« Assad », en arabe, signifie « lion ». Mais le « lion », nommé Bashar Al-Assad, qui portait jusqu’au samedi 7 décembre le titre officiel de président de la République arabe de Syrie, n’était rien d’autre qu’un « tigre de papier » ayant perdu toutes ses dents – même si ces dents étaient longtemps tranchant, mortel et redouté.
Fin 2024, au premier choc face à une opposition armée, la dictature familiale de Damas, 54 ans au pouvoir depuis 1970, dont 30 avec le père Hafez et 24 avec le fils Bachar – un régime longtemps considéré comme inébranlable – s’effondre comme un château de cartes.
Et ce, moins de deux semaines après le lancement, le 27 novembre, d’une campagne militaire d’un groupe rebelle islamiste, retiré de force depuis des années dans une province périphérique du pays (le gouvernorat d’Idlib, à l’extrême nord-ouest) représentant moins de 4% de la superficie nationale.
Pourquoi cet effondrement soudain et cette percée fulgurante ? Comment les miliciens de l’Organisation de libération du Levant (Hayat Tahrir Al-Chamacronyme HTC ou HTS) ont-ils réussi à dissoudre – littéralement – en 11 jours ce qui a longtemps été redouté par un régime pour sa férocité, son omniprésence et sa toute-puissance ?
Une dynamique avant tout interne
Comme c’est souvent le cas dans les guerres civiles, même lorsque cordes
de l’étranger existent et agissent – et il y a des ficelles autour de la Syrie – les causes premières se trouvent dans la dynamique interne et sociale d’un pays.
C’est l’histoire d’un soulèvement populaire contre son régime – et le régime finit par gagner. Ainsi, jusqu’à ces toutes dernières semaines, on pouvait résumer l’histoire tragique de la période qui a débuté début 2011 en Syrie.
À la suite de Printemps arabe
et les révoltes pro-démocratie lancées en Tunisie (décembre 2010) et en Égypte (janvier 2011), la Syrie s’est jointe à la danse en mars, avec des manifestations en faveur de la liberté d’expression et du pluralisme politique.
S’ensuit une horrible guerre civile, sans doute la plus sanglante du XXIe siècle, déclenchée par la répression d’un régime qui n’hésite pas, dès le début, à ordonner à ses services de sécurité armés, placés sur les toits des immeubles, de tirer sur les foules. de manifestants pacifiques.
Les 13 années suivantes furent les mêmes : succession de sièges sanglants contre des villes révoltées, tortures et disparitions en prison de dizaines de milliers de personnes, bombardements à l’arme chimique, tirs aériens sur des hôpitaux, etc.
L’état de barbarie
Même sans guerre civile, la dictature des quatre décennies précédentes (1970-2010) était déjà réputée pour sa férocité. Un auteur français spécialiste de la Syrie, Michel Seurat, l’a décrit commeÉtat de barbarie
dans les années 1980. Mais la guerre des années 2010 en a été l’expression la plus complète. barbarisme
. Le fils Bachar avait dépassé le père Hafez.
Bien avant Bachar (à gauche), c’était son père, Hafez Al-Assad (à droite), qui dirigeait la Syrie d’une main de fer. (Photo d’archives)
Photo : Getty Images / AFP
Lancée par des jeunes qui manifestaient pour la liberté et un régime qui ne pouvait qu’écraser toute opposition, la guerre syrienne, dans les dix années suivantes, va s’internationaliser, avec des fils entrelacés. Et le régime ne devra finalement sa vie qu’à l’intervention de deux puissances étrangères : l’Iran et la Russie.
Le régime pourrit de l’intérieur
De même, la décomposition accélérée, puis la dissolution, fin 2024, de la dictature de Bachar Al-Assad, ont de nombreuses ramifications internationales : affaiblissement de la parrains et marraines
du régime syrien, frappes à Gaza et au Liban, guerre en Ukraine, etc. Mais la pourriture est finalement venue de l’intérieur… et le coup décisif aussi.
L’état de décrépitude de ce régime, après toutes ces années où il a résisté aux attaques et aux protestations, a été caché, camouflé et sous-estimé, y compris par le pouvoir en place et par la population elle-même.
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Les rebelles syriens ont célébré dimanche le départ de Bachar Al-Assad à Homs.
Photo : Getty Images / AFP / AAREF WATAD
L’illusion d’optique d’un régime tout-puissant persiste, même si sa réalité n’est plus là. Le souvenir atroce de sa violence et de sa puissance passée, le fait qu’il ait survécu au soulèvement populaire et à la guerre, l’intériorisation par les Syriens de l’idée (aujourd’hui fausse) d’un régime invincible : tout cela a fait sa chute est impensable.
Or, la Syrie a été tellement détruite par ce conflit, soumise à des sanctions appauvrissant encore davantage la population (90% de pauvreté selon leLUI), avec les deux tiers de la population de 2010 ne vivant plus chez eux, un demi-million de morts, une monnaie ne valant plus que 5 % de sa valeur de 2019 en 2024, et plus encore, le désastre fut tel que l’affaiblissement général de la société finit par atteindre le pouvoir. .
Trafic de drogue et mafia d’État
Un pouvoir réduit à une clique qui volait les dernières ressources disponibles et s’appuyait sur le trafic de drogue (le fameux Captagon). C’est ainsi que nous avons vu l’état de barbarie
puissance toute-puissante de Hafez Al-Assad (et du premier Bachar), qui terrorisait sa population et ne reculait devant aucune violence, transformée en un État mafieux
diminué, qui ne se préoccupait, en fin de compte, que de sa propre survie.
La misère généralisée a touché même les organes répressifs de l’État. LE petits soldats
recrutés de force pour un salaire quasi nul, ne représentaient plus une base du régime.
Affamés, corrompus (corruption un peu pitoyable, comme la vente au marché noir de carburant pour chars et véhicules blindés, anecdote rapportée le 8 décembre par le correspondant du quotidien italien Corriere della Sera), ils ne voulaient pas se battre pour un régime auquel ils ne croyaient plus, voire qu’ils détestaient, comme l’immense majorité des Syriens.
C’est ainsi qu’en quelques jours et pratiquement sans combat, les villes d’Alep, Hama, Homs et enfin Damas tombèrent. Un coup… et les soldats disparurent dans les airs. La coquille du supposé État tout-puissant
était enfin vide !
Même les services spéciaux du régime, les redoutés moukhabarat auteurs des premières horreurs de 2011, étaient absents de cet ultime épisode.
A cela s’ajoute l’état de préparation et de mobilisation totalement sous-estimé des troupes du groupe. HTCd’un niveau professionnel étonnant, avec des drones, et aussi quelques camions kamikaze transperçant les lignes ennemies (quand il y en avait encore).
Abandon par Moscou et Téhéran
Pourquoi Moscou et Téhéran ont-ils abandonné Bachar Al-Assad ? Car, contrairement aux années 2010 où ils avaient sauvé la mise au régime (Hezbollah et milices iraniennes au sol, avions de Moscou pour les bombardements), ils ne disposaient plus d’autant de moyens.
Le Hezbollah est sérieusement affaibli par les défaites répétées d’Israël dans la guerre du Liban et par la décapitation de ses cadres. L’armée russe est complètement prise dans la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine et n’a tout simplement pas les moyens d’agir sur deux fronts.
Le sauvetage miraculeux d’Al-Assad en 2015-2016 ne pourrait donc pas se répéter en 2024, avec des alliés affaiblis et une situation sur le terrain perturbée par la destruction de la Syrie.
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La Russie de Vladimir Poutine est une alliée de longue date du régime de Bachar Al-Assad en Syrie.
Photo : Reuters / Spoutnik
La rapidité avec laquelle Moscou, Téhéran et le Hezbollah ont abandonné leur protégé, en quelques jours début décembre, a été stupéfiante. Deux déclarations enregistrées jeudi 5 décembre, alors que la bousculade s’intensifiait :
Ce sont les Syriens qui doivent défendre Homs
a déclaré Anton Mardasov, un analyste militaire de Moscou cité par le New York Times : S’ils fuient, personne ne se battra pour eux.
En d’autres termes : faites-en face.
Et puis le même jeudi, le chef du Hezbollah à Beyrouth : Nous défendrons le régime syrien… selon nos moyens.
Deux jours plus tard, les derniers combattants du Hezbollah quittaient leur poste frontière de Qusseir et rentraient au Liban !
Effet débilitant pour la Russie et l’Iran
L’étonnant succès de HTC Cela aura un effet débilitant supplémentaire sur la Russie, l’Iran et le Hezbollah. Le Hezbollah n’aura plus ses routes d’approvisionnement via la Syrie, désormais bloquées. Téhéran peut dire au revoir au célèbre hache
Iran-Irak-Syrie-Liban censés résister à Israël.
Quant à Moscou, ses deux bases en Méditerranée sont compromises, à savoir le fameux accès à mers chaudes
historiquement si cher à la Russie !
Dans cette séquence dévastatrice pour elle, la Russie perd son prestige et sa capacité à se projeter
à l’international. Samedi 7 décembre, il a fallu voir le visage du ministre Lavrov, obligé, au Qatar, de signer une déclaration commune avec l’Iran et une Turquie triomphante.
Le modération
de HTC est-ce réel ?
Dernier point : les islamistes de HTC – issus du mouvement historique d’Al-Qaïda, même s’ils en ont explicitement rompu – sont-ils réels ? modéré
ou font-ils semblant de manière tactique et hypocrite ? Une question cruciale pour l’avenir des libertés en Syrie, mais aussi pour la normalisation tant souhaitée par les Syriens, qui souffrent terriblement des sanctions et de l’isolement international de leur pays.
Une chose est sûre, Abou Mohammed Al-Jolani et ses lieutenants multiplient ostensiblement les déclarations allant dans le sens de l’ouverture et de la modération, par exemple à l’égard des minorités religieuses. Le chef de HTC évoqué la diversité de la Syrie qui la rend riche
une formule pas trop islamiste ! Il a même évoqué la possibilité de dissoudre l’organisation dans un front politique plus large. Nous verrons et nous le jugerons sur ses actes.
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Le chef de l’Organisation de libération du Levant (Hayat Tahrir al-Sham, acronyme HTC ou HTS), Abou Mohammed al-Jolani, s’adresse dimanche à la foule dans une mosquée de Damas.
Photo : Getty Images / AFP / ABDULAZIZ KETAZ
Des questions concrètes et non triviales : les femmes pourront-elles y aller les cheveux au vent ou pas ? Les cloches des églises chrétiennes pourront-elles sonner ? Mais nous espérons également que son régime sera capable de redonner pied, ne serait-ce qu’un peu, à l’économie syrienne démolie et pillée. Ce qui semble avoir été entrepris ces dernières années à Idlib, sous la gouvernance régionale de HTC, gouverne qualifié de pragmatique et compétent
.
Facteur d’espoir : la Syrie a parcouru un très long chemin et la chute du régime détesté de Bachar Al-Assad – même au prix de ce nouveau régime – est accueillie avec une joie presque unanime. Remarquable est le caractère pacifique et progressif de la transition qui s’annonce, avec la coopération apparente des responsables sortants (ceux de deuxième niveau
comme le Premier ministre).
Les Syriens ne sont ni stupides ni naïfs. Ils ont vécu dans leur chair les douleurs de la dictature, de la guerre et de l’islam radical le plus meurtrier (Daesh). Ils veulent espérer que l’histoire ne se répète pas. C’est un pari raisonnable.
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