Le 13 septembre 2024, le Professeur Jean-Christophe Bernhard, chef de l’activité de chirurgie robotique du service d’Urologie du CHU de Bordeaux, assisté du Dr Gaëlle Margue, a réalisé une néphrectomie totale avec thrombectomie cave, une intervention complexe et assistée. par la robotique et guidé par la réalité augmentée. Cette opération a été retransmise en direct du CHU jusqu’au Palais des Congrès de Bordeaux lors du Congrès Européen de Chirurgie Robotique Urologique (ERUS), un événement qui a réuni plus d’un millier de participants venus du monde entier. Le professeur Bernhard évoque cette avancée technologique qui, selon lui, devrait à terme devenir « la norme de soins » pour les interventions chirurgicales.
Pouvez-vous nous parler des origines de ce projet ?
Ce projet s’inscrit dans un programme plus large, le RHU Urologie Numérique 3D (Recherche Hospitalo-Universitaire en Santé), financé par le gouvernement dans le cadre des investissements d’avenir, via l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Ce programme s’inscrit dans le cadre des initiatives nationales de la stratégie France 2030. Dans ce cadre, nous avons formé un consortium avec plusieurs partenaires académiques (CHU de Grenoble, CNRS, Université et IUT de Bordeaux) et privés (Fujifilm France, SurgAr, Rescoll, Sophia Genetics). L’objectif est de développer et d’évaluer l’utilisation de technologies tridimensionnelles pour améliorer la chirurgie rénale, notamment dans le traitement du cancer du rein.
L’une des innovations majeures de ce projet est l’intégration des technologies de réalité virtuelle et augmentée dans la chirurgie robotique. Nous avons travaillé avec nos partenaires SurgAR et Fujifilm sur la création de jumeaux numériques du patient à partir d’imageries préopératoires (TDM, IRM), afin de les superposer en - réel sur l’image que voit le chirurgien lors de l’intervention.
Concrètement pour le chirurgien au moment de l’opération, en quoi cette technologie de réalité augmentée et virtuelle lui sert-elle ?
Lorsque nous pratiquons une chirurgie assistée par robot, nous opérons via une caméra qui nous permet de visualiser l’intérieur du corps du patient. Ce flux d’images est ensuite capturé en - réel et traité par un ordinateur dédié. Cet ordinateur va recalibrer le modèle 3D du patient, son « jumeau numérique », pour l’intégrer à la vue réelle de l’opération. Le modèle 3D, créé à partir d’images préopératoires telles que les scanners, se superpose donc à la vue peropératoire en - réel. L’image ainsi enregistrée est renvoyée vers la console du robot chirurgical, ce qui permet au chirurgien de visualiser cette superposition pendant l’opération.
Les travaux de recherche et développement se sont concentrés sur cette phase d’ajustement en - réel, car celui-ci doit se faire en quelques millisecondes, sans délai, pour que le chirurgien puisse réaliser ses gestes de manière fluide et précise. C’est cet enregistrement automatique qui rend possible l’intégration de la réalité augmentée en chirurgie. Il permet d’aller au-delà de la réalité virtuelle, où le chirurgien voit le modèle 3D à côté de l’image de l’opération, en passant à la réalité augmentée, où les deux images sont fusionnées en une seule vue. Cela donne au chirurgien une vue d’ensemble beaucoup plus détaillée et précise de l’anatomie du patient pendant l’opération, ce qui vise à réduire le risque d’erreur et à améliorer la qualité de la procédure.
Complémentaire de l’échographie peropératoire dans cette phase de développement, elle pourrait à terme la supplanter. En effet, l’échographie peropératoire consiste à insérer une sonde dans le corps du patient pour visualiser en - réel la position du thrombus à travers la paroi vasculaire. Cette méthode est aujourd’hui incontournable, mais elle présente des limites en termes d’apprentissage, de disponibilité du matériel et de -. En superposant directement le modèle 3D du patient sur la vue réelle de l’opération, le chirurgien peut voir instantanément où se trouvent les structures critiques, comme le thrombus dans la veine cave.
C’est un peu comme un GPS chirurgical pour faire une analogie routière. Par exemple, en voiture, votre GPS vous guide sur l’itinéraire le plus avantageux et vous l’indique sur une carte, qui correspond à la réalité virtuelle. Avec la réalité augmentée, les informations GPS s’affichent directement sur votre pare-brise, en superposition, vous indiquant le chemin à suivre, comme tourner à gauche par exemple.
Le 13 septembre a-t-il été la première opération avec ce dispositif ?
Nous avions déjà réalisé plusieurs dizaines de tests avant cette démonstration en direct. Du 11 au 13 septembre, nous avons co-organisé le Congrès Européen de Chirurgie Urologique Robotique (ERUS) à Bordeaux, qui a réuni plus d’un millier de participants venus du monde entier. Il s’agissait du plus grand congrès international de robotique. Dans le cadre de ce congrès, il est de tradition de réaliser des interventions chirurgicales en direct. Cela signifie que nous opérons dans notre bloc opératoire et que l’intervention est retransmise en direct.
Cette opération était donc retransmise en direct au Palais des Congrès de Bordeaux et elle présentait plusieurs particularités. Le patient opéré avait une tumeur au rein avec envahissement de la veine cave, qui est le plus gros vaisseau sanguin du corps, chargé de ramener tout le sang des organes vers le cœur. Dans certains cas, lorsque la tumeur rénale est suffisamment développée, elle se propage par voie vasculaire, d’abord dans la veine rénale puis dans la veine cave. Dans ce cas, la chirurgie consiste à interrompre la circulation sanguine, ouvrir la veine cave, retirer le thrombus tumoral, c’est-à-dire l’extension de la tumeur dans le vaisseau, puis reconstruire la veine cave. Pour y parvenir, il est crucial de connaître précisément les limites du thrombus dans le vaisseau. Cependant, lors de l’opération, la veine cave n’est pas transparente et il est impossible de voir directement ce qu’elle contient.
Il s’agissait donc, en raison de l’invasion de la veine cave, d’une intervention complexe rarement réalisée, et par peu d’équipes dans le monde, par approche robotisée. Habituellement, ce type de chirurgie est réalisé par une approche ouverte. La première complexité résidait donc dans la réalisation de cette opération de manière mini-invasive avec assistance robotisée.
L’ajout de l’assistance de la technologie de réalité augmentée, fruit de notre travail de développement avec l’équipe SurgAR, était sans précédent. L’avantage de la réalité augmentée, dans ce cas, est qu’elle permet de superposer le « jumeau numérique » du patient à l’image de la veine cave. En simulant la transparence, cela nous a permis de visualiser les limites du thrombus, qui indiquaient précisément où interrompre la circulation, clamper le vaisseau et l’ouvrir pour retirer le thrombus.
Cette technologie influence-t-elle l’appréhension des patients face à l’opération ?
La question de l’expérience patient est typiquement un sujet que nous explorons dans le cadre de notre RHU. Dans le programme Kidney Cancer Innovation, I.CaRe Bordeaux, nous avons un axe où nous évaluons l’impact que peuvent avoir ces technologies 3D sur la compréhension par les patients de leur maladie, sur l’acceptation de la maladie, sur la compréhension de la technique chirurgicale proposée, sur anxiété préopératoire, etc.
Nous avons donc des essais cliniques en cours où, justement, on compare de manière randomisée (c’est-à-dire par tirage au sort) deux ou trois groupes de patients, selon les essais. Nous comparons une information standard – c’est-à-dire lorsque nous expliquons au patient, sur la base du scanner, ce qui lui arrive et ce que nous envisageons de faire d’un point de vue chirurgical – à une explication basée sur un modèle 3D, soit virtuelle, soit physique, grâce à la technologie d’impression 3D.
Et les premiers résultats sont très prometteurs. On observe que lorsque l’on utilise ces technologies tridimensionnelles, la compréhension des patients passe de plus de 16% à plus de 52%.
Cette technologie sera-t-elle utilisée dans d’autres types de chirurgie à l’avenir ?
Absolument. Même si nous concentrons actuellement nos efforts sur la chirurgie rénale, les applications de cette technologie s’étendent à d’autres spécialités chirurgicales. Par exemple, en chirurgie thoracique, où les tumeurs du poumon sont souvent difficiles à localiser avec précision, ou en chirurgie hépatique pour les tumeurs du foie ou encore en chirurgie gynécologique. Les techniques de réalité augmentée sont particulièrement adaptées aux interventions chirurgicales où la fonction d’un organe doit être préservée lors de l’ablation d’une tumeur.
Cette technologie rend la chirurgie plus personnalisée, car chaque patient a une anatomie unique. On sait par exemple qu’un patient sur deux peut présenter une variation dans son anatomie vasculaire. Cela peut nécessiter des adaptations dans la manière de fonctionner. La réalité augmentée permet de mieux comprendre cette variabilité et de planifier l’intervention en conséquence.
Comment voyez-vous l’avenir de la chirurgie assistée par réalité augmentée dans les années à venir ?
Je pense que cela deviendra la norme de soins. Il s’agit aujourd’hui d’une innovation et d’une technologie en cours de recherche et développement, un peu comme l’était la robotique chirurgicale il y a une vingtaine d’années. À l’époque, c’était une avancée majeure, et aujourd’hui c’est presque devenu la norme. De même, je suis convaincu que ces nouvelles technologies se généraliseront dans le futur.
Bien entendu, il reste des impératifs à satisfaire : fiabiliser la technique, maîtriser ses usages, garantir la robustesse et la fiabilité des informations fournies. Cela nécessite encore plusieurs étapes de recherche et de développement. Mais à l’avenir, à mon avis, la réalité virtuelle sera le minimum, et la réalité augmentée sera la prochaine étape.