Une évolution dangereuse
Avant le développement des technologies de manipulation génétique, les États se limitaient à collecter des agents pathogènes lors d’épidémies. « Lorsque nous avons eu une pandémie virulente, des virus et des bactéries ont été collectés et testés en laboratoire sur des animaux. Nous avons essayé de déterminer leurs capacités de diffusion tout en essayant de développer des vaccins pour s’en protéger. C’est ce qui a essentiellement déterminé la recherche sur les armes biologiques», explique l’expert. Mais la recherche a évolué depuis les années 1990. Les scientifiques de tous les pays repoussent leurs limites et commencent à manipuler des virus existants ou anciens. « Depuis les années 2000, nous disposons de nombreux outils permettant de modifier des pathogènes, voire d’en créer de nouveaux, explique Eric Muraille. « Nous avons par exemple pu ressusciter des virus présents dans le sol gelé de Sibérie. Les chercheurs ont même réussi à reconstituer le virus de la grippe espagnole de 1918. Ces expériences ont suscité une importante controverse en raison des risques de propagation de ces virus en cas d’accident. Nous essayions de prendre un virus inoffensif et de le rendre de plus en plus agressif », poursuit-il. « Aujourd’hui, nous pouvons faire exactement ce que nous voulions en faire. veut”. Ces manipulations ont été réalisées dans le but de pouvoir faire face à d’éventuelles mutations de virus redoutables, mais par ces méthodes, ce même danger a été créé en laboratoire.
« Si nous n’agissons pas rapidement pour dissuader nos adversaires, nous risquons d’être confrontés à la catastrophe »
Ces modifications sont totalement interdites, à l’échelle mondiale, dans la « recherche conventionnelle ». « Aucun laboratoire universitaire ne peut mener des recherches dans ce but. Il est impossible d’être financé pour cela. Lorsque nous faisons des recherches sur les armes biologiques, c’est toujours dans le but de nous en protéger. C’est très confiné », précise l’immunologiste, avant de nuancer, « évidemment, certains pays ne respecteront pas cette interdiction. »
Actuellement, une menace concrète ?
« Il y a toujours une menace potentielle. Les armes biologiques sont des armes faciles à créer car elles se multiplient d’elles-mêmes », explique l’expert. « Ce qui a le plus souvent empêché l’utilisation d’armes biologiques, c’est qu’elles sont presque impossibles à contrôler. Une fois que vous mettez cette merde dans la nature, elle se propage et attaque tout le monde. Elle peut également muter, évoluer et devenir incontrôlable. La seule façon pour un groupe d’attaquer tout en réduisant les risques pour lui-même est de créer à l’avance le vaccin contre la pandémie qu’il a propagée, sans compter les mutations. Mais, en raison des capacités évolutives des virus et des bactéries, même cette stratégie serait très risquée. C’est pourquoi l’usage de cette arme n’est pas devenu populaire. « Il faut remonter au Moyen Âge ou à l’époque coloniale pour trouver des cas d’utilisation d’armes biologiques. On pourrait jeter les cadavres des gens morts lors des épidémies dans des villes assiégées ou dans des puits empoisonnés », explique Eric. Mur. Il prend l’exemple de cas où des colons aux États-Unis ont donné à des Indiens des vêtements infestés de germes comme la variole. Selon lui, c’était « plutôt anecdotique. Il n’y a pas vraiment eu de tentatives majeures de la part des armées pour l’utiliser, mais il y a eu des recherches et quelques tests. […] Mais aucune information précise sur ces projets n’a été divulguée », conclut-il.
Opinions sur la Russie
Malgré le risque, des nations ou des groupes s’efforcent-ils d’aiguiser cette arme ? Les yeux du monde se tournent vers la Russie à cause de ces craintes. « Pratiquement tous les pays ont les moyens de le développer. La Russie, par exemple, possède l’expertise et les moyens pour le faire. D’autant plus qu’ils avaient, à l’époque de l’URSS, un important programme d’armes biologiques et que la science russe actuelle n’est pas en berne à ce niveau. Il est donc probable que des armes biologiques soient actuellement développées dans le monde », détermine le expert. .
La Russie développe-t-elle de nouvelles armes biologiques ? « Activité anormale détectée » sur un site russe de la guerre froide
Cibler des groupes ethniques spécifiques ?
C’est ce que suggèrent les experts interrogés dans l’article du Washington Post. A cela, Eric Muraille répond clairement : « L’idée de ces projets existait réellement, et l’Afrique du Sud y a travaillé pendant l’apartheid. » Certains radicaux suprémacistes blancs voulaient créer des armes biologiques qui auraient ciblé uniquement les populations africaines. « Le résultat de cette recherche n’est pas connu. Était-ce réalisable avec les moyens de l’époque ? Je ne pense pas», dit-il. « D’un autre côté, aujourd’hui, avec les outils de modification génétique dont nous disposons et l’aide de l’intelligence artificielle, nous pourrions probablement créer des agents pathogènes qui ciblent un groupe ethnique plus qu’un autre », prévient-il. Ce qui est alarmant, car cela ouvrirait de nouvelles perspectives à certains radicaux qui pourraient croire que ces armes seraient sans danger pour eux-mêmes, mais Eric Muraille précise que « la diversité génétique humaine est telle que l’idée de développer un pathogène qui ne le serait pas » tuer un seul groupe ethnique sans affecter les autres n’est probablement qu’un fantasme.
Selon l’expert, « il n’y a que des groupes suprémacistes et très racistes qui pourraient vouloir développer cela. Il n’existe pas vraiment d’État qui ait ce profil. Dans les scénarios que l’on peut imaginer, il s’agit principalement de petits groupes terroristes qui peuvent l’envisager parce qu’ils ne se soucient pas des dégâts qu’ils causent car ils n’ont pas de population à protéger. Notons tout de même que « dans le passé, les Etats l’ont fait, donc je dirais qu’on ne peut pas totalement l’exclure, d’autant que les moyens sont vraiment bien plus importants. La Corée du Nord par exemple, personne ne sait ce qui s’y passe. Ils ont déjà des armes nucléaires et des armes chimiques, je ne vois pas pourquoi ils n’auraient pas d’armes biologiques pour la Russie, pendant deux ans après cela. Lors de l’invasion de l’Ukraine, il y a eu un boycott massif des scientifiques. Les Russes qui travaillent en Russie sont de plus en plus isolés, et certains pourraient être de plus en plus radicalisés. C’est le genre de situation qui pourrait amener des chercheurs à accepter de travailler sur ce type de recherche s’ils le croient. il en va de la survie de leur pays », conclut Eric Muraille.