Casablanca est une ville d’affaires, une terre d’opportunités. Ce qui en fait une destination privilégiée pour les jeunes Sénégalais en quête d’un avenir radieux. Entre commerce, coiffure, intermédiation, télécommunications, ils sont au four et au moulin. De véritables figures de la résilience sénégalaise dans le royaume chérifien.
Casablanca est une place financière dynamique. Ces dernières années, cette ville aux « maisons blanches » a réussi à s’imposer comme un véritable hub. Cet après-midi du mardi 10 décembre 2024, les marques des grands groupes bancaires rayonnent partout. Malgré la fraîcheur amplifiée par une température de 14 degrés, les rues sont animées. Devant les cafés, il y a beaucoup de monde. Les gens discutent, les discussions ont lieu dans une ambiance joyeuse et détendue. Tantôt sous le regard accrocheur de petits commerçants qui distribuent tantôt des chaussures, tantôt des djellabas, tantôt des variétés de ceintures. Le commerce est encore plus développé au marché de la Médina, situé au centre-ville. Alors que nous nous approchons de l’entrée, constituée d’une figure arquée, peinte en beige, nous sommes rapidement abordés par des jeunes hommes et femmes sénégalais. “Permettez à votre proche de vous présenter un de ses produits”, dit une voix rauque. Il est porté par une dame nommée Aïcha. Elle vit à Casablanca depuis 2020, en quête de lendemains chantants. Son domaine de prédilection est la coiffure. Mais à défaut d’avoir des clients, elle se positionne dans l’intermédiation pour gagner quotidiennement quelques dirhams marocains. « Les jours ouvrables, on peut passer une journée entière sans avoir de clients. Alors j’amène les acheteurs dans les magasins partenaires, moyennant une commission », raconte Aïcha, grande et au teint clair, vêtue d’un pantalon bleu et d’un t-shirt blanc. A Casablanca, elle dit résister à la pauvreté en allant au marché tous les jours. Cela lui permet de contribuer au paiement du loyer et d’envoyer 60 000 FCfa à sa famille au Sénégal.
Très débrouillard
« J’ai mon jeune fils et ma mère qui sont à Dakar. Donc chaque mois je leur envoie 60 000 FCfa. Pour le reste, si j’arrive à manger, à payer mes factures et à économiser 50 000 FCfa, c’est bien», explique-t-elle, le visage pâle. Si elle épargne, c’est parce qu’elle a pour objectif d’acheter des biens et de les revendre à son retour au pays. « C’est très difficile mais on tient le coup, le temps de réaliser nos projets et nos ambitions », souffle Aïcha.
Après Aïcha, c’est au tour d’Abdoulaye Faye de proposer ses services. Personnage frêle, il porte un manteau pour se protéger du climat glacial. D’un pas alerte, il s’empresse de décrire et de présenter le marché de la Médina. « C’est un grand espace commercial où l’on peut trouver des produits qui plairont à la famille, des chaussures, des djellabas ainsi que toutes sortes d’huiles », explique le jeune homme. Attirer des clients lui permet de gagner sa vie. Son associé s’appelle Mounir. Le petit homme est enveloppé dans une djellaba verte. Ses étagères sont remplies de diverses tenues et chaussures unisexes. « C’est de la haute qualité. C’est du coton pour les vêtements, du cuir pur pour les chaussures », dit-il. Son collaborateur Abdoulaye Faye a quitté Dakar en 2021 pour s’installer au Maroc. Il a abandonné le soudage des métaux au Sénégal pour le commerce informel au Maroc. Et ce fut sur proposition de ses amis, qui rejoignirent très tôt le royaume chérifien. Trois ans plus tard, ses gains sont encore loin de ses espérances. « La principale leçon à retenir, c’est que c’est compliqué partout. Financièrement, c’est très serré. Mais l’essentiel est de ne jamais abandonner. Je suis tantôt dans le commerce, tantôt dans les champs fruitiers. Cela me permet de subvenir à certains besoins et de soutenir la famille à Dakar », confie-t-il.
Si Aïcha rêve de rentrer au Sénégal avec des sacs de marchandises à vendre, Abdoulaye Faye pense que la prochaine étape est forcément une entrée sur le territoire européen. C’est un rêve d’enfant qu’il compte réaliser, mais sans risque extrême. « Je veux aller en Espagne ou en Italie. Là, je pourrais gagner plus. J’en rêve et cela deviendra réalité. Mais je ne prendrai pas de canoë», assure-t-il sereinement. Ressortissant de Pikine, établi à Casablanca depuis 2019, Ousmane Seck est également dans le commerce.
La côte du « maquillage sénégalais »
Debout près de la porte du marché de la Médina de Casablanca, il a devant lui des marchandises composées de ceintures et de sacs à main en cuir. « Je suis aussi intermédiaire auprès de grands vendeurs de djellabas, de chaussures et de tissus », se présente Ousmane. Au Maroc, il dit s’épanouir grâce à sa capacité de résilience. « J’étais marchand ambulant à Dakar. J’exerce la même activité à Casablanca. Mais je me dis que la crise est mondiale. L’essentiel pour moi est de subvenir à mes besoins. Et j’y arrive en ce moment », dit-il. Son objectif à court terme est d’ouvrir un grand magasin. «Je me sens chez moi. Et un jour j’aurai un grand magasin au coeur de Casablanca. J’y arriverai, c’est sûr», ajoute-t-il, très déterminé.
A l’intérieur du marché de la Médina de Casablanca, il y a de la ferveur. C’est un lieu de commerce assez moderne, avec de grands magasins tout autour. Vendeurs d’articles et de produits d’un côté. Et un autre, spécialiste de la gastronomie marocaine et d’ailleurs. En témoigne l’enseigne du restaurant « Sope Serigne Saliou », avec pour illustration un plat de riz au poisson bien garni. Au milieu, l’espace est occupé pour les petites activités. D’ailleurs, le visiteur est soudain frappé par la présence de femmes sénégalaises. Elles ont la réputation de « reines du maquillage » et servent plusieurs femmes de nationalité étrangère. « On a la magie de la beauté », s’amuse Nafi Diagne. Elle a appris le maquillage à Pikine au marché du zinc. Et après quatre années de pratique, elle décide de monétiser ses talents ailleurs sur recommandation d’une de ses amies. Et au Maroc, elle ne se plaint pas car l’activité fonctionne. Cela lui permet d’économiser et d’envoyer de l’argent à sa famille. « Je peux gagner 400 000 FCfa par mois. Ce qui n’était pas le cas à Dakar», salue-t-elle. Le seul bémol, souligne-t-elle, c’est qu’ils sont souvent victimes d’expulsions. « Nos chaises et tables sont placées au milieu du marché. Nous sommes donc souvent la cible des agents de sécurité », regrette Nafi. Dans une veste grise, Aminata Ndiaye ne dévoile que son visage noir radieux, agrémenté d’un noeud attaché sur son nez. Ses mains sont couvertes de gants. Elle est l’une des expertes en maquillage. “C’est l’une des activités informelles les plus rentables”, dit-elle furtivement, refusant d’aborder les questions liées à ses revenus, sous prétexte que “l’argent n’aime pas le bruit”. .
Le tremplin des centres d’appels
A bord du train au départ de la gare de Caso Port, Mohamed Bandia s’apprête à rejoindre Rabat. Teint foncé, taille moyenne, le jeune Sénégalais s’y rend pour récupérer quelques documents administratifs. De temps en temps, il reçoit des appels téléphoniques de ses collègues. « Je suis informaticien dans un centre d’appels. Ces appels, c’est pour pallier certaines pannes», dit-il sereinement en regardant l’écran de son téléphone. Mohamed a quitté Médine, Dakar pour Casablanca, à la recherche d’un avenir meilleur. Quelques mois plus tard, il parvient à décrocher son premier contrat. «Quand on maîtrise le français ou l’informatique, on trouve facilement un emploi», explique Mohamed. Selon lui, il est possible de gagner jusqu’à 400 000 FCfa ou plus selon les postes. Selon lui, il est impossible de se rendre dans un centre d’appels sans y rencontrer un compatriote.
Ousseynou Niang confirme bien cette présence massive de compatriotes. Pour lui, ce secteur accueille de nombreux Sénégalais en recherche d’emploi. Arrivé à Casablanca en 2022, il raconte avoir immédiatement rejoint un centre d’appels. « Je suis un prestataire de services. Je suis payé en fonction des heures travaillées. Et j’espère avoir bientôt un contrat formel. C’est un secteur rentable. Et les taux de salaires sont acceptables », décrit Ousseynou. Pour lui, c’est aussi un bon environnement de formation pour ceux qui souhaitent franchir un cap.
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ELHADJI MOUSSA DIAGNE
De la relation client au lobbying économique
Au Maroc, Elhadji Moussa Diagne continue son périple. Agent de centre d’appels dès son arrivée dans le royaume chérifien en 2021, il a su intégrer les milieux économiques, devenant un acteur incontournable du lobbying économique et du partenariat bilatéral.
El Hadji Moussa Diagne est au Maroc depuis janvier 2021. Il a passé ses premiers mois dans le royaume chérifien en travaillant dans le centre d’appels. « Quand je suis arrivé, comme beaucoup de Sénégalais, je travaillais dans un centre d’appels », raconte le jeune homme en parlant lentement. Aujourd’hui, Elhadji Moussa Diagne s’est reconverti dans le lobbying économique et le partenariat. « J’exerce une diplomatie parallèle afin de mieux renforcer les liens Sénégal-Maroc. C’est ce qui m’a poussé à créer une plateforme d’échanges partagée entre Marocains et Sénégalais, autorités, entrepreneurs et salariés dans le but de mieux discuter de la coopération Sud-Sud », explique Elhadji Moussa. Diagne. Parallèlement, le ressortissant sénégalais est président d’honneur du Pan-African Business Club Cp2A et est également chargé des relations publiques. Il s’agit d’une initiative née au Maroc et qui aspire à renforcer la solidarité panafricaine entre les pays africains favorisant le développement économique et les opportunités d’affaires à l’échelle continentale. Passionné de développement, il est associé au cabinet Siifmoa qui accompagne les investisseurs en Afrique de l’Ouest. « J’ai travaillé avec de nombreuses structures marocaines, ce qui m’a permis de développer des compétences en lobbying. J’ai participé à de grandes missions économiques comme au Cap-Vert où j’ai représenté la structure de l’Alliance stratégique africaine (ASA), souligne Elhadji Moussa Diagne.
Des postes dans des structures stratégiques qui lui ont permis de travailler sur le dossier de coopération entre la commune de Touba Toul et celle d’Ait Melloul (la plus grande zone logistique d’Afrique-Maroc). Bien intégré au Maroc, Elhadji Moussa Diagne a pour objectif de promouvoir et soutenir l’entrepreneuriat sénégalais au Maroc. « Le Marocain quand il vient au Sénégal, il arrive avec ses projets, ou bien pour ses études. On peut prendre l’exemple d’Attijari Bank, ou encore des étudiants de l’Université de Dakar puisque l’on assiste aujourd’hui à une vague de Sénégalais qui viennent chercher du travail. Il y en a beaucoup dans les centres d’appels, voire dans les restaurants et autres dans les domaines de la région Souss Massa», déplore-t-il. Selon lui, il est temps de veiller à ce qu’il y ait des cadres de concertation entre les émigrés sénégalais. « Le Maroc est une terre d’entrepreneuriat », jure Elhadji Moussa Diagne.
Demba DIENG