Imaginez, à gauche de l’écran, le film en noir et blanc des jeunes Philippe et Édouard boitant sur leurs jambes déformées par la dystrophie musculaire de Duchenne. Et, à droite, la vidéo couleur du petit Sacha, 8 ans, montant un escalier en courant quelques mois après un traitement reçu en septembre 2022 contre cette même maladie génétique qui provoque une dégénérescence progressive de tous les muscles.
Ces deux séquences ont été captées par des mères de combat : la première, au milieu des années 1970, par Yolaine de Kepper, fondatrice de l’association française contre les myopathies (AFM) ; la seconde, en 2024, par Hélène, qui fera avec son mari Édouard l’une des « familles ambassadrices » invitées à démontrer les progrès réalisés en thérapie génique lors du 38e édition du Téléthon, les 29 et 30 novembre.
Un principe simple, sur papier
On entend surtout parler de cette technique médicale et des espoirs qu’elle suscite lors de ce marathon télévisé, destiné à récolter les dons du public pour financer la recherche. Mais qu’est-ce que c’est exactement ? « Sur le papier, le principe est simple : il s’agit de lutter contre les maladies génétiques grâce aux gènes »débute le docteur Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon.
Un gène est l’unité de base des 23 paires de chromosomes que l’on retrouve dans le noyau de nos cellules et qui forment l’ADN, cette molécule à double hélice qui contient notre patrimoine héréditaire. Les gènes conditionnent nos caractéristiques physiques et délivrent le « code » qui permet à la cellule de « fabriquer » les protéines nécessaires au fonctionnement de l’organisme.
« Sauf qu’il peut arriver qu’un ou plusieurs gènes – sur les 21 000 que compte chaque cellule – soient défectueux à la suite d’une mutation, qui provoque une maladie. D’où l’idée de fournir un gène sain qui fera le travail du gène mutant”résume le docteur Braun. « Le concept a été établi dans les années 1970, restait à développer les outils pour le mettre en œuvre. Il faudra attendre une trentaine d’années avant d’obtenir les premiers résultats cliniques encourageants.continue-t-il.
Virus comme le « cheval de Troie »
Le premier défi a été de trouver un « vecteur » capable d’apporter le gène de réparation au patient. Pour ce faire, les chercheurs ont pensé à des virus, 100 à 1000 fois plus petits que nos cellules et qui possèdent les « clés » pour y pénétrer. « Les plus couramment utilisés sont les lentivirus, une famille qui comprend le SIDA, et les adénovirus associés (AAV) du type qui transmet le rhume. Virus que nous avons pris soin, au préalable, de rendre inoffensif »précise Serge Braun.
Pour introduire ce « cheval de Troie » dans l’organisme, plusieurs procédés existent. La première consiste à prélever des cellules sur le patient puis à les cultiver (ex vivo) au contact des virus qui vont délivrer le gène médicamenteux pour qu’il s’intègre dans leur génome. Les cellules modifiées sont ensuite réinjectées au patient. C’est la technique utilisée au début des années 2000 par les professeurs Alain Fischer, Marina Cavazzana et Salima Hacein-Bey-Abina, pionniers français de la thérapie génique, pour soigner des « bébés bulles » qui souffraient d’un déficit immunitaire inné. .
Une autre façon de procéder consiste à injecter directement (vivant) vecteurs dans le corps. C’est le traitement utilisé avec succès depuis 2020 contre l’amyotrophie spinale infantile, une maladie rare qui touche les motoneurones et dont la forme grave entraîne la mort avant l’âge de deux ans.
Des résultats spectaculaires
Cette même technique a été utilisée pour soigner le jeune Sacha, diagnostiqué atteint de dystrophie musculaire de Duchenne, et qui fait partie des cinq jeunes patients inclus dans l’essai clinique lancé en 2021 par le laboratoire Généthon. « Avec cette difficulté supplémentaire qu’il a fallu créer une version raccourcie du gène du médicament pour le faire pénétrer dans le virus et ajouter un « promoteur » afin qu’il puisse, une fois délivré par la circulation sanguine dans les muscles et le cœur – en un seul passage. dose mais plus d’un million de milliards de copies – produisent des quantités suffisantes de dystrophine, cette protéine essentielle à leur fonctionnement »explique le docteur Braun.
Et les résultats sont encore une fois spectaculaires, comme en témoignent les données publiées et la vitalité retrouvée de Sacha 18 mois après le traitement. “On profite de ce qui nous est proposé mais on n’oublie pas ceux qui attendent encore”dit sobrement Hélène, sa mère.
Une manière de souligner qu’il reste encore beaucoup à faire. D’abord parce qu’il existe à ce jour plus de 7 000 maladies génétiques, le plus souvent rares et dont les causes et les effets sont extrêmement variables, ce qui ouvre un immense champ de recherche. Ensuite parce que les processus thérapeutiques eux-mêmes restent à consolider.
Quand l’accès sera-t-il accessible au plus grand nombre ?
Les recherches sur la technique dite de « chirurgie génique » illustrent l’ampleur des défis qui restent à relever. « Cela consiste, non pas à fournir un gène sain, mais à réparer le gène défectueux en supprimant la partie qui correspond à la mutation pour la remplacer par la bonne séquence »explique Marina Cavazzana, professeur d’hématologie et chef du service de biothérapie à l’hôpital Necker à Paris.
Pour ce faire, nous utilisons des « ciseaux moléculaires », un outil révolutionnaire développé en 2012 et qui a valu à la Française Emmanuelle Charpentier le prix Nobel en 2020. Le problème est que les premiers essais sur les maladies du sang ont eu des résultats mitigés. “Ces ciseaux fonctionnent plutôt bien pour inactiver une séquence mais la réparation exacte d’une mutation nécessite encore des améliorations”précise le professeur Cavazzana.
L’autre grand enjeu concerne l’éthique. « Compte tenu du coût élevé de ces traitements – actuellement entre 2 et 3 millions d’euros par injection – se pose la question de leur accès au plus grand nombre. Ce coût est-il justifié ? Si tel est le cas, il y aura certainement une sélection. A moins que les sociétés pharmaceutiques ne jouent le jeu, ce qui est peu probable car leur modèle économique est basé sur le profit.s’inquiète le généticien Patrick Gaudray, ancien directeur de recherche au CNRS.
« La critique est facile mais l’art de l’innovation est difficile. Pour l’accompagner, il faudrait un changement complet du modèle économique de soins par les autorités sanitaires »fait valoir Valérie Rizzi-Puechal, directrice de l’unité maladies rares chez Pfizer. Impliqué dans ce domaine depuis trente ans, le laboratoire américain a développé trois thérapies géniques : la première, sans succès, contre la dystrophie musculaire de Duchenne, les deux autres contre l’hémophilie.
Un combat qui profite à tous les patients
« Notre traitement contre la forme dite B est déjà commercialisé en Amérique du Nord et a reçu en juillet une autorisation de mise sur le marché de l’Agence européenne des médicaments. Nous attendons les résultats complets de l’essai mené sur le traitement de l’hémophilie A, mais les premiers retours sont prometteurs »dit-elle.
Un investissement dont le montant est tenu secret mais qui pourrait être remboursé car les thérapies géniques développées à l’origine pour des maladies génétiques rares peuvent aussi être utilisées, par extension, pour traiter des pathologies plus classiques : cancers, maladies cardiovasculaires ou infections. “C’est le cas de la moitié des 40 médicaments autorisés ces dernières années”souligne le docteur Serge Braun.
Un argument qui fait partie des bonnes raisons de mobiliser avancées par Laurence Tiennot-Herment, la présidente de l’AFM-Téléthon. « Les thérapies géniques fonctionnent, et ce combat pour la recherche profite à tous, assure-t-elle. Mais pour continuer cette belle aventure commencée en 1987, il faut des moyens. » Le grand public répondra-t-il à cet appel ? En 2023, la collecte des dons a rapporté 92 905 533 €.
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Les combats AFM-Téléthon
1958. Fondation de l’Association française des myopathies (AFM) par Yolaine de Kepper, mère de sept enfants dont quatre atteints de myopathie de Duchenne, et des familles mobilisées pour faire reconnaître les maladies neuromusculaires.
1981. L’AFM crée son premier conseil scientifique, début d’un partenariat inédit entre patients, chercheurs et médecins.
1986. Découverte du gène responsable de la dystrophie musculaire de Duchenne. L’AFM place la recherche génétique au cœur de son action.
1987. Lancement, en France, du premier Téléthon. Les dons financeront Généthon, un laboratoire dédié au décryptage du génome humain et à la thérapie génique pour les maladies rares.
2000. Premier succès de thérapie génique pour les « bébés bulles » par l’équipe du Professeur Alain Fischer avec le soutien du Téléthon.
2024. L’AFM-Téléthon soutient financièrement 350 programmes de recherche et 40 essais cliniques en cours ou à venir pour 33 maladies.