En Syrie, après le départ de Bachar al-Assad, “il va falloir préserver les preuves” de leurs crimes “en vue de la justice”a estimé mardi 10 décembre sur franceinfo Clémence Bectarte, avocate à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). L’avocat défend également plusieurs victimes syriennes devant la justice française. Depuis la chute du clan Assad, plusieurs ONG ont demandé aux rebelles qui ont pris le contrôle de la Syrie de préserver les documents pouvant servir à la justice.
Franceinfo : Est-il urgent de conserver tous ces documents ?
Clémence Bectarte: Oui bien sûr. On le voit avec l’ouverture des prisons du régime puis avec le fait qu’il y a aujourd’hui un accès au terrain syrien – ce qui n’a jamais été possible depuis 2011 où les enquêtes étaient menées à distance ou dans d’extrêmes difficultés par les militants syriens eux-mêmes – aujourd’hui il y a tellement de nombreuses preuves matérielles qui ont été mises à disposition et qui devront être préservées dans l’intérêt de la justice.
La Syrie de Bachar al-Assad était un régime de massacres, de tortures et de guerres. Sommes-nous sûrs que ces actes ont été documentés ?
Oui, ils l’ont été, au moins de manière très significative depuis 2011. Car ce dont nous parlons aujourd’hui – et c’est de cela que sera la demande de justice de la part des Syriens – ne concerne pas seulement les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre qui ont commis depuis mars 2011 et la tentative de révolution, mais aussi pendant les 54 années de dictature du clan Assad. C’est surtout sur cela qu’il faudra revenir. Il y a eu d’énormes efforts de documentation qui ont été faits, qui ont également donné lieu à des procès, y compris en France, récemment, en mai dernier, contre de hauts responsables du régime. Mais il reste beaucoup à faire pour espérer rendre justice à toutes les victimes syriennes.
Que devrions-nous faire des preuves qui pourraient être révélées ? Damas n’a jamais ratifié le traité de la Cour pénale internationale, la CPI n’a donc pas officiellement compétence. Quelle alternative la justice internationale peut-elle avoir ?
L’urgence est de permettre à la population syrienne dans son ensemble de décider des options judiciaires qui s’offriront à elle pour rendre justice aux victimes syriennes. Il est très important de permettre ce dialogue, qu’il y ait des consultations. Rappelons-le, de nombreux militants syriens et ONG travaillent depuis 2011 sur la documentation et la justice en Europe. Il existe également un mécanisme de l’ONU depuis décembre 2015, qui collecte déjà des preuves des abus du régime. Ce sont donc autant d’initiatives qu’il faudra poursuivre et consolider. En matière de justice internationale, il existe de nombreuses options. On peut imaginer différents scénarios pour juger les crimes commis en Syrie, mais il est important que les Syriens aient leur mot à dire.
Cela signifie-t-il que la justice syrienne peut gérer et qu’il faut mettre en place une sorte de justice transitionnelle ?
Bien sûr, il faudra, et c’est une demande très forte des Syriens, un processus appelé justice transitionnelle, qui pourrait prendre plusieurs configurations possibles. On pourrait imaginer qu’une justice syrienne rétablie dans son indépendance – avec une nouvelle Constitution qui proclamerait l’État de droit – ouvrirait des enquêtes, organiserait des enquêtes sur le terrain et mènerait des procès. On peut aussi imaginer qu’un gouvernement syrien ferait appel aux Nations Unies pour créer un tribunal mixte ou hybride. Nous l’avons déjà vu par le passé, par exemple au Cambodge, à propos de jugements de responsables du régime khmer rouge. Et puis la Syrie pourrait aussi demander à la Cour pénale internationale – qui n’a jusqu’ici jamais pu ouvrir d’enquête parce qu’elle n’était pas compétente – d’agir. La Syrie pourrait ratifier le Statut de Rome et permettre à la CPI d’ouvrir une enquête.