Après plus de 1 000 jours de guerre et des pertes massives, l’armée ukrainienne cherche à renforcer ses rangs. Mais elle se heurte à une démobilisation croissante : désertions, réticences à combattre et corruption au sein de l’administration, où de faux certificats d’incapacité circulent pour éviter l’enrôlement.
En Ukraine, Okean Elzy est l’un des groupes musicaux les plus populaires. Ce groupe de rock, qui a toujours préféré chanter en ukrainien plutôt qu’en russe, accompagne depuis des décennies les manifestations anti-Kremlin en utilisant des chants patriotiques.
Ainsi, lorsqu’il y a des spectacles, les billets sont vendus au prix fort. Pourtant, vendredi 11 octobre au soir, les billets étaient de nouveau en vente, après le premier des quatre concerts organisés dans la capitale ukrainienne. En cause, des agents de recrutement de la police et de l’armée postés à l’extérieur du palais des sports de Kiev, qui contrôlaient les spectateurs pour voir s’il y avait parmi eux des hommes tentant d’échapper au service militaire.
A cette occasion, les autorités ont donc procédé à des contrôles d’identité et exigé la présentation de documents militaires. Plusieurs individus non inscrits sur les listes officielles ont été interpellés, comme en témoignent plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
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Une partie de cache-cache sur fond de corruption
Depuis plusieurs semaines, ce type de contrôles s’intensifie en Ukraine, devenant plus fréquents et plus rigoureux. Ainsi, tandis que des contrôles avaient lieu au Palais des Sports de Kiev, des opérations similaires étaient organisées simultanément dans tout le pays.
A Tcherkassy (centre), des agents sont intervenus après un spectacle du comédien Anton Timochenko tandis qu’à Brovary, dans la banlieue de la capitale, des contrôles ont été effectués après un concert du groupe 100lytsia. Selon le New York Timesd’autres actions de vérification ont également eu lieu à Kharkiv, Dnipro et dans d’autres grandes villes du pays.
Ces mesures, bien que largement impopulaires, devraient permettre à terme de mobiliser 160 000 militaires supplémentaires pour répondre à « 85 % des besoins des brigades ukrainiennes », selon une communication faite par le président Volodymyr Zelensky fin octobre. Mais après presque trois ans de combats, des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de blessés, il devient difficile de trouver des volontaires ou simplement des personnes suffisamment motivées pour se battre.
«Je ne servirai pas, je ne servirai pas (…) C’est l’enfer là-bas. Je le sais (…) deux de mes amis sont morts, moins de deux mois après leur déploiement (.. .) Ici, personne ne veut aller au front Tous ces appartements sont pleins de gens qui se cachent » : dans un témoignage édifiant. pour Le FigaroOleksandr, 39 ans, raconte comment il a vendu son taxi pour 6 000 dollars pour obtenir de faux certificats d’incapacité auprès d’un intermédiaire.
Cités par le quotidien français, un agent de recrutement et d’autres interlocuteurs qui ont tous requis l’anonymat parlent de milliers de cas de ce genre, pour des sommes allant de 5 000 à 25 000 dollars. Ils soulignent tous la corruption qui gangrène l’administration et qui est très difficile à contrôler pour le gouvernement.
Cependant, des actions violentes ont eu lieu, entraînant de multiples arrestations. Début octobre, des médias ukrainiens révélaient l’implication de plusieurs dizaines de procureurs de la région de Khmelnytskyï (ouest) dans un vaste réseau de vente de certificats d’invalidité. Une affaire qui a conduit à la démission du procureur général Andriy Kostin, comme le rappelle Le monde.
Peu de temps auparavant, le Bureau national d’enquête (DBR) avait annoncé avoir découvert « près de six millions de dollars » en diverses devises, ainsi que des bijoux et autres objets de valeur, dans l’appartement du chef du cabinet médical de la commission de la région de Khmelnytsky ( ouest), chargé d’évaluer l’aptitude des hommes à la mobilisation.
La gérante, identifiée par les médias comme étant Tetiana Kroupa, et son fils, directeur de la branche régionale du fonds de pension de l’État, ont été placés en détention provisoire, avait alors indiqué à l’AFP le porte-parole de la DBR, Oleg. Slobodien. Les enquêteurs ont découvert dans le bureau du responsable de faux documents d’invalidité et des listes de personnes non responsables avec des diagnostics médicaux « fictifs », a indiqué le DBR.
L’État ukrainien ne reste donc pas inactif. L’intermédiaire contacté par Oleksandr a par exemple été également arrêté et ce dernier reste donc dans l’attente de savoir ce qui va lui arriver, essayant toujours à tout prix de ne pas se faire repérer.
Mais de l’avis de nombreux spécialistes, le pays ne dispose pas des institutions et des capacités de contrôle nécessaires pour réduire drastiquement ce type de situation, la corruption étant trop profonde au sein de l’appareil d’État.
La désertion, un choix de plus en plus fréquent
Mais au-delà des personnes tentant d’échapper à la mobilisation, de nombreux militaires cherchent aussi à quitter l’armée ukrainienne après y avoir été intégrés. Le nombre de désertions a ainsi considérablement augmenté depuis le début du conflit.
Selon les statistiques révélées début octobre par le parquet général, 15 559 désertions ont ainsi été notifiées pour les huit premiers mois de 2024, contre 3 342 en 2022 et 7 883 en 2023. Si ces dernières ont continué à se produire au même rythme, elles pourrait franchir la barre des 20 000 d’ici fin décembre. Le nombre de déserteurs aurait ainsi pu être multiplié par plus de cinq entre 2022 et 2024.
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Le bureau du procureur général évoque également la croissance significative des « abandons non autorisés d’unités », qui désignent des soldats qui ont quitté leur poste sans autorisation, bien qu’ils restent localisés. Là encore, le nombre de procédures a considérablement augmenté, passant de 6 641 en 2022 à 17 658 en 2023, puis atteignant près de 30 000 au cours des huit premiers mois de 2024.
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L’ensemble des individus ayant abandonné leur poste sans autorisation et ceux ayant décidé de déserter représenterait environ 45 000 hommes, soit l’équivalent de 15 brigades ukrainiennes, calcule Le Figaro.
Interviewé par l’hebdomadaire MarianneUlrich Bounat, analyste géopolitique spécialiste de l’Europe centrale et orientale, juge que les dernières déceptions ukrainiennes sont, entre autres, liées à ce phénomène. « Une partie du déclin ukrainien peut s’expliquer par le manque d’effectifs au sein des troupes. Parfois, sur le front, le ratio est de dix soldats russes pour un seul soldat ukrainien (….) Par ailleurs, le manque de formation est de plus en plus criant. Sur le front, près de Pokrovsk (est), on a vu que les troupes se retiraient en désordre. Le gouvernement a parlé d’une mauvaise synchronisation, mais je pense que c’est le cas. aussi certains des soldats qui ont déserté sous la puissance du feu russe», analyse-t-il.
Interrogé vendredi par lePresse associéeOleksandr Kovalenko, un analyste militaire basé à Kiev, décrit un problème « critique », qui ne devrait que « s’aggraver » alors que l’Ukraine entre dans sa troisième année de guerre.
AP a également pu s’entretenir avec des soldats qui avaient choisi de déserter. Tous expliquent le cauchemar d’une guerre où ils sont constamment désavantagés sur le champ de bataille, avec peu de chances d’en sortir indemnes. « La meilleure façon de l’expliquer est d’imaginer que vous êtes sous le feu des Russes et que vous recevez 50 obus, alors que de notre côté il n’y en a qu’un. Tu vois tes amis se déchirer et tu réalises que ça peut t’arriver à tout moment, et pendant ce temps-là, à 10 kilomètres de là, à la radio, les gens te disent : ‘prépare-toi, tout ira bien'”, raconte l’un d’eux. .
Pour lutter contre le phénomène de désertion massive, qui pourrait être encore plus important que ne le suggèrent les chiffres officiels, le Parlement ukrainien a récemment envisagé de la dépénaliser, afin de pouvoir réintégrer rapidement les soldats ayant quitté le champ de bataille. Une option qui fait dire à beaucoup qu’une telle action ne ferait qu’augmenter le nombre de déserteurs.
Tout cela au moment où Washington presse le gouvernement ukrainien de se mobiliser dès l’âge de 18 ans, alors qu’actuellement, les hommes ne sont appelés à servir qu’à partir de 25 ans. Une mesure qui serait certainement encore une fois extrêmement impopulaire et dangereuse pour des raisons démographiques, comme La RTS l’a déjà expliqué. Mais une mesure qui pourrait néanmoins s’avérer indispensable pour contenir l’envahisseur russe.
Tristan Duc
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