Le groupe People & Baby épinglé dans un livre d'enquête – Libération
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Le groupe People & Baby épinglé dans un livre d'enquête – Libération

Bébézness a révélé ses secrets. Le livre enquête sur les garderies privées lucratives, signé par deux journalistes de Parisien, Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, dont la libération était entourée d'un embargo strict, sont sorties ce jeudi 7 septembre et décryptent avec force détails et de manière très pédagogique les dérives des entreprises de crèches. Ainsi les maltraitances subies par certains enfants, la précipitation des gérants à mettre leur crèche en règle avant une inspection de la protection maternelle et infantile (PMI), les belles promesses marketing qui cachent une gestion low cost des garderies ou encore ces enfants licenciés le jour où l'entreprise trouve un client plus rentable. Avec, comme fil conducteur, les conditions de travail déplorables auxquelles sont soumises les salariées, et sur lesquelles les auteures refusent de rejeter la faute, qui découle des choix entrepreneuriaux et du laxisme des pouvoirs publics.

Un livre passionnant, fruit de centaines d'entretiens avec des personnes très différentes (parents, salariés et directeurs de crèches, gestionnaires de caisses d'allocations familiales ou de PMI, spécialistes de fonds d'investissement…), qui jette une lumière crue sur ce système commercial qui grignote le sol chaque année, au détriment des crèches municipales et associatives. Où l'on découvre notamment que Gilles de Robien, ancien maire d'Amiens (Somme) et ancien ministre, est rémunéré, à 82 ans, pour des actions de lobbying en faveur du groupe Maison bleue.

Le bec dans l'eau

Mais une autre entreprise est particulièrement pointée du doigt dans le livre : People & Baby. Celle qui a provoqué le scandale en juin 2022, lorsqu’une petite fille de 11 mois, accueillie dans une micro-crèche du groupe à Lyon, a été tuée par un employé de Destop. Au-delà de cette affaire dramatique, Bébézness décrit comment le groupe aurait procédé pour écarter ses concurrents et faire taire les voix dissidentes, s'imposant ainsi comme l'un des plus grands acteurs du secteur commercial de la petite enfance.

En 2006, l'entreprise conclut un accord avec le PDG de Saperlipopette, une autre société de crèches qui souhaite se développer. Son patron, Mathieu Asse, possède des locaux à Champagne-au-Mont-d'Or, près de Lyon, et en loue un autre à Courbevoie (Hauts-de-Seine), dans le quartier d'affaires de La Défense. Après le refus de la CAF des Hauts-de-Seine d'accorder à Saperlipopette une subvention de lancement de 400 000 euros, il se retrouve dans le pétrin : il n'a pas les fonds nécessaires pour gérer les deux crèches.

Il trouve alors la solution en confiant leur développement à Christophe Durieux et Odile Broglin, le couple fondateur de People & Baby, qui s'engagent à le faire tout en conservant la marque Saperlipopette. Des contrats de sous-location à Courbevoie et des contrats de location à Champagne-au-Mont-d'Or sont signés pour dix ans. Quelques mois avant l'expiration des contrats, People & Baby « Arrêtez simplement de payer son loyer », écrivent les auteurs.

Enfants transférés dans une nouvelle structure

À la Défense, « Avant de partir en vacances d'été, Christophe Durieux prend soin de préparer ses arrières : il informe les parents que la crèche ferme définitivement ses portes et transfère les enfants dès la rentrée de septembre dans le bâtiment Monge, à 200 mètres, dans la nouvelle crèche qu'il a ouverte à son nom. » Sans que les parents ne s'en rendent compte, People & Baby “piquer” donc les bébés à sa compagne, comme le résume l'avocat de Mathieu Asse. Ce dernier perd les autorisations des pouvoirs publics et se retrouve « étouffé financièrement », selon ses conseils.

A Champagne-au-Mont-d'Or, People & Baby a cessé de payer son loyer à Saperlipopette pendant un an et demi. La CAF du Rhône ignorait que l'entreprise avait été frappée de plusieurs avis d'expulsion et continuait à lui verser des subventions de fonctionnement. Là encore, les parents étaient à mille lieues de l'imaginer. Comme à Courbevoie, les dirigeants ont transféré les enfants dans une nouvelle structure, emportant avec eux tout le matériel. « People & Baby a été condamnée en première instance et en appel à payer tous les loyers et redevances impayés. Mais l'affaire est toujours en cours pour déterminer précisément l'intégralité du préjudice commercial et financier », indiquer les auteurs.

People & Baby a, de son côté, poursuivi son expansion, au point de posséder 850 crèches en France et à l’étranger. Ses deux fondateurs font partie des personnes les plus riches de France en Défis, avec près de 200 millions d'euros d'actifs.

Dette envers la CAF

Autre commune, autre méthode. À Behren-lès-Forbach (Moselle), People & Baby a créé en 2012 une crèche qui a reçu une subvention d’investissement de la CAF d’environ 600 000 euros. «Dès le départ, la structure paraît surdimensionnée.» Sur les 60 places initialement budgétisées, elle ne parvient à en ouvrir que 40. La CAF vient frapper à la porte pour réclamer un remboursement de 200 000 euros. La municipalité, de son côté, découvre qu'elle paye des lits bébé qui profitent à d'autres résidents. Et demande de réduire la voilure.

En réponse, People & Baby a décidé d'augmenter de 3 000 euros le prix de chaque berceau financé par la municipalité. Soit un montant de 10 344 euros par an et par berceau pour cette petite ville au taux de pauvreté élevé. La municipalité a dénoncé cette opération. Dans une lettre adressée aux parents à l'époque, l'entreprise assurait : « Nos tarifs sont restés les mêmes qu’avant, y compris l’inflation salariale imposée par le changement du salaire minimum pour les professionnels des crèches. » Elle a annoncé que les enfants vivant dans la commune avaient douze jours pour quitter les lieux, les autres quatre mois. Et a conditionné la poursuite de son activité pendant six mois, afin de permettre aux familles de se retourner, à l'annulation de sa dette envers la CAF – ce qui lui a été refusé.

L'entreprise se défend de tout acte répréhensible envers les auteurs du livre, en invoquant l'accord qui la lie à la CAF au sujet de « l’octroi d’une subvention pour la création, la construction et l’aménagement d’un établissement de 60 places, ce qui a été effectivement fait, et peut être vérifié puisque le bâtiment, qui a servi pendant dix ans, existe toujours et est accessible. »

Image maîtrisée

Avant le décès de la petite Lisa à Lyon l'année dernière, People & Baby avait connu des cas de maltraitance ou de négligence, comme cela arrive dans d'autres garderies. Mais retrouver leurs traces est compliqué. Plusieurs groupes de parents se sont constitués pour se faire entendre, mais « leurs témoignages ont étrangement disparu des méandres d’Internet », écrivent les journalistes. Qui décrivent l'implication des services juridiques du groupe pour préserver son image. « À chaque fois, le procédé est similaire : la lettre menace de poursuites en diffamation tout individu qui aurait la mauvaise idée d’émettre la moindre critique ou le moindre avis négatif sur l’entreprise, ou de trop parler aux journalistes. Cette méthode radicale s’est avérée efficace. Depuis des années, l’entreprise, connue pour son service juridique intraitable, nettoie ainsi Internet. » Pouvons-nous lire dans Bébézness.

L'entreprise est allée encore plus loin, en publiant, dans un communiqué visible en ligne, la profession et le lieu de travail des parents avec lesquels elle est en conflit. Signe que la pression fonctionne, les auteurs du livre ont vu deux femmes qui ont pris la peine de raconter leur histoire refuser finalement que leurs témoignages soient révélés.

 
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