Enfin ! Gaspard Koenig, qui fut le malheureux finaliste de plusieurs grands prix d’automne pour Humus (Editions de L’Observatoire), notamment les prix Goncourt et Renaudot, vient de recevoir les prix Interallié et Jean Giono. Juste un retour pour un livre cinglant et satirique, qui raconte l’épopée pro-écologiste de deux amis agronomes, qui commence en trombe et se termine par un désastre post-capitaliste. C’est féroce, lâche et tellement pertinent ! L’enfer est pavé de bonnes intentions, surtout en ces temps, et l’écologie n’est pas exempte de contradictions.
Traverser Montaigne pour penser le monde contemporain
Gaspard Koenig est un auteur iconoclaste. Jamais là où on l’attend, mais toujours là, quand il s’agit de faire vibrer l’esprit de liberté de ses lecteurs. Lire un de ses textes, c’est comme faire respirer son esprit et ouvrir ses neurones. Gaspard Koenig n’est pas philosophe pour rien. Son goût pour Montaigne, qu’il avait exprimé dans : Notre liberté d’errance : Chevaucher sur les traces de Montaigne, nous avait déjà non seulement séduit, mais aussi fait sortir de la grotte (de Platon). Avec la fraîcheur des idées inédites, Gaspard Koenig nous enchante tout autant avec son dernier, Humus, qui prend à rebours les idées vertes d’aujourd’hui.
L’odyssée des vers de terre
Les héros de son roman ? Vers de terre. Ou plutôt deux étudiants d’AgroParisTech qui se lient d’amitié après avoir assisté à une conférence intitulée Avancées et enjeux de la géodrilologie. Qu’est-ce que la géodrilologie ? La science des vers de terre. D’où nos jeunes Bouvard et Pécuchet de la recherche agronomique découvrent l’aventure fascinante de ces créatures, menacées d’extinction à cause des pesticides, alors que cette armée d’ombres, que l’on foule sous nos pieds sans les voir, est fondamentale à la survie de nos sols.
Des idées inutilisées d’Henry David Thureau aux tournages de la Silicon Valley
Kevin et Arthur, les deux étudiants en agronomie imaginés par Gaspard Koenig, refusent le défaitisme : ils ont pour ambition de changer le monde. Bien sûr, la ruse de la raison écologique va les engloutir malgré leurs beaux projets.
Kevin, fils d’ouvriers agricoles du Limousin, décide de lancer une start-up de lombricompostage. Hélas, la course aux profits et aux investissements va vite le rattraper. Quant à Arthur, enfant de la bourgeoisie, inspiré par les idées d’Henry David Thoreau, il souhaite réenraciner les campagnes et régénérer les terres familiales ruinées par les pesticides. Mais il se heurtera à la dure réalité de l’administration.
Des campagnes françaises à la Silicon Valley, des arrière-cours anarchistes aux antichambres du pouvoir, Gaspard Koenig raconte les combats de ces nouveaux chevaliers de la terre. Sa connaissance des milieux politiques et administratifs lui permet de livrer un portrait très convaincant des mondes auxquels se trouvent confrontés les deux amis.
Des grands espoirs aux illusions perdues
L’histoire avance à vive allure. C’est aussi brillant qu’amusant – et dérangeant. Gaspard Koenig possède l’art du rythme. Il est heureux que son livre aborde le sujet de l’agriculture avec conviction. Une réalité qui dépasse la fiction, quand on voit la récente autorisation de Bruxelles d’étendre l’usage du glyphosate, un pesticide reconnu comme toxique pour l’homme et la biodiversité. Gaspard Koenig nous ferait-il sombrer dans le pessimisme ? Au contraire. Ses héros ouvrent la voie.
Mieux qu’un manifeste politique, et a fortiori, qu’un énième livre de science-fiction ou une dystopie sur le déclin de la nature, Humus plante les pieds dans la terre et ouvre la voie. Gaspard Koenig défie la réalité, dans la veine de Flaubert, qui aurait rencontré la noirceur ironique de Michel Houellebecq. En vert et contre toute dérive polluante, l’Humus est une belle plante qui place enfin l’écologie là où elle doit être : un combat pour la vie et la liberté.
Gaspard Koenig, Humus, Editions de l’Observatoire, 379 pages, 22 euros
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