La violence en Haïti ne fait qu’empirer, si cela est possible. Les attaques des bandes armées se multiplient, y compris dans la capitale. Alors que l’ONU dénombre plus de 4 900 morts depuis le début de l’année, les ONG continuent de déserter le terrain face au danger qui vise leurs propres collaborateurs.
La semaine dernière, la police a annoncé avoir tué 28 membres de gangs dans une banlieue de Port-au-Prince, avec le soutien d’habitants en colère.
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La même semaine, Médecins sans frontières (MSF) a annoncé la suspension de ses activités dans la capitale suite à des menaces proférées par des membres des forces de sécurité, voire à des attentats, rendant la situation encore plus incontrôlable et violente.
Personnel humanitaire attaqué
“Pour nous, une ligne rouge a vraiment été franchie : nos personnels nationaux et internationaux ont été agressés, physiquement et verbalement, ce qui n’était jamais arrivé en plus de 30 ans de présence en Haïti”, a expliqué lundi le chef de mission de MSF en Haïti Christophe Garnier. à l’émission Tout un monde de la RTS. Il évoque notamment une menace de viol contre le personnel et une autre, récente, de « mettre tout le monde dans des voitures et d’y mettre le feu ».
« Ce jour-là, deux des trois patients présents dans une de nos ambulances ont été sortis du véhicule. Nous avons alors entendu une quinzaine de coups de feu. Nous n’avons aucun doute sur le fait que ces patients sont décédés”, poursuit Christophe Garnier.
Nous sommes pleinement conscients des conséquences, mais nous ne pouvons pas nous permettre de risquer davantage. C’est la moins pire solution
D’autres menaces ont suivi, obligeant l’organisation humanitaire à suspendre l’admission de nouveaux patients. À contrecœur, car MSF est l’une des seules ONG encore présente en Haïti, alors même que la population en a désespérément besoin.
«Nous étions les seuls [ONG de secours à la population encore sur place, ndlr] dans tous les quartiers de Port-au-Prince. L’offre de soins est extrêmement médiocre et se réduit à chaque fois un peu plus. Il s’agit effectivement d’un drame et nous en connaissons parfaitement les conséquences. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de risquer davantage. C’est la moins pire des solutions», défend le chef de mission MSF en Haïti.
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Des policiers en roue libre
Si la situation a dégénéré au point que même les policiers menacent le personnel humanitaire, c’est parce que le vide du pouvoir dans le pays est devenu tel, et sur une longue période, que toutes les institutions publiques s’effondrent. Certains éléments de la police se retrouvent en roue libre, sans aucun contrôle.
« Le fait que MSF soigne tout le monde, y compris les membres de bandes armées, n’est parfois pas accepté par la police et la population », explique Frédéric Thomas, spécialiste d’Haïti au Centre d’études tricontinentales basé à Louvain-la-Neuve.
Aucune stabilisation en vue
De nombreux observateurs pensaient que le départ de l’ancien Premier ministre Ariel Henry en mars dernier réduirait les violences et que la situation se stabiliserait, mais ils ont vite déchanté. L’un des chefs de bandes armées les plus puissants, Jimmy Cherizier, continue de semer la terreur. Il a appelé il y a dix jours à renverser le conseil présidentiel de transition [lire encadré 2].
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85 % de la capitale Port-au-Prince est aux mains de gangs, et plus de 700 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, ont dû fuir les violences.
La mise en place de ce dernier a également été un échec, selon Frédéric Thomas, avec « des luttes internes au pouvoir, sans consultation de la population. Il n’y a pas de réel progrès structurel par rapport au contrôle des bandes armées, bien au contraire. A tel point qu’aujourd’hui, on estime que « 85 % de la capitale Port-au-Prince est aux mains de gangs, que plus de 700 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont dû fuir les violences, avec un gouvernement qui semble inactif » et absent du terrain, décrit le spécialiste.
« L’État n’a pas réussi à assurer notre sécurité »
Sur le terrain, ce constat se confirme : « L’État n’a pas réussi à assurer notre sécurité. Nous nous sommes battus seuls pour résister, avec des pierres, des bouteilles…», raconte un habitant interrogé récemment par une chaîne de télévision. Informations françaises. Récemment, le conseil de transition a limogé le Premier ministre en poste depuis cinq mois pour le remplacer par un homme d’affaires, mais rien ne semble vraiment changer.
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Pour tenter de mettre un terme à cette escalade, la communauté internationale a déployé cet été une force multinationale de soutien policier, dirigée par le Kenya et soutenue par l’ONU et les États-Unis. Mais seuls 400 hommes sur les 2 500 promis ont été déployés.
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Impunité généralisée
Aujourd’hui, les Américains proposent de transformer ce contingent en une véritable mission de maintien de la paix, ce qui suscite les doutes de plusieurs pays, Chine et Russie en tête. Frédéric Thomas partage ces doutes : « C’est une fausse bonne solution qui est toujours mise en avant […] au détriment d’autres solutions, comme un embargo sur les armes», estime-t-il, même si un tel embargo a déjà été décrété par l’ONU.
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Mais cet embargo ne fonctionne pas : « Les bandes armées continuent de s’approvisionner en armes et munitions sans aucune difficulté. Et plus de 80 % de ces armes viennent des Etats-Unis ! », constate Frédéric Thomas.
Aucun chef de gang n’a été jugé, et leurs relais politiques et économiques non plus.
Deuxième problème : sur place, aucun chef de gang n’est vraiment inquiété. « Aucun n’a été jugé, et leurs contacts politiques et économiques non plus. Un comité des sanctions a été mis en place par l’ONU, mais cette liste ne compte que sept personnes, dont six chefs de gangs et un seul homme politique», déplore le spécialiste.
Pour le coordonnateur du programme Haïti au sein de l’organisation Initiative mondiale Romain Le Cour, le soi-disant gouvernement étant incapable d’agir, c’est à la communauté internationale de le faire, et particulièrement aux États-Unis, car ils sont « impliqués dans la politique haïtienne depuis une trentaine d’années ».
Pour rappel, la population attend depuis près de 10 ans que des élections présidentielles soient organisées, la dernière ayant eu lieu en 2016.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web : Vincent Cherpillod