Le roman traumatologique de Kev Lambert

Le roman traumatologique de Kev Lambert
Le roman traumatologique de Kev Lambert

Un an après avoir remporté le prestigieux prix Médicis, Kev Lambert publie Snow Trails, un roman où l’on explore les traumatismes d’un enfant dans un environnement scolaire et familial teinté de racisme, d’homophobie, de sexisme, de fatphobie et de masculinité toxique. On vous prévient : après avoir lu ce livre, vous aurez du mal à ignorer les failles – profondes – de la société québécoise.

Comment décrivez-vous le tourbillon qui a précédé le prix Médicis ?
Kev Lambert : Quand mon roman (Que notre joie demeure) est sorti en France, il y a eu une polémique sur une lecture sensible. Beaucoup de gens se sont intéressés au livre parce qu’ils voulaient m’acculer ou alimenter la polémique. En France, la virulence du débat public est très différente de ce que l’on voit ici. Il y a des gens avec de très mauvaises intentions. Les journalistes veulent vous faire prononcer une mauvaise phrase ou vous faire insulter votre adversaire. C’était déstabilisant. Lorsque le prix est arrivé, il est venu répondre à toutes ces controverses. Comme si le prix disait que c’était le texte qui était intéressant.

Vous publiez un livre en signant pour la première fois Kev Lambert. Expliquez-nous ce choix.
Je passe à quelque chose de plus neutre et de plus ambigu. Je ne m’identifie pas comme homme ou femme et je ne ressens pas le besoin de mettre une étiquette sur ce que je vis. C’est un passage vers la différence, le plus d’une chose et le flou, mais je ne voulais pas changer de prénom. Le genre d’un prénom est de toute façon un peu arbitraire, mais je sais que socialement c’est connoté de cette façon. Comme mon prénom de tous les jours est plus Kev que Kevin, j’ai pensé que je pourrais également prendre ce prénom pour la vie publique. Je le trouve plus neutre.

Après un détour par Montréal dans Que notre joie demeure, vous revenez au Saguenay pour y installer pour la troisième fois l’histoire d’un roman. Dans quelle mesure ce territoire galvanise-t-il votre inspiration ?
Kev Lambert : Mon imagination d’écrivain est très liée à mon enfance. Ce territoire est toujours le théâtre de mes mouvements intérieurs, même si je n’y vis plus à plein temps. Je trouve intéressant d’explorer un lieu en abordant plusieurs facettes, personnages et époques, un peu à la manière de Stephen King dont la quasi-totalité des livres se déroulent dans le Maine.

Souhaitez-vous revenir vivre au Saguenay?
Kev Lambert : Aujourd’hui, les blessures que j’ai subies liées à ma région appartiennent au passé. Il serait possible de revenir vivre là-bas, mais pour le moment, je ne le fais pas pour des raisons professionnelles. Montréal est l’endroit où je travaille le plus, mais je n’y suis pas toujours. J’ai un appartement à Montréal avec une colocataire et j’habite en Mauricie avec mon copain dans un chalet sans électricité.

Dans Snow Trails, on découvre Zoey, une enfant qui porte des secrets qui le rongent. Comment avez-vous construit l’histoire pour en dire si peu, sans affaiblir notre intérêt ?
Kev Lambert : En littérature, on aborde souvent le traumatisme à l’aide de fragments. Par définition, il y a quelque chose qui nous échappe, des trous dans l’expérience et le sens. En psychothérapie, le travail par rapport au traumatisme est d’arriver à l’inclure dans une histoire. Je me suis donc donné le défi de créer une forme où le traumatisme serait réinscrit dans un récit. Il ne s’agit pas d’un récit classique, car le traumatisme comporte une part d’incompréhension. Je voulais montrer les conséquences indirectes du traumatisme chez Zoey et sa cousine Émie-Anne, leurs réactions, comment se construit leur personnalité et comment elles portent des masques forgés par leurs réflexes protecteurs.

Quand vous décrivez son école et sa parenté, est-ce que vous tirez des boulets de canon sur nos défauts de
Entreprise ?

Kev Lambert : Oui. Ce n’est pas un roman autobiographique, mais je voulais recréer l’environnement dans lequel j’ai grandi, car il était violent. Il s’appuyait sur la hiérarchie, la moquerie pour rabaisser les autres et s’élever. C’était vraiment difficile de grandir dans un monde où il y a toujours des gens qui peuvent être rejetés pour des raisons incompréhensibles. Dans le roman, je montre que l’école est un monde fait d’agressivité et de méchanceté. Zoey se sent surveillée par de nombreux yeux qui veulent le coincer et déceler ses défauts. Nous vivons encore dans un univers qui est constamment dans une forme de jugement face à la pluralité des expériences humaines.

Vos dialogues font entendre le discours populaire. Qu’est-ce que cela traduit ?
Kev Lambert : La créativité de la langue du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le roman est inspiré de ma famille, même si les personnages ne sont pas mes vrais oncles et tantes ; certains leur ressemblent. Je ressens beaucoup d’ambivalence à propos de cette famille.

Je n’y avais pas ma place, on me disait toujours différent et rejeté, mais en même temps, je les trouvais fascinants. Ils étaient très drôles. Leur langage était créatif. J’ai voulu rendre hommage à cette ambiance de réunions de famille aussi belles que laides.

Zoey et sa cousine Emie plongent tête première dans un monde imaginaire peuplé de démons, comme pour échapper à une vie qui les ennuie et les blesse, tout en étant attirées par cet univers.
Kev Lambert : Oui, ils construisent cet univers pour résister au monde des adultes, qui ne s’intéressent pas à eux. Les adultes n’essayaient pas de comprendre ce qu’ils vivaient. En même temps, il y a du plaisir dans la peur qu’ils ressentent. Cela rejoint l’aspect mystérieux et obsessionnel du traumatisme que nous cherchons à comprendre et à aborder.

Vous illustrez une famille dans laquelle on ne s’intéresse pas aux autres et où il ne faut pas poser de questions qui pourraient raviver des émotions enfouies. Dans quelle mesure souffrons-nous d’incommunicabilité ?
Kev Lambert : C’est très fort dans les familles où j’ai grandi. Poser des questions est facile. C’est comme si nous voulions mettre le nez dans des sujets qui ne nous concernent pas. C’est très culturel.
Mon père et mes oncles ont été élevés ainsi. Probablement mes grands-parents aussi. J’ai grandi avec eux toute ma vie, mais nous ne nous connaissons pas profondément. Les gens n’osent pas me poser de questions sur ce que je fais. Cette distance entre nous semble si grande qu’elle crée un désintérêt ou une difficulté à s’y intéresser. C’est malheureux. Quand je rencontre des gens, j’essaie de poser des questions et de montrer de l’intérêt, car cet aspect des relations me fait souffrir. J’avais souvent l’impression que je n’étais pas intéressant pour les gens autour de moi en grandissant.

INFOS | Sentiers de neige, Kev LAMBERT, ÉDITIONS HÉLIOTROPE, 2024
https://www.editionsheliotrope.com

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV ce qui vous attend à Guégon ce week-end
NEXT Bonne chance, cher lecteur… Il vous en faudra avec le dernier livre d’Alain Kleinmann