«autour d’un prix littéraire, il y a de la magie et de la fascination»

«autour d’un prix littéraire, il y a de la magie et de la fascination»
«autour d’un prix littéraire, il y a de la magie et de la fascination»

La petite musique est présente tout l’automne. Plus « Veiller sur elle », le quatrième roman de Jean-Baptiste Andrea, plaisait aux lecteurs, plus il se rapprochait du Goncourt. Jusqu’au sacre définitif, le 7 novembre, en duel avec Éric Reinhardt.

Les jurés réunis à Drouant ont donc opté pour une fresque amoureuse, familiale et historique de près de 600 pages qui se lit avec un plaisir jubilatoire. Andrea raconte l’histoire de Mimo, un petit sculpteur italien qui a créé une œuvre si exceptionnelle, si extraordinaire, qu’elle est devenue inmontrable.

La Vierge de Mimo a tellement fait tourner les têtes et les esprits qu’on essaie de faire croire qu’elle n’existait pas. Comment l’artiste a-t-il atteint cette pureté et effrayé ses ouailles ? Sur son lit de mort, il nous raconte sa vie, étroitement liée à celle de Viola Orsini, son amie d’enfance, la seule femme qui l’aimait vraiment.

L’auteur réussit à mêler petites et grandes histoires à la malice, et s’attache à décrire l’Italie sombrant dans le fascisme au début du XXe siècle. Mais ici on s’entend avec l’impensable, on laisse passer l’indicible, pour mieux veiller sur notre petite gloire…

Depuis Cannes, où il réside, Jean-Baptiste Andrea revient avec nous sur cette rentrée un peu particulière. Qui l’a vu passer d’étranger à roi des lettres.

Paris Match. Vous étiez parmi les favoris au Goncourt. Comment s’est passée la journée précédant l’annonce ?

Le reste après cette annonce

Jean-Baptiste Andréa. Je suis arrivée à Paris le lundi 6 novembre, jour de la remise du Femina. D’après Neige Sinno, cela signifiait que nous n’étions plus que trois pour le Goncourt. Avec Laurent Beccaria, mon rédacteur, le soir, nous avons dîné très sympa, en petit groupe, pour profiter de ce moment d’attente. On s’est dit que ça valait vraiment le coup de vivre l’intensité de ces moments suspendus. Mais mardi matin, en revanche, je ne pouvais plus rester dans ma chambre d’hôtel. Je suis parti vers 10 heures et me suis dirigé vers le quartier Iconoclaste. On savait que le jury se réunissait à 11h30

Et l’attente commence…

Oui, les jurés eux-mêmes expliquent souvent qu’ils arrivent en pensant qu’un tel va gagner et que c’est un tel qui remportera le prix. Il est donc impossible de procéder à un décompte préliminaire des voix. Mais l’adrénaline est montée. En tant que personne qui ne supporte pas bien l’incertitude, je voulais juste savoir. Que ce soit oui ou non, dites-le ! A 12h15, toujours aucun appel. J’en conclus qu’il est perdu. A 12h30, j’essaie de convaincre tout le monde de la défaite. Nous savions que le prix devait être annoncé à 12h50 ; techniquement, nous n’avions plus le temps d’arriver à Drouant à l’heure. Laurent Beccaria a donc prononcé un bref discours : « C’était formidable d’aller aussi loin. Nous sommes déçus, mais c’est une expérience unique que nous avons vécue ensemble. J’ai une petite coupe de champagne dans les mains, que je ne veux pas boire. J’envoie un texto à ma femme : « Ce n’est pas nous. Mais tout va bien. Quand, à 12h47, j’entends un cri, celui d’Alina, mon attachée de presse. Et puis mon monde bascule en une fraction de seconde.

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Jean-Baptiste Andrea chez lui, à Cannes, en décembre 2023.

© Dorian Prost

Vingt minutes plus tard, vous voilà à la table des jurés à Drouant. T’en souviens tu?

Il n’est pas possible de vivre ce moment dans l’instant. C’est une expérience où nous sommes à la fois là et pas là. Il n’y a que 120 personnes, à part moi, qui savent ce que c’est d’avoir Goncourt. Soudain, le succès arrive, mais nous voyons aussi les perspectives des gens changer, alors que vous n’avez pas changé. Quelques jours plus tard, j’étais au Salon du livre de Brive ; ce week-end-là, je suis passé de 50 à 400 dédicaces… Autour d’un prix littéraire, il y a de la magie et de la fascination. Finalement, c’est cool. Je préfère que ce soit pour ça plutôt que pour un sujet qui n’en vaut pas la peine.

Viola est un hommage à toutes les femmes qui m’ont porté, qui m’ont nourri.

Jean-Baptiste Andréa

Qui sont pour vous Viola et Mimo, vos personnages ?

Viola est un hommage à toutes les femmes qui m’ont porté, qui m’ont nourri. Elle est l’incarnation de quelqu’un qui n’abandonne jamais. Ayant grandi dans un environnement très féministe, j’ai toujours recherché la compagnie de femmes très libres. Quant à Mimo, c’est moi, je crois, qui m’incarne dans le roman pour parler de ces femmes.

Ceux qui savent quel sera leur chemin de vie ?

Oui, j’aime les gens qui savent où ils vont, qui expriment une volonté dans une société très protectrice, qui veut nous canaliser jusqu’à nous enfermer. Enfant, je savais que je voulais devenir écrivain, mais je ressentais la force de la norme. Et j’ai trouvé ça très oppressant. Les gens me disaient : « On ne peut pas devenir écrivain, c’est un passe-temps, pas un travail. » Souvent, c’était par amour, parce que ma famille ne voulait pas que je mène une vie où on ne gagnait rien. Mais après mes études, j’ai écrit.

Enfant, je faisais de faux romans avec des couvertures fictives.

Jean-Baptiste Andréa

Pourquoi vouliez-vous être écrivain ? Avez-vous eu un rapport particulier à la littérature ? Étiez-vous un grand lecteur ?

Enfant, je faisais de faux romans avec des couvertures fictives. J’ai toujours été un grand lecteur, peut-être parce que j’avais une facilité avec le français. Le temps d’un livre, d’une performance, d’un film, nous créons un univers qui fonctionne comme nous le souhaitons. Dans « Veiller sur elle », par exemple, il y a une forme de rédemption. Et c’est peut-être ce que je cherchais pour moi qui suis hypersensible : inventer un monde un peu moins douloureux.

Avez-vous eu une enfance compliquée ?

Oh non, très heureux. D’abord, j’ai eu l’amour de mes parents, ce qui est essentiel. Je crois que j’étais programmé pour privilégier le bonheur plutôt que la dépression ou le malheur. Même dans les moments difficiles, je n’ai jamais fondamentalement douté. C’était plus complexe après le baccalauréat, quand je suivais des études qui ne correspondaient pas à ce que je souhaitais faire. A Sciences Po, même si j’y ai rencontré mes meilleurs amis, je ne pense pas m’être épanoui… J’ai pu développer un esprit de synthèse, avoir une vision globale, comprendre que ce qui est bien conçu peut s’énoncer clairement. C’est aussi de là que vient mon intérêt pour les totalitaires. Mais l’ambiance et la majorité des gens autour de moi, ce n’était pas mon truc.

Quand les mots ne servent que leur auteur, ils trahissent la littérature.

Jean-Baptiste Andréa

Plutôt que de poursuivre une carrière politique, on se retrouve à écrire pour le cinéma. Alors faire trois films !

Exactement. Adolescente, j’ai fait beaucoup de théâtre. Alors, en tant que jeune adulte, je me suis naturellement tourné vers le cinéma, car je n’avais pas la maturité nécessaire pour affronter le roman. Je suis cinéphile, j’aime réaliser et j’apprends beaucoup de l’écriture cinématographique. Je suis encouragé par mon ami James Huth [réalisateur de “Brice de Nice”]. C’est lui qui m’a dit : “Tu sais écrire, mais c’est un métier.” Il me prend sous son aile, me met des livres entre les mains. Avec lui, je fais mes cours en décortiquant des films, des scénarios, en essayant de comprendre comment naît une émotion. J’apprends qu’écrire est un art. Quand les mots ne servent que leur auteur, ils trahissent la littérature. Écrire, ce n’est pas se briller en tant qu’écrivain, mais avant tout raconter une histoire. Ce simple fait, j’ai l’impression qu’on l’a abandonné au cinéma. Comme si raconter une histoire était devenu vulgaire. Alors, quand on le retire de la littérature, on lui arrache le cœur…

Comment en êtes-vous arrivée à publier votre premier roman en 2017 ?

J’avais un projet de série. Avec mon co-auteur, nous avons écrit une bible en 32 épisodes. Nous avions vendu les droits à deux reprises, ce qui montrait que le projet était solide. Après deux ans d’attente, une plateforme nous a dit : “On aime ce que vous faites, mais on ne pourra pas le produire, parce que c’est trop original.” Ce fut une grosse gifle. Déjà, pour mon film « La Confrérie des Larmes », on m’avait demandé de le rendre « moins littéraire ». A partir de là, j’ai voulu la liberté du roman, juste avoir l’image de deux enfants dans une station-service. J’ai écrit ce premier livre juste pour moi, pour renouer avec ce que j’aime faire. Et à ce moment-là, je me sentais tellement bien que je me suis dit : « N’oublie plus jamais cette sensation. Ne le perdez pas. C’est la chose la plus précieuse.

Alors la littérature vous a sauvé la vie ?

Oui… [Il rit.] Elle a changé ma vie et m’a rendu à moi-même.

« Watching Over Her » ferait un bon film, non ?

Cela ferait une superbe série de quatre épisodes ! Il y a beaucoup d’offres en ce moment, mais nous ne nous précipitons pas. Nous verrons comment tout cela se passe. Pour l’instant, je connais bien ce milieu, et il est très simple d’obtenir des offres. Encore faut-il qu’ils réussissent.

Quand on dit que « Veiller sur elle » est un grand roman populaire, est-ce qu’il vous plaît ou vous agace ?

Il y a eu un changement dans le débat en France. La littérature a souvent été identifiée à quelque chose d’inaccessible et d’incompréhensible. Cela vient probablement de l’avènement de la figure de l’intellectuel français, après la Seconde Guerre mondiale. Plus c’est abstrus, plus c’est énigmatique, plus cela paraît intelligent. C’est devenu quelque chose de très élitiste. En conséquence, nous avons créé une autre catégorie, « littérature populaire ». Mais cette dichotomie n’existe pas. Il n’y a que des bons et des mauvais livres. Indiquer.

Chacun de nous peut laisser passer des choses monstrueuses.

Jean-Baptiste Andréa

C’est aussi un texte politique sur la montée du fascisme, les petits arrangements avec le pouvoir…

Un sujet très actuel. Ce qui m’a semblé intéressant, c’est de voir à quel point chacun de nous peut laisser arriver des choses monstrueuses. Ces actes terribles ne sont pas toujours des choses inévitables qui découlent d’énormes rouages ​​que personne ne peut déplacer. Il y a des petites actions quotidiennes qui sont d’une importance cruciale, d’un côté comme de l’autre.

Croyez-vous que nous pouvons être transformés par une œuvre d’art ?

Oui bien sûr. Je crois même que c’est le but d’une œuvre d’art, sans changer nos vies, on comprend… Mais ça nous élève.

Quelles œuvres vous ont transformé ?

Celles de la Renaissance italienne et de la pré-Renaissance, la peinture vénitienne, la peinture florentine, Giovanni Bellini ou Léonard de Vinci, bien sûr. J’écoute aussi beaucoup de musique. Musique classique d’un côté et métal extrême de l’autre. J’aime particulièrement Insomnium, un groupe finlandais.

Voulez-vous savoir à quoi ressemblera la suite ?

J’ai appris qu’on ne peut pas forcer les idées, qu’il faut être patient. On ne peut pas faire mieux que cette sublime récompense. Même si je le faisais, on me dirait probablement que ce ne serait pas aussi bon. Donc je n’ai plus à m’inquiéter de ça, c’est une couche de pression qui se détache.

Nous en reparlerons à la sortie de votre prochain roman…

Je suis sûr qu’il sera moins bien reçu. Mais je suis totalement prêt pour ça. Après, je ne dis pas que ça me fera plaisir…

 
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