La stratégie payante de Marine Le Pen – .

La stratégie payante de Marine Le Pen – .
La stratégie payante de Marine Le Pen – .

La lutte contre l’extrême droite est régulièrement présentée comme une priorité par le président de la République et par la majorité des autres partis politiques. Pourtant, Marine Le Pen et le RN n’ont jamais été aussi proches du pouvoir. Alors que le RN est passé de 18,7 % des voix en 2022 à 33,15 % (en incluant les voix d’Éric Ciotti et de ses amis) en 2024 au premier tour des législatives, cette popularité croissante souligne le succès d’une stratégie inédite. Cette dernière, marquée par l’absence et la discrétion, contraste avec l’omniprésence médiatique des dirigeants politiques en général, et d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon en particulier.

Depuis 2022, une stratégie discrète

25 avril 2022 : le second tour de l’élection présidentielle vient de rendre son verdict et Emmanuel Macron est réélu face à Marine Le Pen. La bataille des législatives commence… et Marine Le Pen annonce qu’elle part en vacances. Sa décision ne peut que surprendre avant une échéance électorale de cette importance et alors que certains dirigeants politiques présentent les législatives comme le 3e tour de l’élection présidentielle qui pourrait contraindre Emmanuel Macron à cohabiter si le camp présidentiel n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale. L’opposition entre le camp présidentiel mené par Emmanuel Macron et un Nupes naissant mené par Jean-Luc Mélenchon profite donc à plein de la lumière. L’opposition est assez frontale entre d’un côté un président réélu qui perçoit le danger que représente la grande coalition de la gauche et un leader insoumis qui caresse l’espoir de s’installer à Matignon.

Face à une dynamique électorale bien moins porteuse pour son mouvement que lors des législatives de 2017, Emmanuel Macron s’est positionné en rempart contre le danger que représenterait une coalition de gauche dominée par les Insoumis si elle arrivait au pouvoir. Son discours entre les deux tours devant l’avion présidentiel quelques minutes avant de partir rendre visite aux soldats français en Roumanie, appelant à un sursaut républicain face à la menace des extrêmes, a parfaitement illustré cette position. Cette stratégie n’est pas sans rappeler l’attitude de Charles de Gaulle lorsqu’il dénonçait le chaos de Mai 68 et se posait en rempart contre les désordres de l’époque. Le mouvement gaulliste remporte alors largement les législatives de 1968 après la dissolution décidée par le chef de l’État.

Côté Nupes, la domination de la France Insoumise dessine une stratégie marquée par la critique du président réélu et par une personnalisation de la campagne autour de la figure de Jean-Luc Mélenchon, légitimé par ses 21,95 % obtenus au premier tour de la présidentielle. A côté de cette omniprésence médiatique, la campagne législative de Marine Le Pen – de retour de vacances – et du RN semble à peine audible. Elle permet pourtant à la formation d’extrême droite de faire élire, à la surprise générale, 89 députés dans le cadre d’un scrutin majoritaire historiquement défavorable au RN avant 2022.

La « stratégie de l’égalité »

Après sa réélection en 2022, Emmanuel Macron a déclaré que « ce vote l’oblige » et qu’il doit donc tenir compte des voix exprimées pour sa candidature afin de ne faire barrage qu’à Marine Le Pen et de faire évoluer sa pratique du pouvoir. La séquence, qui va de sa réélection en juin 2022 aux élections européennes de 2024, est néanmoins marquée par l’utilisation répétée du 49.3 par son gouvernement pour faire passer des lois parfois très controversées, comme la réforme des retraites. Sa grande conférence de presse télévisée du 16 janvier 2024, devant le gouvernement et une assemblée de journalistes qui n’ont été autorisés à poser que quelques questions, illustre également une verticalité persistante dans sa pratique du pouvoir dans la lignée de son premier quinquennat.

Côté Nupes, la stratégie de « guérilla » parlementaire défendue par Jean-Luc Mélenchon et menée par les députés de la France Insoumise crée la polémique, notamment lors des discussions sur la réforme des retraites. Elle semble mal passer dans l’opinion et finit par faire exploser la coalition de gauche suite aux attaques du Hamas sur le sol israélien. Marine Le Pen, de son côté, réélue députée, impose la « stratégie de la cravate » aux 89 députés RN de l’Assemblée. Celle-ci implique d’être bien habillé, courtois et respectueux. Hormis quelques dérapages comme l’affaire des propos racistes de Grégoire de Fournas, la tactique est globalement respectée par les élus RN. Leur attitude contraste avec les échanges violents opposant régulièrement les députés insoumis et les membres du gouvernement ou certains députés de la majorité présidentielle.

Des concurrents trop sous les projecteurs ?

Rétrospectivement, la stratégie de Marine Le Pen et du RN lors des législatives de 2022 a pu paraître surprenante et contreproductive. Alors qu’elle est arrivée deuxième à la présidentielle, elle a semblé laisser le poste de principal opposant au gouvernement à Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, la suite semble légitimer cette stratégie visant à ne pas faire de vagues et à faire profil bas. Elle s’avère, lors des travaux de l’Assemblée nationale élue en 2022, cohérente avec son travail de dédiabolisation mis en place lors de son arrivée à la tête du parti frontiste. Surtout, elle la distingue de ses deux principaux rivaux à la présidentielle, qui finissent par apparaître plus clivants l’un que l’autre.

Au-delà de la question de savoir si la stratégie de dramatisation des enjeux choisie par Emmanuel Macron et celle du combat permanent et de la polémique adoptée par Jean-Luc Mélenchon sont utiles à leur camp, ces deux stratégies semblent légitimer, à l’inverse, celle de Marine Le Pen. Et accompagner ainsi une montée progressive du RN, désormais aux portes du pouvoir.

Une stratégie risquée pour devenir président ?

En laissant le champ libre à Jordan Bardella pour un éventuel poste de Premier ministre, Marine Le Pen semble vouloir s’en tenir à cette ligne qui lui a particulièrement réussi ces deux dernières années. Mais une telle stratégie présente aussi des risques… surtout si le RN arrive au pouvoir à l’issue des législatives en cours. En cas d’échec, Marine Le Pen pourrait aborder les prochaines élections présidentielles à la tête d’un mouvement potentiellement rendu moins populaire par l’exercice du pouvoir.

A l’inverse, on ne peut exclure la possibilité que Jordan Bardella profite de son nouveau rôle pour gagner en popularité et donc se sentir légitime à se présenter à la prochaine élection présidentielle, à l’instar d’Édouard Balladur suite à la cohabitation de 1993. Sans compter qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale avant 2027 est une possibilité déjà envisagée par le camp présidentiel (il faudra attendre au moins un an pour le faire). Dans tous les cas, il y a fort à parier que Marine Le Pen sera contrainte de s’exposer davantage et de mettre de côté une stratégie pourtant couronnée de succès, si elle veut un jour devenir présidente de la République.

La version originale de cet article a été publiée sur La conversation

 
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