les éditeurs locaux lèvent le rideau

Il va sans dire que le théâtre est un art vivant, de la performance, qui se découvre au théâtre. Mais elle vit aussi à travers les livres, les textes publiés qui voyagent de main en main et traversent le temps. Dans le cadre de la Journée mondiale du théâtre, qui a lieu le 27 mars, Atelier 10, Dramaturges Éditeurs, Leméac, L’instant soi, Les Herbes rouge, Somme tout, Hamac et Ta Mère, sont fiers d’unir leurs forces pour mettre en valeur les livres de théâtre d’ici.

Directeurs de collections, directeurs de théâtre et éditeurs ont accepté de lever le rideau sur leur précieuse contribution à la dramaturgie québécoise et à sa déclinaison en librairie.

Maud Brougère : © Catherine Genest

Publier du théâtre (un art vivant), signifie-t-il le figer ou au contraire le faire évoluer ?
Congelez-le, au moins pour un moment. C’est même la tentative précise de prendre en photo une œuvre en constant mouvement. Nous l’expérimentons très concrètement lors du montage, dans le cas où nous travaillons sur le livre tandis que le dramaturge prépare l’entrée sur scène : le monteur recherche la meilleure version du texte à imprimer une fois pour toutes, pendant que l’équipe de répétition continue de changer les choses chaque jour. Cela fait un moment que je fais la paix avec cela et j’encourage les auteurs à faire de même : le livre est l’image la plus fidèle possible d’un texte qui continuera à bouger sur scène.

Et finalement, c’est parce que cette version figée existe qu’un metteur en scène pourra un jour s’emparer du texte et lui donner une nouvelle couleur sur scène. Faites-le évoluer, donc.

-Maud Brougère, codirectrice, collectionPièces », Atelier 10

Maxime Raymond

Comment lire le théâtre publié (à voix haute, en groupe, comme un roman) ?
Chez Ta Mère, nous souhaitons avant tout que le théâtre se lise exactement comme n’importe quel autre livre, ou selon vos envies. Nous faisons cela dans un bain moussant avec une grosse neige fondante aux cerises, mais nous ne sommes pas particuliers sur la méthode. Contrairement à un théâtre où il est clair que partir au milieu avant la fin se passera mal, personne ne vous jugera sur l’usage que vous ferez de votre livre. Vous pouvez même l’acheter juste pour la couverture ou pour faire croire à vos proches que vous lisez un drame.

Cela dit, nous aimons l’idée que vous lisiez l’article en groupe, car cela vous fait acheter plus d’un exemplaire du livre, et c’est bon pour les affaires…

-Maxime Raymond, rédacteur, Ta Mère

Geneviève Pigeon : © Jean-Marie Lanlo

Vaut-il mieux lire la pièce avant d’aller la voir sur scène ou s’y replonger après ?
La collection « L’instant scène », chez L’instant soi, a pour ligne éditoriale de publier les pièces au moment des premières représentations. Parfois, nous sommes plus flexibles, mais en général, le livre sort des presses alors que personne n’a encore vu la pièce sur scène. On découvre donc le texte bien avant l’expérience scénique, contrairement à de nombreux spectateurs qui achètent le livre après la représentation. Je ne pense pas que l’un soit meilleur que l’autre, en fait l’idéal serait de pouvoir faire des allers-retours entre les deux ! La scène propose la vision de plusieurs personnes (mise en scène, costumes, musique, décor, éclairage, interprétations) tandis qu’à la lecture, chacun construit son propre décor, son propre rythme. Ma suggestion serait de lire le livre avant, de s’en saisir, et de le relire après, de se le réapproprier en observant comment d’autres ont travaillé dessus. Aucune lecture n’est meilleure qu’une autre, et ce mouvement dynamique contribue à mettre en valeur la richesse et la profondeur du texte. Cela permet également d’apprécier tout le travail, souvent oublié, de rédaction des consignes ! C’est une part essentielle de l’écriture théâtrale et on en parle trop peu.

-Geneviève Pigeon, directrice générale des éditions de L’instant humain et présidente de l’ANEL

Diane Pavlovic : © Maxime Côté

Comment le montage affecte-t-il une pièce ?
Publier du théâtre, c’est affirmer son appartenance au champ littéraire. C’est marquer son impact dans l’actualité tout en l’inscrivant dans l’Histoire, c’est lui assurer une durée, une ampleur qui dépasse le cadre de sa création sur scène. Un pied dans l’écriture et l’autre dans le spectacle à venir, le texte dramatique porte un monde en soi, a son propre souffle, et c’est en ce sens qu’il doit être travaillé.

Si elle poursuit des objectifs concrets de circulation des textes, l’édition théâtrale est donc aussi un acte de foi dans la parole singulière d’écrivains capables d’inspirer leur époque et de lui donner du sens. Le travail de montage consiste à figer l’œuvre même avec, ou malgré, les changements qui ont pu intervenir lors de la répétition : découpage d’un personnage, structure, etc. coupe de l’écrivain peut à son tour influencer la production actuelle, et bien sûr les créations ultérieures.

Parce que le livre s’affranchit de l’actualité de la pièce et s’adresse au lectorat et à l’avenir. Il n’est pas un satellite de la création, il ne « l’accompagne » pas. C’est le contraire. La création est une des occurrences du texte ; il est daté dans le temps. Il reste.

-Diane Pavlovic, directrice de l’espace « Théâtre », Leméac Éditeur

Olivier Sylvestre : © Guillaume Boucher

Lire du théâtre classique ou contemporain ? Quelles différences ?
Bien sûr, il faut connaître ses « classiques ». Shakespeare, Pirandello, Racine, Ibsen, Wedekind, Tchekhov… ont forgé de grandes histoires d’humains en quête de raconter, de se raconter, de dépeindre leur époque, à travers les mots de leur auteur. Je dis volontairement « auteur », car si l’on peut lister les auteures dramatiques féminines à travers le temps, un grand nombre d’entre elles ont subi l’effacement de l’histoire patriarcale. Il existe pourtant de nombreux auteurs contemporains, et d’excellents : Lefebvre, Perrade, Boisvert, Fréchette, Doummar, Monnet… Première raison de se tourner vers le théâtre d’aujourd’hui. La seconde : l’humanité a connu d’innombrables révolutions depuis que Molière a écrit son « Malade imaginaire ». Si les sentiments humains ne changent pas – et encore là, cela reste discutable – la manière de les écrire a considérablement changé. On peut toujours relire nos classiques en les transposant… mais pour éclairer notre époque, rien ne vaut l’écriture du vivant. D’autant qu’ils savent si bien se réapproprier la parole des morts.

-Olivier Sylvestre, auteur et directeur de la collection » théâtre » aux éditions Hamac.

Yvan Bienvenue

Publier, lire… acheter du théâtre ?
Il y a tellement de raisons de publier du théâtre (intellectuelle, culturelle, patrimoniale… politique.) ; autant de raisons de lire du théâtre (en plus académique). Mais ce qui me touche le plus dans le travail d’édition, c’est que nous donnons aux gens le pouvoir d’acheter du théâtre. Et pas seulement comme souvenir, mais comme charge d’humanité, d’amour. Suivez-moi attentivement. Le théâtre est une rencontre, et revenir d’une représentation avec un livre, certains diraient un album, c’est comme rentrer à la maison avec le bouquet du premier rendez-vous. Bien sûr, elle séchera au fil des années entre les feuilles, comme la fleur du premier je t’aime, mais les plus belles fleurs de l’amour ne sont-elles pas des fleurs séchées ? Et, comme une fleur, elle conservera à jamais sa capacité à raviver le cœur qui oublie trop souvent qu’il a frémi devant ce baiser parfait sous la bonne lumière. Sommes-nous, mon amour, au bord du désir ?

-Yvan Bienvenue, auteur et co-fondateur de Dramaturges Éditeurs

Pour découvrir la programmation de la librairie, les conférences et conférences mettant en vedette éditeurs et dramaturges, rendez-vous sur ce lien.

 
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