« Les hommes manquent de courage », mais pas de naïveté

« Les hommes manquent de courage », mais pas de naïveté
« Les hommes manquent de courage », mais pas de naïveté

Au dos de la couverture du livre on lit : « inspiré d’une histoire vraie ». La formule est banale, d’autant plus à l’époque récente, qui voit fleurir en librairie des récits intermédiaires, naviguant opportunément entre le roman, l’enquête, l’autofiction et les sciences humaines. Dans ce cas Mathieu Palain revitalise cette formule, dans son cas elle est totalement littérale : c’est le récit à la première personne d’une femme qu’il présente comme réelle. Il s’en fait donc le porte-parole, le témoin ; mais que signifie, en littérature, prendre la plume pour quelqu’un d’autre, et surtout lorsque ce quelqu’un d’autre est une femme qui raconte sa vie de femme ? Ce livre est à la fois un peu trop simple, et un peu trop compliqué.

Dans un avertissement publié en marge de son récit, l’auteur et journaliste Mathieu Palain s’exprime. Il raconte qu’une femme l’a un jour invité à sortir après l’avoir contacté sur les réseaux sociaux, elle « est montée dans sa voiture, et a commencé à se livrer – à « déterrer le passé » dit-il. Une vie dont il a décidé de faire un livre, précisant « j’aurais été incapable d’inventer son histoire ».

S’ensuit un récit à la première personne, celui de Jessy, la quarantaine et une vie bien remplie, professeur de mathématiques avec deux enfants, elle vit à Paris avec son compagnon, doit loger sa belle-famille, s’occuper de la maison dont elle a une responsabilité importante, et doit faire face à une grande anxiété – elle s’inquiète pour son fils aîné Marco, qui a abandonné l’école et ne lui parle presque plus. Un soir, il l’appelle pour venir le chercher – c’est urgent. Elle le retrouve à une fête où tout le monde a pris beaucoup de drogue, le récupère ainsi que sa petite amie qui a l’air mal en point – Marco avoue quelques minutes plus tard à sa mère qu’il l’a violée. C’est le début d’une nuit sur la route, Jessy au volant, Marco à côté d’elle : une nuit pendant laquelle la mère raconte à son fils son parcours de femme, de petite fille mal-aimée, de jeune fille maltraitée, de vie sexuelle compliquée, de prostitution, de maternité, d’amour.

Naïveté

C’est très efficace, ça va vite, le dispositif qui consiste à gonfler ce road trip nocturne avec des souvenirs et des échanges entre mère et fils est convaincant – il y a presque quelque chose d’académique, mais indéniablement on s’attache à Jessy – bref c’est une bonne histoire. Mais de qui est-ce l’histoire, là est la question. La simplicité de l’avertissement est un leurre : le récit n’est pas un témoignage, comme dans un documentaire des « Pieds sur terre », une forme que Mathieu Palain connaît très bien, il l’a pratiquée dans une série sur les hommes coupables de violences conjugales. C’est un leurre déjà car comme le dit l’auteur, Jessy lui est apparue d’emblée lors de leurs rencontres comme « un personnage » – il l’écrit en italique. On pourrait rétorquer qu’elle Est nécessairement un personnage dès lors qu’il la nomme dans un roman, et à ce titre, il s’approprie son histoire en écrivant ce texte fictionnel, reprenant le procédé bien connu de la muse dictant au poète dans une théorie à peine renouvelée de l’inspiration littéraire. De ce point de vue, on pourrait reprocher à Palain – d’ailleurs grand défenseur, dans ses œuvres et ses interventions publiques, de la contrition masculine contemporaine – de faire fortune sur une expérience qu’il présente lui-même comme spécifiquement féminine.

Pourtant, je ne le crois pas si opportuniste, au contraire, je pense que la forme de ce livre en particulier est la manifestation littéraire d’une naïveté qui lui sert d’une certaine manière : j’y lis plus qu’une éthique, une croyance en une possible coïncidence des instances narratives qui est sans doute l’impulsion la plus forte du livre, et qui lui donne dynamisme et mouvement. Et puis il y a encore cette identification pour le moins dérangeante. Il y a deux hommes dans la voiture à côté de Jessy ; dans le livre, c’est son fils violeur, symptôme silencieux de masculinité toxique ; et dans la réalité supposée, il y a Matthieu Palain, un écrivain silencieux. À ce stade, la contrition atteint presque l’autoflagellation – bref, je pense que Palain lui-même est le personnage le plus intéressant du livre.

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