dimitri Nasrallah

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    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Alain Farah

  • >Yara El-Ghadban>

    PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE ARCHIVES

    Yara El-Ghadban

  • >Lula Carballo>

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Lula Carballo

  • >Rodney Saint-Éloi>

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    Rodney Saint-Éloi

  • >Adib Alkhalidey>

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Adib Alkhalidey

  • >Nicolas Dawson>

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

    Nicolas Dawson

  • >Mani Soleymanlou>

    PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

    Mani Soleymanlou

  • >Dany Laferrière>

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

    Dany Laferrière

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Mais revenons à la littérature, qui est ma spécialité et mon principal indicateur de la vitalité de notre culture – les enjeux sont différents pour la musique, le cinéma ou la télévision, secteurs plus frappés par le rouleau compresseur des géants du numérique.

L’écrivain Mélikah Abdelmoumen, directrice du magazine QL (Auparavant Lettres québécoises), a lancé cette semaine sur les réseaux sociaux une liste d’auteurs québécois immigrants ou descendants d’immigrants, exaspérés d’entendre encore une fois ce discours présentant l’immigration comme une menace pour la survie de la culture québécoise.

Au fur et à mesure que les internautes ajoutaient des noms, la liste s’allongeait rapidement: Kim Thúy, Sergio Kokis, Caroline et Nicholas Dawson, Abla Farhoud, Yara El-Ghadban, Rodney Saint-Éloi, Alain Farah, Lula Carballo, Maya Ombasic, Wajdi Mouawad, Dany Laferrière, Mani Soleymanlou, Aki Shimazaki, Olivia Tapiero, Karine Rosso, Adib Alkhalidey, Ying Chen, Dimitri Nasrallah, Edem Awumey, Naïm Kattan, Régine Robin, Ayavi Lake… On pourrait continuer très longtemps ainsi, et c’est bien mieux , car il y a une quarantaine d’années, la liste aurait été bien plus courte.

D’ailleurs, dans les années 1990, face à un phénomène qui prenait de l’ampleur, celui de ces plumes venues d’ailleurs ou qui racontaient un parcours différent de celui des Canadiens français « autochtones », on se demandait s’il s’agissait bien de littérature québécoise, si c’était faisant partie du grand projet d’une littérature nationale, et comme les humains ont un fort penchant pour les catégories, ces livres ont souvent été placés dans la section « littérature migrante ». Certains mécontents y voyaient aussi une mode, et des voleurs de prix littéraires (dans une suite logique des « voleurs d’emplois », j’imagine).

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PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Mélika Abdelmoumen

La preuve qu’on avance, et que je vois encore le verre à moitié plein, c’est qu’aujourd’hui on n’aurait pas l’idée d’enfermer Alain Farah, Kim Thúy ou Lula Carballo à la « littérature migrante ». Il va de soi maintenant que ce sont des auteurs québécois qui contribuent au rayonnement de notre littérature – sans oublier que certains de ces écrivains sont parfois des professeurs de littérature qui enseignent nos classiques.

En scrutant la liste des noms sur la page de Mélikah Abdelmoumen, je me suis aperçu que j’avais lu les trois quarts de ces écrivains, non par bonté d’âme ni pour « m’ouvrir aux autres », ni pour respecter des quotas de diversité, mais simplement parce qu’ils étaient partie de la rentrée littéraire québécoise à un moment ou à un autre. Qu’à travers leurs livres, écrits en français (et souvent en québécois), et non dans leur langue maternelle pour beaucoup, j’ai compris intimement comment le Québec changeait, la richesse du bagage de mes contemporains, l’actualité brûlante de nos enjeux, la passion pour ce territoire, et nos lieux communs. Tout cela très loin d’un passé idéalisé ou d’une nostalgie du pays de nos parents, dans un présent changeant et émouvant, plein de défis. J’ai ainsi vu le Québec à travers de multiples prismes et perspectives, c’était parfois dur et terne, mais nécessaire, toujours éclairant et inspirant.

Et tous ces livres au fil des décennies n’ont fait qu’alimenter ma confiance dans un avenir collectif, et m’ont aussi provoqué, je dois l’avouer, une dissonance cognitive avec les discours sombres et catastrophiques sur notre survie.

Que voulez-vous, lire à forte dose configure le cerveau différemment.

 
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