Si l’on écoute attentivement, on entend lors du vote du 5 novembre aux Etats-Unis l’expression d’un rejet. Le rejet de l’inflation et de la situation économique difficile, des élites et des institutions, de l’insécurité urbaine et de l’immigration incontrôlée, du gouvernement et des structures bureaucratiques impuissantes, des contraintes environnementales et du « wokisme ».
Bref, il y a dans ce vote différents rejets combinés, en quelque sorte, qui en font un rejet de l’époque, et de ceux qui la façonnent. Ce que nous, les médias, soyons honnêtes.
C’est un vote conservateur et populiste (voir la capsule en fin de texte), un retour de bâton, un contrecoup pour reprendre le titre du dernier livre du journaliste Fareed Zakaria, L’ère des révolutions : progrès et réactions négatives de 1600 à nos jours.
C’est un retour de pendule après des années passées à faire des progrès rapides sur des questions déconnectées de la vie quotidienne et des préoccupations de bon nombre de citoyens, qui ont l’impression qu’on les oublie, qu’on les juge, qu’on les juge. . se méprend.
Il y a bien sûr beaucoup de perceptions et de ressentis là-dedans, ce qui explique pourquoi de nombreux élus, experts et médias écartent si facilement ce type de propos. Ils répondent avec des chiffres et des graphiques qui montrent que le PIB augmente, que l’immigration est sous contrôle, que la criminalité est en baisse et que ceux qui prétendent le contraire sont ignorants. Les problèmes graves sont ailleurs, ils envoient comme un message : questions d’identité, personnes trans, travestis, toilettes non genrées.
La phrase est volontairement caricaturale. Mais il résume néanmoins l’impression de certains électeurs, comme en témoigne le choix de la publicité républicaine la plus diffusée pendant la campagne : celle où l’on voit Kamala Harris, dans une interview, soutenir que l’État a le devoir de payer pour le changement de sexe. de prisonniers.
Ce message a résonné, que cela nous plaise ou non. Nous pouvons le contredire, le juger, nous en inquiéter, nous en excuser. Mais on peut aussi écouter, essayer de comprendre, tirer des leçons.
C’est ce que nous, médias, devons faire : tendre notre micro, plutôt que de tourner le dos aux électeurs de Trump.
C’est pourquoi je me sens mal à l’aise quand je vois le Tuteur de Londres annonce officiellement qu’il quitte le réseau social X à ce moment-là.
Quand la moitié de la population d’un pays choisit un candidat qui déteste tant les médias, qui accuse les journalistes d’être les « ennemis du peuple », est-ce une bonne idée de s’en détourner encore davantage ?
La réponse des médias aux chambres d’écho créées grâce aux réseaux sociaux comme X devrait-elle être de s’en éloigner pour les rendre encore plus hermétiques ?
La réponse au vote trumpiste, au Brexit, aux gilets jaunes, au convoi de la liberté devrait-elle être de s’éloigner encore plus de ces cercles ? Je ne pense pas.
Il y a bien sûr des centaines de bonnes raisons de quitter X. Je comprends tout à fait les journalistes qui désertent ce « gigantesque égout à ciel ouvert », comme l’a écrit Rima Elkouri jeudi. Mais les médias en tant qu’institution ont la responsabilité de lutter contre la désinformation, d’être présents sur les réseaux où le besoin de contenus de qualité est criant, du moins lorsqu’ils comptent 600 millions d’utilisateurs.
Et plus largement, je crois que Tuteur a commis une erreur en annonçant à la Terre entière qu’elle abandonnait X au lendemain de la nomination d’Elon Musk, son propriétaire, au sein de l’administration Trump.
Il lance alors un message qui peut être interprété comme un positionnement politique. Il donne l’impression de s’en prendre au président américain et à son entourage, plus encore que le réseau social qu’il rejette.
Cependant, de grands médias comme le Gardien – et La presse – ont, à mes yeux, un devoir de réserve à respecter, une neutralité politique à afficher. Et plus largement, ils ont la responsabilité de réduire la polarisation entre les institutions et les citoyens qui ne leur font pas confiance, et non de l’accélérer, comme le font les Tuteur.
C’est d’autant plus inquiétant que c’est aussi ce qu’ont fait les candidats à la présidentielle ces derniers mois. Voyez comment Donald Trump et Kamala Harris ont snobé les grands médias plus que d’habitude. Découvrez comment ils préféraient interagir avec des influenceurs et des animateurs de podcast complaisants. Et voyez surtout comment ils ont choisi chacun de s’adresser à leur groupe idéologique respectif : Trump avec Joe Rogan et Theo Von, Harris avec Alex Cooper.
Et à cela, le Tuteur répond en supprimant son contenu et son logo d’un réseau social populaire ? En renforçant encore davantage l’impression « eux » et « nous » ?
C’est une erreur, à mon avis. La mission des grands médias n’est pas de s’opposer au vote de 50 % de la population d’un pays, de son représentant ou de ses réseaux sociaux. Il s’agit plutôt de rendre compte de tout cela, d’envoyer des journalistes sur le terrain pour informer. Il s’agit aussi de vérifier, d’analyser, de publier une série d’opinions et, bien sûr, de dénoncer les contrevérités, les mensonges, les excès et les dérapages. Et il s’agit, enfin, de diffuser leur contenu factuel et rigoureux au plus grand nombre.
C’est ce que nous avons choisi de faire La presse… tout en posant les nombreuses et pertinentes questions soulevées par le résultat du 5 novembre.
Pour la défense des conservateurs populistes
Pour comprendre ce vote « populiste conservateur », il faut lire l’essai publié en 2018 par Stephen Harper après ses années au pouvoir, intitulé Ici, maintenantqu’il qualifie de « manuel pour la politique conservatrice à l’ère du populisme ».
L’ancien Premier ministre rappelle que « la mondialisation a été une grande réussite pour de nombreux habitants de la planète, mais pas pour beaucoup de nos peuples », dans les pays occidentaux, où « les revenus des travailleurs ont stagné, voire diminué ».
« Il existe un fossé de plus en plus profond entre les perspectives des institutions établies de toutes sortes – entreprises, banques, bureaucraties, universités, médias, divertissement – et celles de ceux qui ne s’identifient pas à ces institutions. […] Et surtout, [ce fossé] oppose de plus en plus ceux qui croient faire des progrès à ceux qui voient que ce n’est pas le cas. »
À ses yeux, Donald Trump a vu ces tendances sociales « plus tôt et plus clairement que quiconque ». Il s’est adressé à ceux qui « se sentent sans voix ». Et il a abordé les thèmes qui les touchent réellement : l’inflation, la désindustrialisation, la mondialisation, le nationalisme, l’immigration, etc.
« Nous pouvons continuer d’essayer de convaincre les gens qu’ils comprennent mal leur propre vie, écrit Stephen Harper, ou nous pouvons essayer de comprendre ce qu’ils disent. »
Écrire à François Cardinal