Lorsqu’il s’agit de pénuries ou de difficultés d’approvisionnement en médicaments, cela ne concerne presque toujours que les spécialités prescrites et délivrées quotidiennement. Des médicaments matures, tombés dans le domaine public et dont le prix est très bas. “Au cours de la dernière décennie, une moyenne de 950 millions d’euros d’économies de réduction de prix par an a été imposée sur les médicaments matures, ce qui est considérable”, rappelle Éric Baseilhac, président de l’Association pour le bon usage du médicament (ABUM), directeur des affaires économiques et internationales du Leem (Entreprises du médicament) et membre de l’Académie de pharmacie. Ce prix a une fonction régulatrice et c’est le deuxième levier par lequel on cherche aujourd’hui à réaliser des économies sur les dépenses en médicaments, après les remises et avant l’entrée en jeu de la clause de sauvegarde. Agir sur les volumes, bien qu’il s’agisse d’un enjeu extrêmement important, est aujourd’hui le parent pauvre de cette régulation. » résume-t-il lors de la session bi-académique (Médecine, Pharmacie)*, organisée le 20 novembre. Lors de la même séance, Jean-Patrick Sales, vice-président du Comité économique des produits de santé (CEPS), a prévenu : « Si l’on veut que les réductions de prix sur les médicaments matures prennent de l’ampleur en termes de durabilité, elles devront être étendues aux produits moins matures. »
Cependant, cette obsession française de baisse de prix, régulièrement dénoncée par les constructeurs comme par les représentants des professionnels de santé, semble aujourd’hui avoir atteint ses limites. « Ce mécanisme de régulation des prix est désormais dépassé, Juge Éric Baseilhac. Pendant des années, l’innovation a été financée par la régulation des prix des produits matures et la perte des brevets. Cela a très bien fonctionné pendant des années, mais plus maintenant. Il n’est plus efficace depuis 2014, année de l’arrivée de nouveaux traitements contre l’hépatite C, un événement qui inaugure une dynamique historique de retour à l’innovation pharmaceutique, avec la production de nouvelles molécules. analyse le président de l’ABUM. Comme le constate Éric Baseilhac, cette politique a aujourd’hui des effets délétères, tant en termes d’approvisionnement qu’en termes de souveraineté. Il est temps d’utiliser d’autres méthodes pour réguler durablement le prix des médicaments : « des hausses et non plus des baisses des prix, une réflexion sur la mise en place de prix planchers, mais aussi des modes d’épargne alternatifs, notamment le bon usage et la prévention », suggère-t-il.
Du côté industriel, plusieurs autres facteurs, outre les politiques de régulation des prix des médicaments, expliquent pourquoi la production pharmaceutique française et européenne est en difficulté. Des causes que Philippe Truelle, vice-président de l’Association des laboratoires et industries de santé (AMLIS), tente d’identifier. « La pandémie de Covid-19 a contraint les industriels à produire rapidement des vaccins au détriment des autres produits, même si la situation tend à revenir à la normale. Nous avons un problème de main d’œuvre avec une industrie pharmaceutique qui a du mal à attirer. Il faut faire face à la flambée des coûts de l’énergie, multipliés par 3 entre 2021 et 2023, aux contraintes sécuritaires et environnementales qui ne sont pas les mêmes ici en Europe qu’ailleurs, à l’augmentation de la clause de sauvegarde… Nous sommes face à un défi de taille et nous ne ferons que le Nous pourrons y parvenir si nous nous coordonnons au niveau européen », il juge.
Protectionnisme, compétitivité ou les deux ?
Preuve du déclin du Vieux Contain en termes de production pharmaceutique : « Les fabricants de principes actifs en Europe disparaissent. La chute est vertigineuse, il y a un désinvestissement massif, alerte Vincent Touraille, président du syndicat des industries de la chimie fine et des biotechnologies (SICOS). Un circuit court d’actifs est le meilleur moyen d’éviter les pénuries. En 2014, l’Europe produisait 48 % des principes actifs mondiaux, ce taux est passé à 30 % en 2023 et il diminue chaque jour. se lamente-t-il.
Si ce tableau n’est pas encourageant, il faudra chercher des solutions pour favoriser la délocalisation de la production de médicaments en Europe, insiste Éric Baseilhac. « Il faut trouver un modèle économique. Soit on suppose un modèle, en Europe, avec une production plus chère et donc des prix plus élevés, ce qui nécessiterait alors un modèle protectionniste. Soit on essaie de jouer le rôle de compétitivité, à travers l’innovation technologique dans la production, pour tenter de rivaliser avec des pays comme la Chine ou l’Inde. » Protectionnisme ou compétitivité, si elle veut remettre les choses sur les rails, l’Europe ne devra peut-être pas se contenter de choisir l’une de ces deux options. “Il faut absolument avoir les deux côtés, nous n’avons pas d’autre solution” » déclare Bruno Bonnemain, président d’honneur de l’Académie de pharmacie.
Le prix de l’innovation ou de l’espoir ?
Se pose également la question du prix des médicaments innovants, qui pèse de plus en plus sur les dépenses de santé. « La part des médicaments innovants, c’est-à-dire ceux qui présentent une forte amélioration du service médical rendu (ASMR entre I et III), est passée de 20 % des dépenses en 2017 à 26 % en 2022 », a observé Thomas Fatôme, directeur général de la caisse nationale d’assurance maladie lors de la présentation des chiffres de remboursement des médicaments le 14 novembre. Une dynamique d’innovation à relativiser avec la baisse des dépenses liées aux médicaments anciens (AMM avant 2004) ou aux génériques : de 53% en 2017, ils représentent 41% des montants de médicaments remboursés en 2022. Ceci s’explique par un prix (les médicaments innovants sont plus chers), un effet volume (vieillissement de la population et chronicisation des traitements) et surtout un effet structurel avec l’écart croissant des prescriptions médicales vers les médicaments les plus récents et les plus chers. Les médicaments innovants et coûteux que les pharmacies voient arriver de plus en plus dans les pharmacies, mais qui grignotent leurs marges.
Derrière le prix du médicament innovant, “L’industriel a trois idées en tête, explains Éric Baseilhac: amortir les coûts de recherche et développement, financer les coûts de production, investir dans l’innovation pour que les progrès thérapeutiques puissent se poursuivre. » Cependant, le coût de chaque article est bien plus élevé pour les biothérapies que pour les médicaments chimiques traditionnels. “Quand on a un taux global de réussite de développement de 11%, on peut imaginer la somme d’argent qu’il faut investir initialement pour produire un médicament qui sera commercialisé”, résume l’industriel.
Mais que paye-t-on au final ? « Un complément santé, grossièrement évalué via ASMR, répond le vice-président du CEPS. Peut-être faudrait-il l’affiner avec des données médico-économiques ? C’est en développement. » Pour le professeur Gilles Bouvenot de l’Académie nationale de médecine : « Nous payons bien trop cher pour l’espoir, plus que pour des résultats concrets. De nombreuses autorisations de mise sur le marché accordées tant outre-Atlantique qu’en Europe font que X années plus tard, et dans près de 50 % des cas, il n’a pas été possible de réellement démontrer l’efficacité du produit. »
Penser à de nouveaux modèles
«La nation veut aussi un retour sur investissement» souligne Francis Megerlin, professeur de sciences pharmaceutiques et autres produits de santé à l’Université de Strasbourg et membre de l’Académie nationale de pharmacie. Les nouvelles approches contractuelles post-AMM visent à partager les risques économiques entre l’organisme payeur et l’industrie, et s’appuient sur des données réelles : « Satisfait ou remboursé » ; « Paiement en cas de succès », doctrine italienne qui consiste à avancer les produits en nature et s’ils sont efficaces, l’acheteur paie le fabricant ; « Paiement en réussite », soutenu par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, énumère l’académicien. Pour ce dernier, « l’unité de compte est de 1 million d’euros, continue-t-il. Le prix se justifie par les formes d’économies attendues qui résulteraient de l’accumulation des coûts nécessaires à la prise en charge du patient jusqu’à la fin de sa vie. Mais comment allons-nous faire ? Les paiements seront étalés et nous payons tant que cela fonctionne. »
Plus simple, « depuis 2022, la loi permet de favoriser l’ancrage local en revalorisant le prix fixé par la sécurité sociale, mais cette revalorisation n’est toujours pas pratiquée », a rappelé Isabelle Van Rycke, présidente-directrice générale de l’UPSA, dans la presse. Son laboratoire a cependant conclu avec le gouvernement un gel des prix pour deux ans sur ses spécialités à base de paracétamol, Dafalgan et EfferalganMed, alors qu’il se lance dans la production en France de deux médicaments essentiels, non encore définis. UN accord pour le moins sans précédent.
*« Trop cher ou pas assez cher : le prix des médicaments en question »
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