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Syrie | Mais où est al-Assad ?

Allié de l’Iran et membre clé de « l’axe de la résistance », le président syrien brille par son silence depuis le début des hostilités au Moyen-Orient. Pour quoi ? Trois experts répondent.


Publié à 2h03

Mis à jour à 6h00

La discrétion du président syrien Bachar al-Assad face aux attaques israéliennes contre la bande de Gaza et le Hezbollah libanais est surprenante. Il s’est toujours présenté comme un champion du nationalisme arabe et de la Palestine. Il fait partie de « l’axe de résistance » chiite, anti-israélien et anti-occidental, soutenu financièrement par le régime islamique iranien.

Il est donc un allié du Hezbollah, à qui il doit la survie de son régime pendant la guerre civile en Syrie. Par ailleurs, Israël frappe son pays sans relâche depuis des mois, ciblant des aéroports (octobre 2023), des sites stratégiques contrôlés par les Iraniens (septembre 2024) et même l’ambassade iranienne dans la capitale Damas (avril 2024). .

Dans ce contexte, on aurait pu s’attendre à un plus grand engagement politique et militaire de la part d’Assad, au pouvoir depuis 2000. Il s’est exprimé, mais avec parcimonie. Son gouvernement s’est contenté de condamner les attaques israéliennes, sans agir. Et son armée reste passive face aux événements.

Comment expliquer ce silence relatif ? Trois experts s’expriment.

Elle se rapproche des pays du Golfe…

Longtemps isolé sur la scène internationale après sa répression sanglante de la révolution en Syrie, Bachar al-Assad œuvre depuis plusieurs années à un rapprochement avec les pays du Golfe, couronné en mai 2023 par la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe. En entrant de front dans le conflit actuel au Moyen-Orient, Damas craint de compromettre ce processus de normalisation, d’autant plus qu’il s’accompagnerait d’avantages financiers.

« La Syrie cherche à se reconstruire physiquement, politiquement et vis-à-vis de sa propre population », explique Houchang Hassan-Yari, professeur émérite de politique et de relations internationales au Collège militaire royal du Canada. « Bachar al-Assad a besoin de beaucoup d’argent. Des milliards. Le régime iranien se trouve dans une situation financière difficile. Ce n’est plus la banque vers laquelle il peut se tourner. Où est l’argent ? En Arabie Saoudite, aux Emirats, au Qatar… » Le problème, ajoute M. Hassan-Yari, c’est que les pays du Golfe et la République islamique iranienne sont opposés, tant politiquement qu’idéologiquement. Tiraillé entre ces deux pôles, Bachar al-Assad tente de jouer un jeu d’équilibriste. Pourrait-il changer de camp ? «Disons simplement que cela teste le terrain. Il essaie de voir comment il peut y parvenir sans trop de dégâts. C’est pourquoi il est très prudent. »

…mais prend-il vraiment ses distances avec l’Iran ?

Bachar al-Assad a survécu à la guerre civile syrienne, en partie grâce au soutien de l’Iran et du Hezbollah libanais. Mais il constate que la carte stratégique de la région évolue et que ses anciens alliés se sont affaiblis. Ce qui l’incite à prendre ses distances avec le régime iranien. « Il se sent moins obligé de se plier aux diktats de Téhéran », résume Houchang Hassan-Yari.

Une analyse que ne partage pas Thomas Pierret. Chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), ce spécialiste de la Syrie estime qu’Assad a trop à perdre en prenant ses distances avec son grand frère iranien. « Certains imaginent qu’il pourrait changer d’alliance, je n’y crois pas du tout », affirme cet expert. J’ai beaucoup de mal à le croire, car il n’obtiendra pas des pays du Golfe ce que l’Iran lui donne. L’Iran, c’est des soldats, du pétrole. Mais les pays du Golfe ne lui donneront jamais un soldat pour faire quoi que ce soit. »

Même problématique sur le plan économique, ajoute-t-il : « Les monarchies du Golfe sont riches, mais pas sûres d’être prêtes à dépenser autant d’argent en Syrie. Ils suivent une logique néolibérale : on investit, on veut un retour sur investissement. Le problème est qu’investir en Syrie n’intéresse personne. » Personne, sauf la République islamique iranienne, qui utilise la Syrie comme pays intermédiaire pour sa confrontation avec Israël.

Aucun moyen de s’impliquer

Selon Thomas Pierret, l’absence d’engagement syrien peut s’expliquer pour une autre raison : Assad n’en a tout simplement pas les moyens. Après 13 ans de guerre civile, le pays est en ruine. La stabilité sociale est plus que fragile. Son régime ne contrôle toujours pas l’intégralité du territoire. Son armée est réduite à néant. Et le Hezbollah, son protecteur, est lui-même en mode survie. Une guerre avec Israël le mettrait dans une situation intenable.

«Je pense qu’il a très peu de marge de manœuvre», suggère l’expert. Sa capacité de dissuasion n’existe plus. Il se retrouve démuni de ce point de vue… Se mesurer dans ses propos est une manière de ne pas se mettre dos au mur et de devoir absolument réagir. Parce que lorsque vous intensifiez votre rhétorique, vous êtes parfois obligé d’enchaîner avec autre chose que des mots. »

« Il n’a pas de ressources », résume simplement Benjamin Toubol, doctorant en science politique à l’Université Laval, membre du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient.

Pour cet expert, ce manque de moyens implique aussi un risque personnel pour Bachar al-Assad. L’armée israélienne a éliminé les Gardiens de la révolution au centre de Damas et assassiné Hassan Nasrallah dans son bunker. La Syrie est à portée de tir. “Cela refroidit les enthousiasmes de certains”, conclut M. Toubol. Assad ne souhaite certainement pas ce sort et essaie de faire profil bas. Il n’a rien à gagner à se positionner. De manière pragmatique, la meilleure chose qu’il puisse faire est de se taire… »

 
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