Les féministes québécoises « prennent le relais »

Les féministes québécoises « prennent le relais »
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On l’a beaucoup entendu au Festival du livre de Paris ce week-end : le féminisme est l’un des sujets qui intéresse le plus les Français dans la littérature québécoise actuelle. Des dignitaires l’ont dit jeudi lors de la cérémonie d’ouverture, et les festivaliers l’ont confié à leurs auteurs préférés lors des séances de dédicaces.

Avec ce quatrième et dernier article sur le grand rendez-vous littéraire parisien où le Québec était à l’honneur, nous avons tenté de comprendre ce qui explique cette curiosité des Français envers notre littérature féministe, et en quoi elle se démarque par rapport à celle de la .

L’écrivaine et journaliste littéraire Claudia Larochelle se pose les mêmes questions depuis plusieurs années. Elle était la personne idéale pour animer un panel, samedi après-midi, sur les différentes formes que prend ici la littérature féministe, avec Martine Delvaux, Dominique Fortier et Gabrielle Boulianne-Tremblay.

” Tu es espèces »

Dans une interview, elle explique avoir trouvé une partie de la réponse en discutant avec un collègue français qui lui a dit : « tu es espèces, les Québécois. «J’ai tout de suite compris ce qu’elle voulait dire. Je pense que nous n’avons pas de filtre par rapport aux batailles qui restent à mener chez nous et que nous évitons un certain formalisme européen » qui peut parfois nuire à la force du discours politique.

“Malgré tout, tant de Françaises, comme Neige Sinno, ont beaucoup de courage”, poursuit la journaliste. D’autant que d’autres, comme Annie Ernaux ou Christine Angot, ont défriché le terrain avant elles. Mais aujourd’hui, les Québécois prennent le relais. »

En effet, dans un contexte où les échanges entre le Québec et la France s’intensifient et où la France est secouée par une nouvelle vague #metoo, l’abondante littérature féministe québécoise connaît un succès sans précédent outre-Atlantique.

E en tant qu’écrivain

Martine Delvaux incarne peut-être mieux que quiconque ce phénomène. «A priori, arriver en France et commencer à être publié, ce n’est pas facile», estime l’essayiste et professeur de littérature à l’UQAM. Le marché est très compétitif. Mais je suis arrivé avec quatre livres et je dirais que j’ai réussi à me tailler une place. Les thématiques que j’aborde touchent de plus en plus de personnes, notamment les jeunes de 20 à 30 ans. »

« Aujourd’hui encore, ajoute-t-elle, les Françaises ne nous connaissent pas très bien. Pourtant, le Québec a été à l’avant-garde de la pensée féministe. Sur la question du langage inclusif, la féminisation des titres nous a toujours semblé une évidence. J’ai grandi en utilisant le mot « écrivain », plutôt que d’attendre que l’Académie française m’autorise à dire « autrice ».

C’est en partie sur ce mot « écrivain » que repose le texte de Martine Delvaux dans Libération des écrivainsune rubrique spéciale du quotidien français Libérer composé de carte blanche aux auteurs qui ont fait la part belle au Québec lors du Festival. “Je n’entends pas l’universel dans le mot “écrivain”, j’entends le singulier”, écrit-elle. […] Le petit E très québécois me donne accès à un universel différent. »

Et cet « universel », celui que nos écrivains rendent possible, se décline de plusieurs manières. Tant les textes les plus militants de Martine Delvaux que les essais littéraires de Dominique Fortier ou la poésie et l’autofiction de Gabrielle Boulianne-Tremblay témoignent d’un regard féministe, d’une gaze féminine innovant.

« Des mots plus forts »

L’innovation est ce qui unit les écrivaines féministes, selon Martine Delvaux. « Partout dans le monde, les genres sont brisés – sociaux et littéraires. Au Québec, notre innovation se traduit par un activisme poétique, par une esthétisation radicale de la pensée politique. »

Autrement dit, les nouvelles formes d’écriture féministe — au Québec peut-être plus qu’ailleurs — sont intrinsèquement politiques. Martine Delvaux, par exemple, écrit « par fragments », et ce n’est pas un hasard. « La pratique même du fragment est féministe, car elle brise le récit téléologique et l’histoire du héros masculin classique. Elle raconte également la vie des femmes. J’ai lu un jour un poète qui disait : « J’écris des poèmes, parce que je n’ai pas le temps de faire autrement, je m’occupe des enfants et je travaille ». Le fragment est la matérialisation de notre vie. »

Gabrielle Boulianne-Tremblay, qui s’est inspirée de sa propre transition de genre pour écrire La fille d’elle-même, considère également son style comme incassable d’un point de vue politique. « D’une part, je voulais éviter une didactique de la transition, habituer les gens à cette réalité. En même temps, parce que mon existence est politique, parce que la revendiquer dans l’espace public reste dangereux, j’ai utilisé des mots plus forts. J’avais besoin de dire ma vérité. »

Petit à petit, en France comme au Québec, sa vérité résonne, car elle a la première osé l’écrire. « Il y a encore un long chemin à parcourir. Quand je sors un livre, on se concentre encore beaucoup sur le « phénomène » trans – entre guillemets. Mais je pense qu’on peut arrêter de parler de « littérature trans » et considérer ce que je fais comme de la simple littérature. C’est aussi ça le féminisme. »

Hommage à Réjean Ducharme

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