Le décor : Hollywood. Le contexte : l’été 1962. Le jour fatidique où le corps sans vie de Marilyn Monroe est retrouvé, Freddy O. et des voyous travaillant officieusement pour le LAPD jettent un témoin récalcitrant du haut d’une falaise. Le but de cet interrogatoire musclé : retrouver une starlette de la Fox kidnappée. Elle sera retrouvée fraîche comme un sou neuf quelques heures plus tard.« C’est un piège » avait libéré le malheureux Icare avant le saut vers le Grand Nulle Part.
guillemetsElle pleurait, elle riait, elle faisait la moue. Elle se levait et faisait quelques pas de danse dignes d’un film trash (…). Elle bavardait sans arrêt.
Le lien entre la star suicidée et la starlette kidnappée ? Otash lui-même, qui a été chargé de mettre Monroe sur écoute par le tout-puissant syndicaliste Jimmy Hoffa. Le but : recueillir des rumeurs sur l’actrice et ses deux amants supposés, le président John Fitzgerald Kennedy et son frère et procureur général Bobby. On connaît la rumeur qui est entrée dans les annales des théories du complot. De son vivant, Freddy Otash affirmait avoir été appelé cette nuit-là par l’acteur Peter Lawford, le beau-frère du président et supposé chasseur de maîtresses pour lui.
James Ellroy : « Les petits livres sont pour les idiots »
Machine à fantaisie
On ne compte plus les enquêteurs, les journalistes, les historiens – ou tous ensemble – qui ont visité la chambre de la villa de Brentwood (Los Angeles) où Marilyn Monroe a rendu son dernier souffle. La licence artistique a produit son lot de romans et de films, plus ou moins documentés, plus ou moins opportunistes.
Ce n’est pas la première fois qu’Ellroy côtoie l’Aréopage. Tabloïd américain (1995) a déjà réglé les comptes des frères Kennedy. L’écrivain fait ressortir la machine à fantasmes avec les véritables protagonistes de l’affaire Monroe. Les deux premiers incendiaires de la thèse de l’assassinat politique de la bombe blonde, Jack Clemmons et Frank Capell, n’avaient rien à envier à Donald Trump en termes de mensonges et de délires extrémistes.
Fausses nouvelles autour de la mort de Marilyn Monroe
Préhistoire des fake news
Pas dupe d’eux, mais non dénué d’une forme de perversité, Ellroy va jusqu’à faire du duo les marionnettes d’une force occulte toujours détestée par l’extrême droite américaine. On n’ira pas jusqu’à assimiler l’écrivain à cette force. On le soupçonne d’être plus lucide mais néanmoins cynique dans son extrapolation. Pont entre la Trilogie Underworld États-Unis (qui couvrait les années soixante) et le Los Angeles Quintet, Les enchanteurs laisse une impression de divagation, qui n’a cessé de s’accroître depuis Traîtrise (2015). Si la plume d’Ellroy reste alerte, elle ronronne sous sa langue fleurie. Il en va du « Satyre » qui répète les cambriolages dans les maisons de femmes seules comme le jeune zonard Ellroy des années soixante…
guillemetsJe crois à la plausibilité, et même dans ce contexte, je suis franchement facile à vivre. (…) La confirmation des faits est pour les communistes et les mauviettes.
À l’ère des documentaires et des séries policières sur Netflix, la fiction d’Ellroy peine à s’élever au-dessus de la réalité, souvent déformée sur l’autel du sensationnalisme et aseptisée par le streaming de masse. Autoproclamé « réactionnaire » – sans doute autant par conviction que par provocation –, James Ellroy est notoirement coupé du monde numérique saturé. Le sien, fait de micros analogiques, d’anciens flics véreux, de magazines à scandales et de bandes magnétiques, s’inscrit dans la préhistoire des fake news. Avec son charme désuet de vieille série noire hollywoodienne, Les enchanteurs distille un petit parfum de désenchantement.
⇒ Les enchanteurs | Polar | James Ellroy, traduit de l’anglais (américain) par Sophie Aslanides et Séverine Weiss | Rivages/Noir | 667 pp., 26 €, numérique 20 €