Se découvrir séropositif : il y a à peine trente ans, en France, ce diagnostic était synonyme de condamnation à mort. Puis sont arrivés les traitements curatifs – qui évitent la transmission du virus – et les préventifs, améliorant les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH. Et si, aujourd’hui, la peur du virus s’est nettement estompée, malgré la progression de l’épidémie ces trois dernières années, les idées reçues sont encore bien présentes. Selon une enquête de l’association Aides, qui fête cet automne ses 40 ans, plus des trois quarts des Français pensent par exemple qu’il est possible d’être infecté en ayant des rapports sexuels non protégés avec une personne séropositive sous traitement. . , ce qui est faux. Illustration d’une attitude sérophobe, conséquence d’une mauvaise information : moins de la moitié des personnes interrogées continueraient à voir une personne avec laquelle elles ont eu des relations sexuelles si elles apprenaient qu’elle est séropositive. Comment, dans ce contexte, construire et vivre sa sexualité lorsqu’on est séropositif et qu’on a moins de 35 ans ? Et comment des préjugés tenaces perturbent-ils encore la vie privée des premiers concernés ?
Ahmed (1), 29 ans, technicien médical à Marseille
« J’ai découvert que j’étais séropositive quand j’avais 18 ans. Cependant, je vis toujours avec mes parents, donc je dois cacher les trois pilules que je dois prendre par jour même si ce sont d’énormes boîtes. J’ai zéro libido, je me sens sale, voire dangereux. Je ne sais pas encore que, lorsqu’on est sous traitement et qu’on est indétectable, on ne transmet plus le virus. Pendant quatre ou cinq mois, je n’ai eu aucune sexualité. Je passe d’un adolescent nouvellement découvert qui baise tout le temps à un gars qui vit avec une extrême culpabilité. Je suis redevenue sexuellement active quelques mois plus tard. Je suis dans l’état d’esprit de n’en parler qu’à la personne avec qui je vais partager ma vie, mais pas aux partenaires de passage. A 21 ans par exemple, j’ai eu ma première relation sérieuse, ça a duré un peu. Je le dis et ça se passe bien, comme toujours après. Malgré tout, aujourd’hui, la peur du rejet est toujours là. J’en parle ouvertement à mes amis, mais toujours pas à ma famille ni à mon travail. Dans le monde médical, il y a aussi encore beaucoup de discours sérophobes… Sinon, je le vis bien, je suis passé de trois comprimés par jour à une injection dans les fesses tous les deux mois, ça ne me définit plus.
Mariama (1), 34 ans, aide à domicile en région parisienne
« En septembre 2023, je suis depuis un an sur le territoire français pour demander l’asile. J’ai l’habitude de me faire tester, alors je fais un autre contrôle de routine dans un laboratoire. C’est là que j’ai découvert ma séropositivité. En ce moment, c’est vraiment difficile, je n’y crois pas et je n’accepte pas ce diagnostic. C’est comme si j’étais dans un trou noir. Je ne me retrouve plus, je veux en finir. Je suis pris en charge, mais j’ai des difficultés à suivre mes traitements. Au bout de quelques mois, je commence à accepter mon statut, disons à 50 %. Je suis soutenu par des associations comme Actions Stratégies, ça me remonte le moral. Mais je me sens incroyablement stressé lorsque je dois passer deux jours avec ma famille. Ils ont l’habitude de vivre des choses et j’ai peur qu’ils découvrent que je vis avec le VIH. Je ne prends donc pas les médicaments avec moi, car ils pourraient aller à la pharmacie pour le savoir. Le secret est aussi une manière de protéger mon enfant. Je me dis qu’il est temps que ça m’aide. Cela fait à peine un an. Aujourd’hui, je prends bien mon traitement, c’est déjà une grande étape pour moi.
Alex (1), 26 ans, en marketing à Paris
« Il y a cinq ans, j’ai contracté le VIH alors que j’étais en échange à l’étranger pour mes études. Je pense immédiatement que c’est la fin. En morale, le sida est sale, dangereux, associé à la mort, etc. C’est un effondrement. Je l’ai tout de suite raconté à mon compagnon que j’y ai rencontré et qui est aujourd’hui mon mari. Au début, les choses se passent mal, car il est persuadé qu’il est lui aussi porteur du virus. Il est dévasté, mais après une batterie de tests, il est bel et bien séronégatif. Il décide de se battre avec moi, me suit en France et nous remontons ensemble. J’en parle à mes sœurs, mais il me faut au moins deux ans pour en parler à mes amis. C’est comme ressortir. Une fois que je l’ai dit, je me suis senti super bien et soulagé. Quand le sujet revient le soir, désormais, j’en discute librement. Surtout, je me rends compte que nous ne sommes pas assez informés. Depuis que j’en parle, les gens me posent des questions. On voit que je vis très bien et que je suis comme tout le monde.
Sophie, 35 ans, mère au foyer dans la région de Genève (Suisse)
« J’ai été contaminé par une seringue à l’hôpital au cours de ma première année de vie en Roumanie. Après mon adoption, je suis arrivée en Suisse. Mes parents me parlent du virus dans un langage enfantin. On me dit qu’il faut aider les petits soldats de sang. En 1998, la Conférence internationale sur le sida s’est tenue à Genève. J’ai 8 ans. Je découvre que je ne suis pas seule et je comprends alors ce que signifie être séropositif. Lorsque j’ai rencontré mon partenaire, il y a onze ans, il a lui aussi été soudainement catapulté dans le monde du VIH le jour où un préservatif s’est brisé. A cette époque, ma charge virale n’était toujours pas indétectable. Lorsque ma virémie est devenue virémique quelques années plus tard, nous avons décidé d’avoir un enfant. Je peux enfin avoir des relations sexuelles non protégées. C’est la première fois que le virus n’a plus le contrôle sur ma vie. Cela me fait vraiment du bien. La grossesse se passe bien. Je peux allaiter pendant un moment. C’est la dernière interdiction symbolique qui tombe. Quand, deux ans plus tard, en pleine pandémie, on reçoit les résultats négatifs pour notre bébé, on met le champagne : avoir un enfant en bonne santé est une belle revanche sur la vie. La morale est qu’être indétectable offre une grande liberté et enlève un fardeau.
Tommy, 30 ans, danseur professionnel entre la Suisse Romande et Barcelone (Espagne)
“Quand j’ai appris ma séropositivité, à l’été 2022, j’avais en tête des images de la fin des années 1980, ces corps fébriles et fragiles qu’on voyait beaucoup dans des séries ou des films comme 120 battements par minute. Je commence à avoir peur d’être le malade de la famille, d’autant plus qu’en Suisse, la santé coûte très cher. S’en est suivi un été de dépression totale, avec des idées suicidaires, même si j’avais le soutien de ma famille proche. J’ai d’ailleurs reçu ce diagnostic en pleine épidémie de mpox, à l’heure où on parle constamment de contamination entre hommes à la télé… Je ne sais pas si je dois en parler ou à qui. Je choisis quand même de le raconter à quelques amis parisiens très ouverts sur leur vie sexuelle, et ça me fait du bien de ne pas me sentir jugée sur mes actes. J’ai ensuite repris le dessus grâce à mon psychologue, également homosexuel et séropositif. J’apprends la notion de sphère privée et aussi comment me libérer de la culpabilité. Mais il me faut du temps pour me redécouvrir sexuellement, me réapproprier mon désir, même me dire que j’ai le droit d’avoir du désir. Aujourd’hui, la plupart de mes amis proches le savent et je le prends bien, même avec ironie, tout en évitant de romantiser la chose. Je suis juste asymptomatique d’une infection.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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