L’exception culturelle sénégalaise – Lequotidien

L’exception culturelle sénégalaise – Lequotidien
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En décembre 2013, le célèbre Ballet Béjart s’est produit pendant trois jours au Grand Théâtre de Dakar. C’était deux ans après l’inauguration de cet immense bâtiment d’architecture chinoise, une des pièces du défunt projet des « Sept Merveilles » du président Abdoulaye Wade, qui devait comprendre également le Musée des Civilisations Noires, l’École des Arts, l’École de l’Architecture, des Archives Nationales, de la Maison de la Musique et de la Bibliothèque Nationale.
Ce soir-là, j’ai vécu un spectacle fascinant, devant un public nombreux et captivé. L’interprétation du Boléro de Maurice Ravel a été le point d’orgue de cette soirée où le beau côtoyait le sublime.

Je me souviens des danseurs Béjart aux côtés de ceux de la compagnie Jant Bi de l’Ecole des sables, fondée par Germaine Acogny. Germaine, elle-même, ancienne élève et fille spirituelle de Maurice Béjart. Je me permets ici de rappeler que Béjart était sénégalais car il était le fils de Gaston Berger, sénégalais et père prévoyant. Tout le monde était ravi de voir, grâce au dynamisme des équipes de l’époque, ce lieu symbolique accueillir une si grande entreprise.

Je suis revenu la semaine dernière, comme je le fais souvent, au Grand Théâtre qui porte désormais le nom de Doudou Ndiaye Rose, dont Abdoulaye Aziz Mbaye n’a cessé de rappeler qu’il était un « trésor humain vivant ». Cette fois, le programme avait annoncé une représentation du célèbre ballet russe, le Bolchoï.

En réalité, les résultats des prestations ont été un peu plus décevants que les promesses. Si effectivement un soliste du Bolchoï était sur place, nous n’avons eu droit qu’à un court extrait du Lac des Cygnes, célèbre ballet magique du XIXe siècle du compositeur Tchaïkovski, qui raconte l’histoire d’amour à trois à la fin de la tragédie entre Siegfried, Odette, la Blanche le cygne, et Odile, le cygne noir. La danseuse russe était gracieuse, ses mouvements élégants et on ne pouvait que regretter la courte durée de la partition.

Outre ce tableau, nous avons apprécié le génie sénégalais, qui sait toujours nous rappeler que nous sommes au pays de Senghor et que la culture fait partie du corps social. Une petite fille, qui n’a visiblement pas encore dix ans, a gratifié le public de ses notes de piano d’une beauté sublime. Elle a joué une partition des Contes de la forêt viennoise de Johann Strauss. Aminata Ba, elle s’appelle. Elle a un talent et une compétence qui m’ont impressionné et touché. Un autre petit garçon a également interprété le Beau Danube bleu, une célèbre valse de Strauss. Nous avons eu droit à d’autres représentations au charme douteux, mais l’esprit de fête prévalait dans une salle à moitié remplie de 1800 places.

Je raconte mes sorties comme on raconte ses lectures. Mais évoquer pour moi ce spectacle entraîne une certaine nostalgie de ce théâtre dont je parcourais régulièrement les couloirs sans jamais l’avoir aimé. Je trouve ça kitsch et sombre ; il lui manque ce quelque chose qui tient au mysticisme des théâtres où, la nuit, on croise les fantômes d’acteurs et de metteurs en scène décédés.

Une certaine nostalgie, disais-je, mais aussi une tristesse singulière, car ce théâtre ne joue pas le rôle qui lui est assigné. Il s’agit davantage d’une salle de spectacle, qui accueille des concerts, des conférences publiques, des réunions politiques ou des événements religieux, au lieu d’être un lieu privilégié d’expression des arts du spectacle sénégalais et internationaux. Le théâtre, la danse, le cirque, l’opéra n’y ont pas vraiment accès comme il se doit.

Le modèle économique des infrastructures culturelles publiques laisse peu de marge de manœuvre aux administrateurs qui sont à leur tête ; et cette configuration a un impact malheureux sur la production et la promotion de nos arts et de nos artistes.

Léopold Sédar Senghor, n’étant pas l’ignorant en économie que certains esprits tristes voudraient dépeindre, a bâti notre Nation sur un socle de culture et d’idées. Il a fait de nos institutions culturelles des instruments au service du rayonnement de notre pays et de la promotion de son art de vivre. La culture a également été un puissant facteur économique pour un pays autrefois dépourvu de ressources naturelles.

Il est spectaculaire de constater que la plus grande Biennale d’Afrique reste Dak’Art, alors que le pays ne dispose toujours pas de musée d’art contemporain. A l’image d’Aminata Ba, qui joue divinement les Contes de Strauss de la forêt viennoise lors d’une ordinaire soirée à Dakar, le Sénégal est un pays de miracles. En attendant, nous vivons, surtout culturellement, des revenus du poète-président. Cela nous dispense-t-il de faire mieux ?
Par Hamidou ANNE – [email protected]

 
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