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« Donald Trump est un « game changer » »

Depuis l’annonce du cessez-le-feu à Gaza en milieu de semaine dernière, on entend beaucoup dire que l’influence américaine, et notamment celle de Donald Trump, était essentielle dans cet accord. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait-il finalement avoir quelques bons côtés ?

J’avoue que je ne sais pas exactement qui a négocié quoi avec qui et comment… J’ai eu beaucoup de discussions ces dernières heures (cette interview a été réalisée ce jeudi après-midi, NDLR) avec mes homologues égyptiens et qataris, ainsi qu’avec avec le président et le ministre des Affaires étrangères israéliens, mais pas avec Joe Biden et Donald Trump. Je ne souhaite donc pas attribuer de « bons ou mauvais points » à l’un ou à l’autre. Je ne peux que remercier ceux qui savent qu’ils ont été nécessaires pour obtenir cet accord. L’essentiel est que cette dernière soit concrètement là et qu’elle puisse permettre à la population civile de Gaza de cesser de souffrir.

Après, c’est vrai que Donald Trump est ce qu’on appelle un « game changer ». J’ai travaillé avec lui pendant quatre ans alors qu’il était déjà président et que j’étais Premier ministre. Avec lui, on sait qu’il y a un risque d’avoir beaucoup d’incertitude, mais aussi d’imprévisibilité et de « transactionnel ». C’est un homme d’affaires. Il ne vous fait pas de cadeau. Il a son propre caractère, il est spontané et direct. Mais, avec sa façon de travailler, il saura peut-être débloquer certaines situations restées débloquées jusque-là…

« Avec lui, nous savons qu’il y a un risque de beaucoup d’incertitude, d’imprévisibilité et de transactionnalisme. C’est aussi un homme d’affaires. Il ne vous rend pas service», déclare Xavier Bettel à propos de Donald Trump. © PHOTO : Shutterstock/Archives

L’effet d’annonce de ce cessez-le-feu est important. Mais avec l’instabilité que nous connaissons dans cette région du monde, cela peut-il durer longtemps ?

Je pense que si l’on s’interroge sur la durée d’un tel accord ou sur la volonté de vouloir la paix, on aborde le problème par le mauvais côté. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est parvenir le plus rapidement possible à une situation à deux États. Ainsi, la paix palestinienne est la sécurité israélienne. La Palestine doit pouvoir vivre et avoir des institutions fonctionnelles.

Je comprends aujourd’hui que les dépenses militaires sont malheureusement très utiles. Et c’est quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer devoir penser…

Xavier Bettel

Ministre des Affaires étrangères

Pour en revenir à Donald Trump, son retour aux affaires fait craindre un désengagement américain en Europe. Principalement en défense. Une crainte justifiée selon vous ?

La première chose à dire est que l’Europe doit avant tout pouvoir compter sur elle-même. Bien sûr, il est important d’avoir des partenaires, mais nous ne pouvons pas dépendre des autres. Lorsque Donald Trump dit « l’Amérique d’abord », il ne veut pas dire « l’Amérique seule ». Nous avons besoin d’une Union européenne plus indépendante. Les relations politiques des uns ou des autres ne peuvent ébranler nos relations économiques, sécuritaires, etc. Il faut réindustrialiser, se développer. « L’Europe d’abord ! », voudrais-je vous dire.

Quant à Donald Trump, ce qu’il souhaite, c’est voir davantage de dépenses militaires de la part des autres pays. Lorsque j’étais Premier ministre, l’effort de défense du Luxembourg est passé de 0,39% du PIB (produit intérieur brut) en 2013 à 0,74% en 2024. Avec l’objectif d’atteindre 2% du RNB (le revenu national brut, un seuil plus bas à atteindre, NDLR) note) d’ici 2030. Ce n’était pas un choix facile à faire. Nous y avons été poussés par la Russie. Vous savez, je suis quelqu’un qui considère que la politique de coopération est toujours le meilleur investissement pour la protection de la défense. Car si on donne des perspectives aux jeunes, on évite fortement de les voir sombrer dans l’extrémisme. Mais l’agression russe en Ukraine nous a montré que nous pouvions aussi avoir des pays « voisins » en qui nous ne pouvions pas faire confiance. Cela a un peu changé ma vision. Je comprends aujourd’hui que les dépenses militaires sont malheureusement très utiles. Et c’est quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer devoir penser…

Partagez-vous la crainte de certains dirigeants scandinaves quant au risque de guerre en Europe ?

Il faut tout faire pour l’éviter ! Après, je me dis que si Vladimir Poutine avait voulu attaquer l’Europe, il l’aurait déjà fait. Pourquoi attendrait-il ? Aujourd’hui, il apparaît plutôt en position de faiblesse. C’est pourquoi il ne faut pas pousser les Chinois dans nos bras, comme je l’ai déjà expliqué. Ceux qui pensent que la Chine devrait être associée à la Corée du Nord ou à l’Iran dans le contexte de la guerre en Ukraine se trompent. C’est l’un des rares pays capables de faciliter une paix durable. Ce n’est pas moi qui dis cela, mais Antony Blinken, le secrétaire d’État américain. Selon lui, les Chinois ont contribué à éviter l’utilisation de la bombe atomique dans ce conflit. Nous ne saurons probablement jamais si cela est totalement vrai ou non. Mais évitons que les Chinois ne deviennent les alliés des Russes.

Si je me souviens bien, Donald Trump a expliqué qu’il pouvait résoudre la guerre en Ukraine en 48 heures. Nous verrons donc jeudi matin.

Xavier Bettel

ministres des Affaires étrangères

Faut-il sensibiliser la population luxembourgeoise face à une éventuelle guerre, comme l’ont déjà fait certains pays – dont la Suède et la Finlande ?

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Les pays dont vous parlez sont des voisins directs de la Russie et pourraient peut-être être témoins de certains excès. Je ne sais pas si la Suède et la Finlande sont vraiment dans le viseur… Il y a toujours le bouclier de l’OTAN et une certaine politique de dissuasion.

Cependant, la paix n’a pas été instaurée, contrairement à ce que l’on pensait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons vu en Ukraine que l’agression est toujours possible. La Russie semble hautement imprévisible. De là à dire que la guerre sera sur nous demain, il y a un pas que je ne franchirai pas. Je ne veux pas tomber dans la névrose ou le catastrophisme. Vivre avec un nœud au ventre ou dans la peur n’est pas ce que je veux. Alors faisons tout pour l’éviter.

« Nous ne pouvons pas finaliser un accord sur l’Ukraine sans l’Ukraine. Je pense que Donald Trump en est conscient», glisse le ministre des Affaires étrangères. © PHOTO : AFP/Archives

Donald Trump a promis de mettre fin à la guerre en Ukraine une fois au pouvoir. Le croyez-vous ?

Si je me souviens bien, il a expliqué qu’il pouvait résoudre le problème en 48 heures (en 24 heures en réalité, NDLR). On verra donc jeudi matin, puisque son investiture est prévue ce lundi.

Ce qui s’est passé ces derniers jours au Moyen-Orient tend à lui donner du crédit…

Comme je vous l’ai dit, nous verrons jeudi matin.

La Russie ne peut pas sortir victorieuse d’un accord avec Donald Trump.

Xavier Bettel

Ministre des Affaires étrangères

Le croyez-vous ?

Je pense que quelque chose pourrait arriver. Si tel est le cas, toute la question sera alors de savoir si l’accord conclu sera dans l’intérêt de l’Ukraine. S’il s’agit d’imposer certaines choses aux Ukrainiens et donc de les humilier, je ne sais pas si cela sera acceptable aux yeux de la communauté internationale. L’Ukraine doit être en position de force. La perte de la Crimée serait une chose. Mais il y a aussi la région de Lougansk et de Donetsk. Une région où ne vivent plus aucun Ukrainien, mais qui appartient toujours à l’Ukraine. Faut-il en faire une zone tampon ou une zone neutre ? Si oui, avec la présence dans la région de pays garants de la paix ?

Et puis il y a la dernière question, celle de l’impunité et de la réparation. C’est crucial. Les Ukrainiens sont-ils prêts à accorder l’impunité aux Russes ? Sont-ils prêts à dire que les Russes n’ont pas besoin de payer après avoir embrasé leur pays ? Ce sont des points auxquels nous devons être attentifs.

Serait-il possible de ne pas accepter un éventuel accord ?

Bien sûr. Nous ne pouvons pas finaliser un accord sur l’Ukraine sans l’Ukraine. Je pense que Donald Trump en est conscient. Tout comme un accord conclu aux dépens des Ukrainiens serait très difficile à accepter. La Russie ne peut pas sortir victorieuse d’un accord avec Donald Trump. Nous ne devons jamais oublier qui a attaqué qui dans ce conflit.

Quand Melania Trump adorait le mari de Xavier Bettel

Lorsqu’il était Premier ministre, Xavier Bettel (DP) avait notamment rencontré Donald Trump en 2017 lors d’un sommet de l’Otan organisé à Bruxelles. Une rencontre où le futur président américain s’est voulu ferme envers ses partenaires européens en exigeant qu’ils contribuent tous à hauteur de 2% de leur PIB aux dépenses militaires de l’organisation transatlantique. Un discours qu’il a souvent répété depuis. Mais c’est aussi lors de cette rencontre à Bruxelles que Melania Trump, l’épouse de Donald, a rencontré Gauthier Destenay, le mari de Xavier Bettel. «Je ne connais plus vraiment les circonstances», sourit l’actuel ministre luxembourgeois des Affaires étrangères. En revanche, ce dont il se souvient, c’est de Donald Trump disant « devant tout le monde lors d’un meeting réunissant 300 à 400 personnes que ‘le Luxembourg est un pays spécial, Melania adore le mari du Premier ministre.’ Ils s’entendent très bien”, se souvient-il.

 
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