Le 10 février 2024, je disais ceci à propos de Donald Trump, dans une chronique : « Il n’y a pas si longtemps, le simple fait de le voir ou de l’entendre me donnait de l’urticaire. J’ai souffert, parce que je ne pouvais tout simplement pas accepter qu’un tel fou puisse trouver un public aussi nombreux pour prêcher sa haine en toute impunité. Mais depuis deux ans, j’ai travaillé pour libérer mon cœur de cette énergie malsaine. A tel point qu’aujourd’hui, j’écoute ce qu’il dit comme du chewing-gum.1 »
Publié à 1h30
Mis à jour à 7h00
Aujourd’hui, cette distanciation émotionnelle m’a permis d’accueillir les résultats de son élection avec un certain détachement. Trump porte en lui le racisme, la xénophobie, l’homophobie, la misogynie, la transphobie, la mesquinerie, la mythomanie et bien d’autres défauts de l’humanité. Mais le verdict est sans appel, ses partisans sont capables de surmonter les horreurs qui sortent de sa bouche et de lui redonner le pouvoir.
Ainsi, comme la dernière fois, avec Hillary Clinton, au pays des Pères Fondateurs, la phallocratie a une nouvelle fois bénéficié de la prime aux bals*.
Au début de la campagne, j’ai entendu un ancien stratège démocrate dire qu’il ne fallait pas espérer battre Donald Trump avec tendresse et gentillesse. Il a dit qu’il aurait dû affronter un adversaire avec beaucoup de testostérone et d’agressivité.
Avec Kamala Harris aux commandes, nous nous sommes concentrés sur l’ocytocine, l’hormone de la famille et de l’amour. Très positive et souriante, elle a parlé des droits individuels, des opportunités pour tous, de la liberté, de l’inclusion et de l’égalité. Elle a également longuement prêché l’urgence de sauver la démocratie américaine. Malheureusement, cette foi dans la démocratie ne fait plus battre le cœur de nombreux jeunes.
En novembre 2023, une grande étude mondiale de la Fondation Soros2 nous a appris que les jeunes sont de moins en moins attachés à la démocratie. Parmi les jeunes âgés de 18 à 35 ans, 35 % se déclarent favorables à un leader fort, sans Parlement ni élections. Pire encore, 42 % étaient disposés à expérimenter un système militaire.
Ces dernières années, cette déconsolidation démocratique progresse dans le monde occidental. Donald Trump et Elon Musk, deux hommes forts différemment, se sont entretenus avec ces jeunes, dont certains sont regroupés dans des organisations misogynes qui pullulent sur Internet.
Parmi ces gars qui prônent la domination masculine et le mépris total des minorités sexuelles, la crainte que Trump torpille la démocratie américaine ne fait pas mouche, car c’est Vladimir Poutine qui expose ses pectoraux ou Andrew Tate qui incarnent leur mâle alpha et leur modèle à copier.
La débâcle de Kamala Harris doit aussi à un retour du balancier de l’idéologie de la diversité en vogue dans son parti.
Il est peut-être temps que les troupes démocrates comprennent que cette fragmentation de la population américaine en petits groupes d’intérêt au nom de cette idéologie commence à faiblir.
De toute évidence, ces efforts d’inclusion que certains associent au wokisme sont importants pour corriger les préjugés systémiques de la société américaine. Le problème est qu’en gardant constamment les yeux rivés sur ces programmes, les démocrates semblent avoir oublié de s’intéresser de manière plus évidente aux besoins communs à tous les Américains sans distinction de race, de religion, de sexe, d’origine culturelle ou de genre.
Le vétéran Bernie Sanders a raison de dire, après cette défaite, que le Parti démocrate a perdu le contact réel avec le peuple américain. L’angoisse identitaire face à la crise migratoire et le sentiment d’appauvrissement des masses laborieuses qui se disent abandonnées par l’État font partie de ces préoccupations communes.
Oui, la question de l’avortement en est une également, mais sa portée a été surestimée dans cette Amérique qui s’apparente de plus en plus à une théocratie multiconfessionnelle. Cependant, s’il est une chose qui unit tous les dogmes des religions monothéistes, c’est bien le contrôle du corps des femmes et la suprématie du chromosome Y sur l’autre moitié de l’humanité qui n’en est pas porteuse. Croire que les États-Unis, dont l’immigration vient principalement du sud de leur frontière, où les gens sont encore très religieux, créeraient une immense coalition féminine sur un tel sujet est une bien triste utopie. J’ai parlé de tristesse, car le retour à l’âge de pierre des droits des femmes est au centre du Trumpisme.
Pendant que Kamala Harris parlait d’avortement, Donald Trump martelait des bêtises sur l’inflation, le pouvoir d’achat et la criminalité. Il a également abondamment menti sur les prétendues ressources nationales que les démocrates accordent aux migrants irréguliers aux dépens des vrais Américains, y compris les victimes de l’ouragan.
Cependant, partout sur la planète, lorsque les locaux s’estiment injustement privés de leurs avantages par les étrangers, ils peuvent devenir comparables à des chimpanzés dans une guerre territoriale.
C’est pour cette raison que même les immigrés de moyenne ou longue durée, soupçonnés d’être allergiques à la rhétorique xénophobe de Donald, ont massivement soutenu sa proposition sur la question migratoire. Cette rébellion sur fond d’exclusion est souvent créée par le sentiment d’être coupé de la file d’attente par d’autres que l’on aimerait voir derrière.
Aussi brillante et sensible soit-elle, Kamala Harris n’a pas réussi à convaincre les Américains sur cette crise migratoire. En cause, dans la coalition démocratique qu’elle dirige, le sujet est délicat. Il faut toujours jouer les équilibristes pour ne pas froisser l’extrême gauche incarnée par la redoutable Alexandria Ocasio-Cortez.
Une fois les larmes séchées, les démocrates auront besoin d’une grande voie de remise en question. Parmi ces changements essentiels, il y a l’exploitation de la célébrité américaine à chaque élection.
Comme beaucoup de démocrates dans les médias, ces célébrités vivent dans une chambre d’écho très éloignée de la réalité de la famille américaine moyenne et du producteur de pommes de terre de l’Idaho.
Alors, éliminer ces stars qui vivent dans des tours d’ivoire tout en vantant l’importance de la richesse du cœur dans les magazines à potins comporte sa part de risque. En effet, une bonne partie des masses laborieuses déteste désormais ce mélange de politique et de show business. Où est passé l’effet Taylor Swift que CNN nous a abondamment prédit ? Malgré leur ego démesuré, ces stars n’auront jamais le pouvoir de persuasion d’Elon Musk, qui possède un réseau social, construit des voitures électriques, possède des satellites et incarne la quintessence de la réussite américaine.
Le succès de Donald Trump doit beaucoup à Elon Musk et les deux hommes d’affaires s’apprêtent désormais à mélanger avantageusement politique et business. En fait, au début de son implication, Musk a déclaré qu’il faisait campagne avec Trump uniquement pour protéger la liberté d’expression contre les assauts du wokisme. Nous parions qu’il y en a plus.
En effet, si tel était le cas, pourquoi les terribles méthodes utilisées par Trump pour intimider tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ne le dérangent-elles pas ? Il y a bien plus, car selon l’indice Bloomberg, les 10 hommes les plus riches de la planète ont gagné 88 milliards en une journée après l’élection de Trump.
Elon Musk a gagné à lui seul 26,5 milliards de dollars en une journée. Apparemment, il a déjà remporté le jackpot de sa loterie de 1 million qui a aidé à élire Trump.
Ces entreprises bénéficieront grandement de son implication dans la campagne qui a aidé Donald Trump à élever la forteresse qui sépare désormais deux Amériques irréconciliables.
Ce deuxième mur divise l’Amérique progressiste et l’autre qui estime que Donald Trump expulsera 11 millions de personnes dès le premier jour de son règne, démantelera l’État profond de Washington, arrêtera immédiatement la guerre en Ukraine, mettra l’Iran en danger. à genoux et protéger les masses travailleuses contre les abus des élites politiques, médiatiques et économiques.
En entendant parler de l’accomplissement de ces miracles, c’est Vladimir Poutine qui se frotte les mains et déclare : « Je savais que l’oligarchie avait sa place à Washington. »
*Burne est synonyme de testicule
1. Lisez la chronique « Le parti public russo-russe de Donald »
2. Découvrez les résultats de l’enquête Open Society Foundations, fondée par George Soros (en anglais)