Ceux que nous ne voyons pas – .

Ceux que nous ne voyons pas – .
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Francia, alias pour ses clients, est une grande trans métisse née Rubén, en Colombie, et qui a déménagé à Paris peu après sa transition.

Elle fait partie des vétérans parmi les femmes trans latino-américaines qui se prostituent au Bois de Boulogne. Depuis l’adoption de la loi française pénalisant les clients, ils sont contraints de s’enfoncer encore plus loin dans les bois pour continuer à les recevoir, mettant ainsi en danger leur propre sécurité.

En prologue du roman, Nancy Huston se demande de quel droit elle a le droit de se glisser dans la peau d’un personnage qui lui ressemble si peu. « A priori, écrit-elle, le TDS [travailleuses du sexe] trans du Bois de Boulogne, ça ne me regarde pas. » L’écrivain décide néanmoins de s’immiscer dans l’histoire pour raconter une journée de la vie de Francia. Un jour de mai comme les autres, où, en 12 heures, Francia traitera 17 clients ; elle en acceptera 14.

Malgré ses 20 ans à Paris, Francia n’a toujours pas réussi à effacer « les ombres de la Colombie » et les bruits du passé résonnent encore dans sa tête. Entre deux clients elle accueille dans ce qu’elle appelle « son cambuche », elle se souvient de son enfance marquée par la peur de son père, de sa transformation, de ses premiers séjours à Bogotá, des quelques histoires d’amour et d’amitié qui ont marqué sa vie.

Ce qui rend l’histoire particulière, c’est que Nancy Huston nous présente tour à tour les clients de Francia, juste avant qu’ils partent à sa rencontre. Elle fouille dans leurs pensées les plus intimes pour tenter de nous faire comprendre d’où ils viennent et ce qui les pousse à se rendre au Bois de Boulogne par un beau dimanche.

Et ces 17 clients sont tous aussi différents les uns que les autres, comme pour nous éloigner de l’idée d’un quelconque stéréotype correspondant à ce type de personnage. Ce sont des jeunes, des vieux, des couples, des pères exaspérés, des pasteurs américains ou des hommes d’affaires en visite dans la capitale. Mais ils veulent tous la même chose : dominer ou être dominée quelques instants – et avec l’expérience, Francia sait lesquels ne lui causeront que des ennuis.

A plusieurs reprises, Francia évoquera Vanesa Campos, une prostituée trans sud-américaine tuée dans le bois de Boulogne en 2018, dans le même quartier qui est décrit dans le roman et où une plaque commémorative lui rend aujourd’hui hommage. Ce qui nous amène à croire, tout au long du récit, que c’est peut-être de là que Nancy Huston est partie pour raconter comment, malgré leur réservoir inépuisable de résilience et leur combativité, ces femmes restent au comble de la vulnérabilité.

Si son souhait était de les rendre, par l’écriture, moins invisibles le temps d’un roman, et de leur donner une humanité qui leur est rarement accordée, elle y parvient sans faute, sans aucun doute.

Nancy Huston

Actes Sud / Leméac

304 pages

6,5/10

 
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