Plus de 14 000 documents consacrés aux substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS), étudiés par 46 journalistes répartis dans 16 pays, du Monde (France) à l’Express (Italie), via la mer Noire (Turquie) ou la Tuteur (Royaume-Uni). Ou encore une enquête réalisée à l’échelle d’un continent, l’Europe, dont les conclusions révèlent le pire : nettoyer les eaux et les sols européens de ces « polluants éternels » coûterait entre 95 milliards d’euros sur vingt ans, dans les conditions les plus favorables, et 2 000 milliards d’euros, pour une projection plus réaliste.
“Cette estimation, déjà impressionnante, n’inclut ni l’impact des PFAS sur nos systèmes de santé, ni une myriade d’externalités négatives trop difficiles à quantifier”, annonce le Monde. Depuis plus d’un an, ce consortium médiatique, accompagné de l’observatoire Corporate Europe (un observatoire des lobbies européens) et de plusieurs chercheurs universitaires (Gary Fooks, Ali Ling et Hans Peter Arp), s’est attaché à déterminer comment nettoyer « au moins 23 000 sites pollués » à travers l’Europe.
Des centaines, voire des milliers d’années
Antiadhésifs, hydrofuges et antitaches, les Pfa sont présents dans de nombreux secteurs, de l’automobile au textile en passant par les ustensiles de cuisine, le prêt-à-porter, les produits pharmaceutiques et les pesticides. Problème : les Pfa sont presque indestructibles – ils peuvent résister pendant des centaines, voire des milliers d’années. De plus, ils s’accumulent dans l’air, le sol, les rivières, et contaminent même le corps humain. Des traces de cet « éternel polluant » ont été retrouvées à l’échelle mondiale, jusque dans les pluies tombées sur le Tibet « pendant la mousson ».
Et ce, alors que le plateau tibétain « est l’une des plus grandes régions isolées du monde, avec ses basses températures et son environnement vierge, et est appelé le troisième pôle », derrière l’Arctique et l’Antarctique, rappelle une étude publiée par la revue Chimiosphere. en 2021. Or, en cas d’exposition sur une longue période, ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, selon les premières études.
« Il est préférable de nettoyer ou de confiner les sols le plus rapidement possible, avant que les Pfas ne se propagent dans toutes les ressources en eau »prévient Hans Peter Arp, coordinateur du projet de recherche européen ZeroPM. La ville d’Utrecht, aux Pays-Bas, en est un triste exemple. Des Pfas ont été éparpillés dans le sol à proximité d’une ancienne caserne, puis ont contaminé une nappe phréatique. “Les autorités consacreront dix ans et 22 millions d’euros à la dépollution des sols et des nappes phréatiques pour éviter que le panache de polluants n’atteigne les puits d’eau potable”, calculent les auteurs de l’enquête.
La moitié du budget annuel de l’Union européenne
Pour chiffrer les coûts de dépollution, les médias regroupés au sein du projet de lobbying Forever se sont appuyés sur « les rares informations scientifiques et économiques disponibles » ainsi que « les données locales collectées auprès des pionniers de la dépollution ».
La fourchette basse – 4,8 milliards d’euros par an – correspond à « un scénario irréaliste » avec des hypothèses « ultra-optimistes ». Pour y parvenir, il faudrait prévenir toute nouvelle pollution aux PFAS « dès demain », engager une dépollution limitée aux sites prioritaires et aux polluants actuellement réglementés – en faisant abstraction des nouvelles substances utilisées depuis le début des années 2000. “Chacun des scénarios de notre évaluation repose sur une série de choix conservateurs, ce qui nous permet d’affirmer que les coûts sont très certainement sous-estimés”, détaille l’enquête.
Si la pollution continue et si l’on procède à un nettoyage approfondi, “la facture s’élèverait à 2 000 milliards d’euros sur vingt ans”. Soit 100 milliards d’euros par an, estime le projet de lobbying Forever… qui représente la moitié du budget annuel de l’Union européenne. Et là encore, ce budget ne pourrait être efficace que lorsque les Pfas seraient soumis à « une restriction généralisée, à partir de laquelle leurs concentrations commenceraient à baisser si on les traitait activement », annonce Hans Peter Arp.
La décontamination pose, quant à elle, « un immense défi technologique et logistique ». Certaines techniques avancées de filtration de l’eau sont donc très gourmandes en eau et en énergie. Les incinérateurs classiques ne sont actuellement pas assez puissants et ne peuvent pas détruire les Pfas présents dans les déchets ménagers. Compte tenu des sommes colossales nécessaires, « restreindre les émissions de Pfas pour arrêter d’alourdir la facture est nécessaire »conclut le monde.
Encore faut-il que ces estimations soient réalisables. Car, comme le rappelle l’enquête du projet Forever lobbying, la moindre initiative est menacée. « par une intense campagne de lobbying et de désinformation orchestrée par… des pollueurs ». Des pollueurs qui n’ont jusqu’à présent presque rien payé pour compenser la destruction continue de l’environnement.
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