«Monique s’échappe» d’Édouard Louis, le récit lumineux d’une renaissance

«Monique s’échappe» d’Édouard Louis, le récit lumineux d’une renaissance
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En libérant sa mère de l’esclavage domestique, l’écrivain obtient d’elle la fin de leur propre relation toxique, et la matière d’une histoire poignante.

« Pourquoi ai-je ressenti un besoin si profond de l’aider ? », demande Édouard Louis. Laura Stevens/Modds

Par Fabienne Pascaud

Publié le 24 avril 2024 à 18h00

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Aça va ? Suis-je important ? » s’étonne Monique, 57 ans, lorsque le très brillant et engagé politiquement Falk Richter lui demande de venir lui dire au revoir à la fin du spectacle qu’il lui a consacré, au Grand Théâtre de Hambourg. Une adaptation de Combats et métamorphoses d’une femme, ce que le propre fils de Monique, Édouard Louis, a écrit en 2021. Oui, c’est important. Et courageux et fort. Et la salle lui fait une standing ovation, une scène émouvante Monique s’échappe, Le dernier opus d’Édouard Louis sur sa famille ravagée. Il raconte comment sa mère trouve l’énergie de quitter un troisième compagnon, tout aussi agressif, alcoolique et homophobe que les deux premiers. Malgré l’épuisement des insultes, tenu en esclavage domestique depuis l’âge de 20 ans ; une fatalité des femmes de sa famille, une fatalité de nombreuses femmes pauvres et de couples pauvres.

Le père d’Édouard Louis fut le deuxième bourreau, rendu misérable et méchant par une société libérale meurtrière (Qui a tué mon père, 2018). Dans Combats et métamorphoses d’une femme, Édouard Louis racontait déjà avec tendresse et fierté comment Monique s’était libérée, croyant retrouver avec ” L’autre “, comme elle l’appelle, le bonheur à Paris. Mais tout avait recommencé. Au début de Monique s’échappe, son fils l’entend pleurer au téléphone. Depuis Athènes, où il réside dans la résidence d’un écrivain, il craint qu’elle ne soit battue, peut-être tuée. Il lui conseille de fuir. Et vient l’histoire d’une délivrance, d’une renaissance. Et une réconciliation définitive entre mère et fils.

Toute liberté a un prix

Monique a longtemps reproché à Édouard d’avoir assombri son enfance dans leur village du Nord (En finir avec Eddy Bellegueule, 2014). Édouard a longtemps accusé sa mère d’être dure et a longtemps eu honte d’elle. L’évasion qu’il organise pour elle et qu’il paie (l’argent compte) depuis Athènes, la nouvelle vie qu’il lui prépare avec sa sœur aînée – avec laquelle il a également renoué – retisse intensément le lien. « Pourquoi ai-je ressenti un besoin si profond de l’aider ? » se demande-t-il. Par honte de sa honte de transfuge de classe envers son propre peuple ? Monique a longtemps accusé une carrière littéraire basée sur l’autofiction de trahison. Mais c’est avec l’argent gagné grâce à ses livres qu’il a réussi à financer sa libération, explique son fils… Toute liberté a un prix, toute liberté s’arrache par la violence.

La dimension politique n’est jamais absente des œuvres d’Édouard Louis. Il remet en question la nécessité absolue de la fuite pour certains, et non pour les privilégiés. Sur la violence que d’autres portent malgré eux parce qu’ils ne l’ont connue que familialement et socialement, et la reproduisent sans cesse. Il éprouve presque de l’empathie pour cet Autre qui a tant blessé sa mère. Tous innocents ? A 31 ans, Édouard Louis se révèle avec une compassion angélique et nouvelle, dans ce récit chargé d’émotion mais admirablement maîtrisé, aussi bref que lumineux, haletant et doux, inquiet et apaisé.

Pour la première fois, il écrit sur commande lorsque sa mère lui propose de faire une suite à Les combats et les métamorphoses d’une femme. Sous prétexte qu’elle avait beaucoup changé. Il interrompt alors les travaux en cours sur son frère aîné, décédé des suites d’alcoolisme à 38 ans, et reconnaît avoir « découvert le plaisir d’écrire au service d’un autre, d’un autre […] l’enchantement qui accompagne la disparition, l’effacement, devenant seulement un regard dans l’histoire d’un autre destin que le mien […]. Rien dans la littérature ne m’avait jamais procuré autant de joie. » Et de rejoindre, de Proust à Romain Gary, la grande lignée des fils qui parlent de mères avec tant d’intuition. Et une passion inquiétante et sentimentale.

 
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