« Le marronnage est une image de résistance que l’on ne voit pas dans les livres d’histoire »

« Le marronnage est une image de résistance que l’on ne voit pas dans les livres d’histoire »
« Le marronnage est une image de résistance que l’on ne voit pas dans les livres d’histoire »

« Ni chaîne, ni maîtres » raconte l’histoire de Massamba et de sa fille Matti, tous deux esclaves dans une plantation de canne à sucre en 1759 à l’Isle de (ancien nom de l’île Maurice). Un soir, Matti décide de s’enfuir pour retrouver sa liberté. Madame La Victoire, chasseuse d’esclaves, est alors engagée avec ses fils pour capturer Matti. Massamba décide à son tour de s’enfuir pour retrouver sa fille avant que les chasseurs ne mettent la main sur elle.

L’histoire entière du film est construite autour du concept de marronnage, qui fait référence à la fuite des esclaves noirs pendant la période de l’esclavage. Simon Moutaïrou, réalisateur et scénariste, revient sur ce premier long-métrage au Bondy Blog. Entretien.

Pour votre premier long métrage, vous avez décidé d’aborder la question de l’esclavage et de parler du marronnage. Pourquoi ce choix ?

Quand j’ai découvert l’esclavage à l’école primaire, j’étais en colère. Je ne pouvais pas l’accepter et je n’en avais parlé à personne. Plus tard, vers 17 ans, j’ai découvert le marronnage dans la littérature antillaise, à travers les écrits de Patrick Chamoiseau, Maryse Condé et Aimé Césaire. Cela m’a procuré beaucoup de fierté, car c’était l’image d’une rébellion et d’une résistance qu’on ne voit pas dans les livres d’histoire.

Une fois que j’ai appris ce qu’était le marronnage, cela m’a donné une force intérieure. J’ai réalisé, après plusieurs années dans le cinéma français, qu’il n’existait pas de film sur ce sujet. Après avoir écrit deux scénarios à succès avec « Boîte Noire » et « Goliath », les portes se sont ouvertes à moi et j’ai décidé de porter ce thème à l’écran avec « Ni chaînes, ni maîtres ».

Pour ce film, vous vous êtes particulièrement inspiré du livre « Maroonage in Isle de France : Dream or Response of the Slave ? » d’Amédée Nagapen. Avez-vous utilisé d’autres sources pour documenter votre travail ?

La littérature créole m’a beaucoup aidée dans la construction du film, et le livre d’Amédée Nagapen a été une véritable mine d’or pour m’informer sur le marronnage et le mode de vie des esclaves. C’est aussi dans ce livre que j’ai retrouvé le personnage de Madame La Victoire, incarnée par Camille Cottin dans le film. C’est le seul personnage historique du film.

Pour travailler sur le scénario, j’ai également été épaulée par des historiens tels que Vijaya Teelock, qui a longtemps présidé le Comité de l’UNESCO pour la Route de l’esclave, ainsi que Khadim Sylla, spécialiste de la culture wolof. Au total, une vingtaine d’historiens, anthropologues et linguistes m’ont accompagnée afin de rendre ce film le plus réaliste possible.

Vous dites que votre film a aussi une portée pédagogique à travers le thème de l’esclavage. Que pensez-vous du traitement de cette histoire dans les écoles aujourd’hui ?

J’ai 43 ans et j’apprends encore des choses incroyables sur l’histoire de France. Notre pays a cette capacité de ne pas regarder en arrière et de ne pas supposer clairement que toutes ces choses ont existé. C’est notre histoire, et elle ne concerne pas seulement les descendants d’esclaves, mais tout le monde. Selon moi, le cinéma a un rôle à jouer dans l’éducation, car il permet de faire vivre l’histoire et de la faire bouger autrement que dans les livres d’histoire.

Il était important de reprendre le contrôle de notre récit et de raconter nos histoires.

Il était important de reprendre le contrôle de notre récit et de raconter nos histoires. Avec ce film, nous avons l’ambition de le diffuser dans les collèges et lycées pour toucher les jeunes, notamment ceux du continent africain et des Caraïbes, afin qu’ils s’approprient cette image de résistance.

Votre film aborde la question de la violence raciale. Vos acteurs ont-ils eu des difficultés à incarner des personnages aux propos racistes et violents ?

C’est une difficulté à laquelle je ne m’attendais absolument pas. C’était très compliqué pour mes comédiens d’entendre et de prononcer certains mots chargés de sens. Et ce, malgré la bonne volonté qui régnait entre eux. C’était particulièrement difficile pour Camille Cottin, ou pour Ibrahima Mbaye, l’interprète de Massamba, qui a dû quitter la salle de répétition à un moment, parce que c’était trop dur pour lui. Finalement, ils se sont laissés habiter par l’histoire, et sur le plateau, ils ont été incroyables.

Dans votre film, vous mettez en avant les cultures africaines, notamment à travers la langue, avec le wolof, mais aussi à travers des aspects culturels et spirituels. Pourquoi était-il important de les mettre en avant ?

Pour moi, la résistance est autant une question de courage que de culture. L’oppression et les ordres coloniaux cherchent souvent à détruire les cultures car elles représentent l’identité et la fierté de soi, elles constituent une force collective. Ce qui m’a touché dans le marronnage, c’est que ces esclaves ont fui les plantations pour reconstruire leur culture ailleurs. Il y a une forme de renaissance dans le marronnage, et je pense qu’il était essentiel de montrer ces identités renaissantes, de voir des gens se relever grâce à leur culture. Mettre en avant ces cultures est aussi une forme de résistance, encore aujourd’hui.

Vous dites que ce film, bien qu’il documente le passé, résonne avec notre époque actuelle. Pouvez-vous nous en parler ?

L’oppression existe toujours. Aujourd’hui, on peut être opprimé en raison de son sexe, de sa classe sociale, de sa couleur de peau, de sa religion, etc. Cependant, il existe des moyens de s’en libérer et j’ai voulu tendre ce miroir pour que les spectateurs puissent s’inspirer de mes personnages, qui ont réussi à se libérer des chaînes du système colonial.

J’invite les gens à également « s’opposer » à l’oppression.

J’invite les gens à se « révolter » contre l’oppression. Il est de notre devoir de regarder ensemble ce qui s’est passé pour pouvoir nous réconcilier. J’ai fait ce film non pas pour diviser, mais pour rassembler et susciter le débat. Je veux panser les plaies ouvertes et faire passer les spectateurs du choc à la résilience. On m’a souvent reproché de rouvrir ces plaies du passé, mais je crois que nous devons les rouvrir pour mieux les guérir.

Propos recueillis par Sélim Krouchi

 
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