« La taxe sur les livres d’occasion, dernier avatar de la surenchère des mesures fiscales »

« La taxe sur les livres d’occasion, dernier avatar de la surenchère des mesures fiscales »
Descriptive text here

FIGAROVOX/TRIBUNE – Lors de la Fête du livre de Paris, le 12 avril, Emmanuel Macron a annoncé une taxe de 3 % sur les livres d’occasion. Erwann Tison, économiste et directeur de l’Institut Sapiens, y voit une illustration de l’aporie de l’exécutif en matière de politique économique.

Macroéconomiste de formation et diplômé de la Faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, Erwann Tison est le directeur d’études du think tank Sapiens Institut. Il a publié en 2020 Un robot dans ma voiture : ne ratons pas la révolution des transports autonomes à la maison de MA Éditions.


Face aux incertitudes d’un monde en constante évolution, il est bon de s’accrocher à des repères inébranlables. Parmi ces bouées immobilières, la récurrence de notre création fiscale figure en bonne position. Quelles que soient les évolutions auxquelles nous serons confrontés dans les années à venir, il est rassurant de dire que le génie français dans ce domaine continuera à assurer une production constante. Dernière création en date, l’annonce par le président de la République d’une contribution de 3% sur les ventes de livres d’occasion. Une décision qui pourrait faire sourire, car elle intervient quelques heures après l’appel du « relancer très fortement la démarche lecture » et fais-en un « rituel quotidien pour les jeunes » et contredisant la volonté du gouvernement de ne pas augmenter les impôts. C’est surtout une illustration de l’aporie de l’exécutif en matière de politique économique.

D’une taille de 350 millions d’euros, le marché du livre d’occasion a connu une croissance de 30 % au cours des cinq dernières années, signe de son dynamisme et de l’existence d’une demande croissante pour ces échanges. L’ancien étudiant en économie que je suis se souvient avoir profité des bourses de livres organisées par l’association étudiante locale, permettant d’accéder aux manuels incontournables de Mankiw, Blanchard, Varian ou Piller pour seulement 10 % du prix de vente en librairie. Un mécanisme circulaire et social vertueux dont le succès aiguise désormais l’appétit fiscal de Bercy.

Le problème ici n’est pas le poids de la contribution en tant que telle – qui ne devrait rapporter que 10 millions d’euros par an, avec un surcoût de 12 centimes par livre – mais le signal envoyé. Dans quelle mesure cette fiscalité est-elle compatible avec les ambitions de développement de l’économie circulaire ? Comment la concilier avec la volonté de redynamiser l’appétit littéraire de la population ? Quel est son intérêt économique, si ce n’est de satisfaire le syndicat national de l’édition (SNE) à l’origine de cette demande ? Pourquoi d’ailleurs les contours de son application, à savoir qu’elle ne concernerait que les ventes réalisées sur les plateformes en ligne, ont été détaillés d’abord par son président et non par le ministre de la Culture ou les députés de la commission des finances ? Ce mélange des genres est assez inquiétant et reflète la faiblesse de nos dirigeants depuis des décennies à satisfaire les intérêts sectoriels au détriment de l’intérêt général.

Le symptôme de ce rejet du long terme dans notre vie politique, partagé par tous les partis, est sans doute l’absence d’études d’impact de l’action publique.

Erwann Tison

Sans tomber dans la caricature d’un pouvoir au service des lobbies, force est de constater que depuis quarante ans les exigences du long terme ont peu de poids au regard des impératifs du présent. Les personnels politiques sont prisonniers de la dictature de l’immédiat, sommés de répondre instantanément à un problème précis, sans pouvoir prendre le temps de réfléchir et d’évaluer. Toute demande de retard est perçue comme une marque de faiblesse, d’incompétence, voire d’impuissance. Or en politique, ce triptyque est souvent synonyme de disqualification électorale.

Dans une récente chronique, l’économiste Emmanuel Combe montrait comment la théorie des choix publics appliquée à la politique expliquait pourquoi la dette publique ne serait jamais résorbée. Bref, l’élu en quête constante de voix n’a aucun intérêt à prendre des décisions impopulaires, même si elles sont bénéfiques pour l’avenir de son pays. Il est plutôt incité à répondre à ce qu’il considère comme une demande immédiate des électeurs pour garantir leur vote. Un phénomène que l’on pourrait appeler la jurisprudence Schröder. L’ancien chancelier allemand a choisi en 2005 de mener des réformes impopulaires mais nécessaires, ce qui lui a coûté sa réélection. Ce faisant, il a néanmoins offert vingt ans de prospérité économique à son pays.

Le symptôme de ce rejet du long terme dans notre vie politique, partagé par tous les partis, est sans doute l’absence d’études d’impact de l’action publique. Il existe une forte volonté d’annoncer des mesures surprenantes, mais dépourvues d’évaluation ex ante. Cela permet à leurs auteurs de s’assurer une place de choix dans l’actualité du moment, mais ne constitue pas une politique structurante à long terme pour la nation. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des mesures populaires au moment de leur annonce mais néfastes à long terme, comme la retraite à 60 ans, la fermeture de Fessenheim, l’arrêt de Superphénix, l’instauration uniforme des 35 heures, l’interdiction de des produits phytosanitaires indispensables à l’agriculture, la suppression de la taxe d’habitation, l’obligation de vendre des voitures électriques à partir de 2035, ou encore plus récemment l’annonce de la mise en place de prix planchers dans notre agriculture.

Lire aussiLes prévisions du gouvernement sur le déficit « manquent de crédibilité » : avertissement de Pierre Moscovici

Cette escalade des mesures fiscales et réglementaires, qui s’ajoute à des subventions absurdes comme la prime au rapiéçage ou le chèque bois, sont autant de décisions qui finissent par affaiblir la parole publique, pointant la décorrélation totale entre postures politiques et résultats concrets pour la vie quotidienne des citoyens. le français. Pire encore, dans la période de quasi panique budgétaire que nous vivons, la primauté de certains intérêts sectoriels sur la construction de demain – illustrée par les 14 milliards d’euros de revalorisation des retraites d’une part et la réduction des crédits alloués à la formation et la recherche de l’autre – alimente un ressentiment puissant qui remet en question l’équilibre et la justice de l’action publique et sa capacité à penser l’avenir d’un pays au-delà des prochaines élections.

Cette contribution sur les livres d’occasion n’est pas si anodine. Elle reflète les maux profonds de notre vie politique, pétrie d’injonctions contradictoires, où la séduction prime sur l’évaluation, et où l’amélioration de la cote de popularité prime sur la structuration de l’avenir d’une nation.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV les moments forts du week-end
NEXT Auteur de deux livres à 19 ans, Louis Lefèvre utilise les mots pour guérir